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LE PASSAGE DE LA NOTION AU CONCEPT

MOTS, SITUATIONS DE TRAVAIL ET CONCEPTS PRAGMATIQUES

7. LE PASSAGE DE LA NOTION AU CONCEPT

Il convient maintenant de repérer dans les dialogues disponibles les deux stades que sont le niveau notionnel et le niveau conceptuel, puis de mettre en évidence les éventuelles transitions de l’un vers l’autre.

7.1. La notion guide la découverte

L’analyse montre la possibilité d’énoncer, au niveau notionnel, des hypothèses relatives aux transferts à condition qu’elles puissent être basées sur des structures acceptables6. Il est ainsi possible de parler de transfert si l’on peut nommer :

- Soit l’entité transférée et une destination connue

- Soit la provenance et la destination, à condition que l’entité soit au moins pressentie - Soit l’entité seule, à condition qu’un déplacement dipolaire soit au moins pressenti.

Le dialogue ci-dessous illustre assez bien la découverte (en l’occurrence perturbatrice) d’un transfert perçu et énoncé au niveau notionnel.

62-63 F […] Les fils, c’est ce qui permet le transfert. Y a deux fils? 63 L Voilà. Y a deux transferts

En effet, de par leurs caractéristiques topologiques évidentes et de par leur rôle, les fils présentent les propriétés révélées par l’analyse : origine connue, destination connue, déplacement certain d’une entité supposée (électricité ou énergie).

Mais on est évidemment très loin du concept de transfert de l’énergie, dans lequel l’origine et la destination doivent être des réservoirs ou des transformateurs, l’entité doit impérativement être l’énergie, tandis que le médium est l’un

des termes imposés par le texte du modèle, c’est à dire l’un des modes de transfert.

7.2. La spécialisation de la notion de transfert et les progrès vers le concept visé

L’évolution de la notion vers le concept peut être illustrée par les découvertes de P. et M. lorsqu’ils recherchent les transferts de la Pile vers l’Ampoule.

105 P Attend, il y a pas de transfert, un transfert, c’est quand c’est transféré. Y a pas vraiment de transfert, il y a les fils, mais les fils c’est pas des transferts, c’est, c’est comme des autoroutes pour le transfert.

La structure énoncée s’enrichit alors d’un

6. Voir l’analyse complète du verbe transférer dans [Collet, 1996].

Figure 4 : La structure ne possède que trois actants

actant (figures 4 et 5). Cet enrichissement s’avère déterminant puisqu’il permet de faire apparaître l’entité, et de dissocier le flux d’énergie des fils conducteurs. Cette spécialisation marque un pas vers le concept visé, mais non pas son achèvement, puisque les valeurs du médium ne proviennent pas encore du domaine imposé (les « modes de transfert »).

Recherchant maintenant les transferts entre la lampe et l’environnement, P. et M. vont être amenés à distinguer les différents médiums, achevant ainsi une structure très proche de celle du concept de transfert de l’énergie.

152 M Ouais, mais alors dans ce cas là, y, y a qu’un transfert ?

P. souligne alors l’existence des deux modes de transfert distincts, justement empruntés au modèle, aboutissant à la structure conceptuelle pratiquement parfaite (figure 6) :

153 P Non, il y a deux transferts : la chaleur et le

rayonnement. Mais, ils vont tous les deux dans la même direction.

Dans la situation étudiée, les caractéristiques du verbe transférer projettent dans le monde de l’expérience une structure calquée sur la forme linguistique, tandis que des forces liées à l’énonciation jouent le rôle de moteur heuristique, incitant à la recherche des actants absents.

8. CONCLUSION

Cette étude explore l’hypothèse de la nécessaire coprésence d’un niveau notionnel et d’un niveau conceptuel dans les processus d’apprentissage et de découverte scientifique.

Pour ce faire, ce sont des concepts empruntés aux sciences du langage qui ont été mis à contribution afin de cerner le contenu du niveau notionnel associé aux termes employés dans le texte scientifique. Ce sont également des considérations linguistiques qui ont permis de distinguer dans les faits le niveau notionnel du niveau conceptuel.

Enfin, l’analyse de dialogues d’élèves tâchant d’appliquer un tel modèle physique à une situation expérimentale, a permis de mettre en évidence une partie le long cheminement qui conduit des

Figure 6 : L’apparition du médium permet de distinguer deux transferts

véhiculées par la langue, dont les effets « néfastes » sont souvent montrés du doigt par les sciences « dures » constituent en réalité un puissant moteur heuristique permettant l’exploration et la découverte.

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