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PROBLÉMATIQUE ET CADRE CONCEPTUEL

LES CHOSES DONT ON SE SERT

2. PROBLÉMATIQUE ET CADRE CONCEPTUEL

2.1. Anecdote à l’origine de l’étude

Un paquet est formé de cartes ayant toutes une lettre d’un côté et un chiffre de l’autre. Parmi les cartes suivantes [A] [B] [4] [7], lesquelles doit-on absolument retourner pour vérifier si la règle « S’il y a un A d’un côté, alors il y a un 4 de l’autre » est bien respectée ? (Wason & Johnson-Laird, 1972). Nous avons soumis ce problème, bien connu des psychologues, à des enseignants de mathématiques du collégial. Plusieurs ont répondu qu’il faudrait retourner les cartes A et 4, alors que ce sont plutôt les cartes A et 7 qu’il faut retourner. (Derrière le 4 il peut y avoir n’importe quoi, un A ou autre chose, mais derrière le 7, il faut s’assurer que ce n’est pas un A, ce qui contreviendrait à la règle). Leurs réponses nous ont étonnés puisqu’ils font de l’enseignement des mathématiques leur profession. En effet, nous nous attendions à ce que les savoirs mathématiques, qu’ils ont appris et peut-être même enseignée soient mobilisés pour répondre au problème posé. Tel ne fut pas le cas.

2.2. Victimes d’illusions cognitives ?

Comment se fait-il que ces enseignants de mathématiques n’aient pas mis en ouvre leur savoir ? Seraient-ils victimes de ce que certains qualifient d’illusions cognitives ? De tels phénomènes ont été décrits notamment par des psychologues et des sociologues.

Les travaux des psychologues Kahneman & Tversky (1972) ont montré que des personnes ferrées en statistiques pouvaient commettre les mêmes erreurs que le citoyen ordinaire face à des problèmes relativement simples, par exemple où la taille de l’échantillon est en jeu. En sociologie, Bronner (2003), dans une étude sur le lien entre le niveau d’étude et l’illusion cognitive, conclut que « … l’erreur cognitive […] contamine de façon généralisée nos esprits et que même de hautes études scientifiques n’immunisent pas nos raisonnements à leur influence. »

Du côté de l’éducation, des résultats allant dans le même sens ont été obtenus sans toutefois être exprimés en ces termes. En didactique de l’économie, Legardez (2004) arrive à la constatation suivante : « Or, on constate que des savoirs scolaires sont bien enseignés et appris, mais qu’ils restent souvent des savoirs pour l’école et qu’ils sont peu « exportés » vers les savoirs sociaux « citoyens ». Il semble que ces deux genres de savoirs appartiennent à deux mondes qui coexistent sans que des savoirs scolaires interfèrent rapidement et directement avec les savoirs du jeune citoyen » (p. 660). Il décrit bien ce que nous avions observé sur quelques cas.

2.3. La question traditionnelle

Face à ces constats, on est confronté à la question traditionnelle de trouver comment faire pour que les savoirs scolaires que les élèves apprennent soient « exportés » dans leur quotidien. Des tentatives de réponses à la question de l’exportation sont venues de recherches en didactique. Celles-ci, de façon générale, identifient des conceptions de sens commun inadéquates et tentent de les mettre en conflit dans le but de les remplacer par des savoirs scolaires. Par ailleurs, certaines de ces mêmes recherches constatent que l’utilisation des savoirs scolaires développés reste faible (Viennot, 1996 ; Trésarrieu, 2000 ; Legardez, 2004). Le recours à la pédagogie par compétences constitue en quelque sorte une tentative pour montrer l’utilité des savoirs scolaires en essayant de joindre l’utilisation à la compréhension. Mais, le sens commun semble demeurer le premier guide des actions (Perrenoud, 1995).

2.4. Notre proposition : partir du sens commun

Le point de vue adopté dans cette recherche est de faire en sorte que le sens commun consulte le savoir scolaire, qu’il importe le savoir scolaire dans la sphère du quotidien. Habituellement, les recherches en didactiques présentent des dispositifs visant à exporter le savoir scolaire appris dans

la sphère du sens commun. Le mouvement de la pédagogie par compétences va dans le même sens. Cette fois, nous voulons travailler dans le sens inverse c’est-à-dire que nous cherchons un moyen de faire en sorte que ce soit le sens commun qui importe les savoirs scolaires appris.

Il serait utile ici de questionner cette notion de sens commun. Parmi les multiples définitions étudiées, nous en avons retenu une qui regroupe des éléments assez consensuels : « … le “sens commun” est un savoir intuitif et immédiat sur ce qui est raisonnable de faire, un savoir qui est culturellement acquis au cours de l’éducation ou de la pratique quotidienne. » (Gueorguieva, 2002, p. 1). Ainsi, le sens commun est un savoir à l’œuvre dans l’action et de manière rapide, il est constitué de « prêts à penser » (Gonseth, 1993) qui peuvent être contradictoires et sont sollicités selon le contexte (parfois on dira que les contraires s’attirent et parfois on dira que ce qui se ressemble s’assemble).

Notre recherche vise deux buts : Un but utopique qui est de faire en sorte que le sens commun consulte l’esprit scientifique, qu’il importe le savoir scolaire appris et, un but pratique, qui vise à ce que le citoyen se munisse d’une « clochette de vigilance », en d’autres mots qu’il introduise un doute, une hésitation, par rapport à la validité de son action. Notre question de recherche est la suivante : Peut-on entraîner le sens commun à s’arrêter rapidement dans le cours d’une action ? Sachant que le sens commun est immédiat, intuitif, rapide et sachant aussi qu’on ne peut le dénaturer, peut-on le faire arrêter rapidement ? Hésiter ? Dans l’espoir que cet arrêt permettra une éventuelle consultation du savoir appris.

Quatre présupposés sous-tendent notre recherche : 1) D’abord il faut supposer que les savoirs que l’on considère pertinents pour une action adéquate soient disponibles chez les sujets. Pour assurer cette condition, nous avons choisi de nous restreindre dans un premier temps à quelques savoirs mathématiques enseignés dans les premières années de la scolarité obligatoire. 2) Ensuite, nous admettons qu’il est possible de mettre en relation le savoir scolaire et le savoir de sens commun, en d’autres termes que l’importation est effectivement réalisable. 3) Puis, il nous faut aussi admettre que le simple fait de s’arrêter peut conduire à une réflexion et, enfin 4) que le sens commun peut évoluer, comme en témoigne l’acception maintenant assez généralisée d’un système héliocentrique.