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L’INDUSTRIE HUMAINE MISE EN MOTS POUR L’ÉCOLE

2. MISE EN LEÇONS

C’est dans ces tensions et ces ambiguïtés que je souhaite examiner la mise en leçons des activités de l’industrie humaine. Pour rappel, les promoteurs des leçons de choses comme les pédagogues, bien avant l’inscription officielle de cet enseignement dans l’école, précisaient que les leçons de choses ouvraient trois vastes domaines : l’histoire naturelle, les sciences physiques et l’industrie ou la technologie (au sens des termes de l’époque). Pendant toute la période de définition de ces leçons de choses qui précédaient initialement un enseignement de sciences, il était aussi souligné que ces leçons n’étaient qu’à tendance scientifique, c’est-à-dire que ces domaines n’étaient vraiment identifiés qu’à l’école primaire supérieure ou plus récemment au collège. Cette visée lointaine et cette

compartimentation progressive contribuent alors à la mise en ordre du monde, avec l’ambition éducative et instructive d’organiser progressivement le chaos initial et indifférencié du monde et de l’élève.

2.1. Série naturelle et série industrielle

L’organisation pédagogique des leçons de choses ne s’est pas imposée ex nihilo. De nombreux essais d’ajustement des contenus peuvent être repérés dans les discours des auteurs des manuels, d’articles de recommandations pédagogiques, d’ouvrages pédagogiques. Quelques principes de construction sont également mentionnés, comme la progressivité du monde sensible au monde rationnel (Bain, 1908), ou à propos des sujets d’étude (Delon, 1882). La question du choix des sujets d’étude et de leur inscription en séries appelle un questionnement à l’échelle de la scolarité primaire. Concernant ces sujets, la distinction majeure s’est effectuée entre la « série naturelle » également qualifiée de « scientifique » et la « série industrielle » qui touche au travail humain. La première série tient à l’ordre naturel et s’inscrit dans l’ordre déterminé des faits, l’ordre des sciences comme la botanique, la minéralogie et la zoologie pour l’histoire naturelle. Les sujets sont ainsi susceptibles de s’enchaîner selon cet ordre rationnel de la science auquel ces sujets initient. L’ordre de l’enseignement est ainsi fixé ; l’ordre des choses se plie à l’ordre des mots.

Dans la deuxième série, « la série industrielle », il est retenu l’industrie agricole considérée comme l’industrie nourricière par excellence et comme l’occupation du plus grand nombre de bras. En outre, cette industrie proche de la nature permet l’étude des instruments, des opérations et des produits. Cette industrie dont la présentation à l’école est déclarée utile pour les enfants des villes, s’oppose cependant aux industries manufacturières : Ces labeurs s’accomplissent sous le ciel, au grand air, non pas comme ceux de l’ouvrier des manufactures dans un atelier sombre, bruyant, échauffé, encombré, au fracas des machines, dans l’odeur concentrée des matières ouvrées.

Ce commentaire qui valorise l’industrie humaine présentable à l’école porte la sélection des contenus pour l’éducation des petits Français dans le contexte politique de la troisième république. Ce commentaire s’inscrit alors dans l’ensemble des discours de promotion de l’enseignement scientifique agricole dont l’ambition de formation de « paysans riches » est rappelée avec insistance. Il s’agit en effet de la construction de la République rurale de Jules Ferry dont l’enjeu est aussi d’éviter les concentrations d’ouvriers dans les villes, susceptibles d’engendrer des insurrections comme le mouvement antérieur de la commune. Ces ambitions de la politique éducative justifient alors l’approche des industries manufacturières essentiellement dans les plus grandes classes à la façon des notions industrielles des ouvrages de technologie ou de lectures graduées. Ces industries

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sont présentées dans leurs principes car les procédés multiples, les outils nombreux et rapidement obsolètes, les machines compliquées qui se substituent au travail des mains, sont souvent des « sujets trop secs », des « sujets techniques ». En ce sens, pour l’école élémentaire, ce sont les formes domestiques du travail ou de l’industrie qui sont retenues, car les approches scolaires sont considérées à la fois comme des modalités contribuant à la réforme des gestes qu’opère l’école et à l’intériorisation des rôles sociaux et de leurs occupations dédiés, mais également comme un moyen pour enseigner les principes élémentaires des procédés manuels, généralement développés dans les procédés industriels. Le principe du filage à partir de l’essai de l’opération qui combine les gestes tirer et tordre offre ainsi le moyen de saisir les façons de faire avec une quenouille, un rouet ou un dispositif mécanique continu.

2.2. Sujets mixtes et leçons détachées

Mais l’approche de l’industrie humaine ne s’inscrit pas vraiment dans un ordre rationnel. En effet, les classements de technologie présentent généralement des ensembles qui correspondent à des regroupements des occupations, des activités, des filières techniques. Sont ainsi généralement distinguées les industries d’extraction, les industries métallurgiques, les industries du bois ou les industries de l’habillement. Mais cette mise en ordre conduit à un ensemble d’industries diverses pour lesquelles les manuels présentent par exemple le papier, la gomme, la plume, le livre, les outils de l’écolier…

Entre la série naturelle et la série industrielle, s’insère ainsi une troisième série, celles des objets usuels ce que les causeries sur les choses usuelles faisaient découvrir aux élèves les plus jeunes en en questionnant l’origine, la provenance, la fabrication et l’usage. Ce sont alors ce que l’on désigne en tant que « sujets mixtes », car examinant la matière première, les qualités, les formes et les couleurs du point de vue « naturel » et l’usage et la fabrication du point de vue « industriel ». Mais ces leçons mixtes sont exclusivement des leçons détachées, ces leçons des petites classes dont de tout temps il est dit qu’aucun ordre n’est nécessaire et que le lien peut être un thème. Ces leçons mixtes et détachées s’enchaînent alors généralement au fil des saisons. Elles s’inscrivent davantage parmi les leçons « adventives » que parmi les leçons réglementaires.