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Parallèlement à la baisse des pratiques sédentaires, on observe un accroissement du mouvement sur les cours d'eau urbains. Ce phénomène s'explique en grande partie par le développement de la vapeur depuis le « Pionnier »2. Le transport fluvial connaît alors un

essor considérable et les sociétés de navigation à vapeur sont devenues pour un temps, d'importantes puissances, avant d'entrer à partir des années 1840, dans une phase de crise3.

Ce phénomène engendre un plus grand mouvement sur la rivière et le début d'une désertification des cours d'eau.

Parmi les établissements mouvants à vapeur, soit ceux qui ne payent pas de droit de stationnement mais un simple droit d'attache, les remorqueurs ont longtemps fait partie du paysage fluvial. L'évolution même des techniques de remorquage a introduit un plus grand mouvement sur la Saône. La remontée de la rivière s'effectue dans un premier temps par des toueurs à vapeur. Le terme renvoie à une nouvelle technique de traction : « la remonte des bateaux dans la traversée de Lyon entre la gare d'eau de Perrache et de Vaise, se fait par convoi remorqué au moyen de toueur à vapeur. Ces remorqueurs n'ayant pas une puissance suffisante pour traîner directement les convois, portent un tambour sur lequel passe un câble dont l’extrémité est amarrée à la rive droite vers l'amont. Le tambour étant mis en mouvement par la machine, le câble s'enroule sur lui et le convoi est ainsi attiré vers le toueur auquel il est attaché, jusqu'au point où le câble a été fixé. A chaque portée du câble les bateaux remorqués doivent être amarrés à la rive et restent stationnaires jusqu'au retour

1 Backouche, Isabelle, op. cit., p. 327.

2 Premier bateau à vapeur affrontant les eaux tumultueuses du Rhône en 1829.

du toueur, qui va se fixer sur un autre point en amont. »1. Cette technique induit donc des

temps de pauses importants qui seront supprimés avec l'arrivée des remorqueurs à vapeur dotés d'un moteur suffisamment puissant pour leur permettre de tracter directement les bateaux sans la technique du touage.

Parallèlement, le nombre de bateaux à vapeur en activité, si l'on ne prend pas en compte la compagnie des « mouches », diminue dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ce processus commence dès les années 1850. Dans un rapport sur le service de surveillance des bateaux à vapeur de la Saône et du Rhône du 28 juillet 1858, l'inspecteur de la navigation souligne que « le mouvement de la navigation continue de décroître considérablement »2. Il dresse un tableau récapitulatif du nombre de bateaux à vapeur sur

le Rhône et la Saône. L'histogramme ci-dessous reprend les chiffres de ce tableau. La part des bateaux en activité baisse considérablement en seulement trois ans.

Ainsi, dès le milieu du XIXe siècle, la navigation à vapeur entre dans une période de crise et l'occupation active de la Saône diminue. Rappelons qu'en 1857 est créé la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM). Le rail en plein essor, représente alors un concurrent redoutable pour la navigation (cf. quatrième partie).

1 A.M.L. 342 WP 040, Navigation sur la Saône et sur le Rhône, Bateaux mouvants, lettre de M. Bonne au sénateur le 23 octobre 1863.

2 A.D.R., S 949, Commission de surveillance des bateaux à vapeur 1837-1870.

Illustration 22: Nombre de bateaux sur la Saône et le Rhône entre 1856 et 1858

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 74 61 14 13 21 87 82 80 1856 bateaux actifs bateaux inactifs Total Années No m b re d 'u n it és 1857 1858

Le rapport entre les Lyonnais et l'espace fluvial se construit alors autour de la baisse des pratiques sédentaires, de l'introduction du mouvement sur les cours d'eau, et de la baisse du nombre de bateaux à vapeur en activité. La compagnie de transport des bateaux omnibus, si elle rompt avec l'évolution décroissante du nombre de bateaux à vapeur, participe en revanche à l'introduction d'un plus grand mouvement sur l'espace fluvial.

L'espace fluvial devient davantage un axe de circulation sur lequel les activités sédentaires ont de moins en moins leur place. L'introduction de la vapeur facilite d'ailleurs ce processus puisqu'elle permet de fluidifier la le trafic. Dans l'idée de faciliter la circulation sur la Saône et le Rhône, de grand travaux d'aménagements sont entrepris. L'aboutissement de ses travaux permet aux Lyonnais de domestiquer leur espace fluvial.

B) La « domestication du fleuve »

Les études sur les rivières urbaines définissent traditionnellement trois périodes dans le rapport de la ville à son cours d'eau1. La rivière a d'abord imposé son rythme au

sein de l'espace urbain. L'homme se confronte alors à un cours d'eau sauvage et imprévisible, dont les crues peuvent être dévastatrices. Puis l'industrialisation, les progrès techniques et les grands travaux urbains du XIXe siècle permettent de domestiquer la rivière, ce qui provoque une rupture entre cette dernière et la ville. La rivière se déconnecte de l'espace urbain2. La troisième période intervient à la fin du XXe siècle, lors de la

redécouverte et du « recyclage »3 de l'espace fluvial4. A Lyon, cette « revitalisation du front

d'eau urbain »5 se manifeste au début des années 1990, lorsque le conseil de la Courly6

adopte le schéma d'aménagement des berges de la Saône et du Rhône ou « plan bleu ». Le rapport entre les Lyonnais et leurs cours d'eau n'a ainsi cessé de se transformer depuis le

1 Frioux, Stéphane, op. cit., p. 188.

2 Bethemont, Jacques et Vincent, André, « La revitalisation des fronts d’eau urbains dans la vallée du Rhône », Revue de géographie de Lyon 73, no 4, p. 331.

3 Gerardot, Claire, « Les élus lyonnais et leurs fleuves : une reconquête en question », Géocarrefour, Vol. 79/1, 2004, pp. 75-84.

4 Bethemont Jacques et Pelletier Jean, « Lyon et ses fleuves : des berges perdues aux quais retrouvés »,

Revue de géographie de Lyon, Vol. 65 n°4, 1990, pp. 300-307.

5 Bethemont, Jacques et Vincent, André, op., cit. pp. 331-335. 6 Aujourd'hui la Communauté urbaine de Lyon ou Grand Lyon.

début de la période contemporaine. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Lyon domestique ses cours d'eau. Les travaux effectués touchent directement les quais et les ponts, éléments de l’espace fluvial.