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Le 10 juillet 1864, la Mouche n°4 quitte le ponton de Perrache pour remonter la Saône jusqu'à son terminus à Vaise. Elle s'arrête aux pontons d'Ainay puis de Saint- Antoine pour déposer des voyageurs et en prendre d'autres. Nous sommes un dimanche d'été, il est 14 h 30 et il fait « un soleil torride »1. Les Lyonnais se pressent sur les bateaux

omnibus qui enregistrent des taux de fréquentations importants. D'après les feuilles de pontonniers, 101 personnes se trouvent à bord de la Mouche n°4 lorsqu'elle quitte le ponton de Saint-Antoine2. Elle est au maximum du nombre de voyageurs autorisés, que la

commission de surveillance des bateaux à vapeur, a fixé à 100 personnes par arrêté du 14 août 18633. Le lit de la Saône n'est pas aussi profond qu'aujourd'hui et à certains endroits,

les bateaux doivent éviter des bancs de sable. En remontant la rivière depuis la station Saint-Antoine, rive gauche, les omnibus sont obligés de couper la Saône presque perpendiculairement en direction de la rive droite pour éviter un banc de sable situé juste en amont de la station. C'est une manœuvre que les patrons des bateaux sont habitués à faire et il n'y a jamais eu d'incident auparavant. Pourtant, ce jour-là le capitaine de l'omnibus nouveau dans le service4, ne coupe pas suffisamment la rivière et heurte le banc

de sable à tribord5. Soulevé par le banc, le bateau se penche dans un premier temps sur son

flanc gauche tout en continuant la marche. Lorsqu'il se dégage des graviers, il se penche dans un second temps du côté droit. Cette inclinaison exceptionnelle, amplifiée par le mouvement de la première, précipite les voyageurs qui se trouvent sur le pont contre le garde fou de l'embarcation qui cède sous le poids. La moitié des passagers se trouve alors précipitée dans la Saône tandis que le bateau parvient à accoster en amont du pont de Nemours pour y déposer l'autre moitié. Sur les cinquante personnes qui passent par-dessus bord, trente-deux, dont le capitaine meurent noyés. La plupart des rescapés sont des

1 « Catastrophe à Lyon sur la Saône », op. cit., pp. 53-55.

2 A.M.L., 342 WP 040, Rapport de la commission de surveillance des bateaux à vapeur, 11 juillet 1844. 3 A.D.R.,, S 1893, Bateaux à vapeur, arrêtés d'autorisation, 1851-1867.

4 A.M.L., 342 WP 040, Rapport de l'ingénieur en chef, 11 juillet 1864. 5 En navigation, le terme « tribord » désigne la droite et « bâbord » la gauche.

femmes, sauvées par les crinolines de leurs robes (cf. annexe 20) qui dans l'eau font office de bouées1.

La figure de la page suivante montre le trajet effectué par la Mouche n°4 à partir d'un plan joint au rapport de la commission de surveillance des bateaux à vapeur. La courbe noire représente la profondeur de la rivière dans le plan formé par les axes violets. Ainsi, la partie entourée en rouge correspond à l'endroit où la profondeur de la rivière est la plus faible sur l'axe y. A l'inverse, la partie entourée en vert correspond à l'endroit où la profondeur est la plus grande. La profondeur est de 0,85 m à 1,95 m à l'endroit où passe la

Mouche n°4, alors qu'elle est de 4,05 à l'endroit où passe habituellement les omnibus. Or,

le permis de navigation de l'omnibus2 précise que le tirant d'eau (figure suivante) du bateau

à vide est de 1,25 m lorsqu'il est chargé à son maximum.

1 Borgé, Guy, Les transports à Lyon : du tram au métro, Lyon, Documents lyonnais, 1984, p. 8. 2 A.D.R., S 1893, Bateaux à vapeur, arrêtés d'autorisation, 1851-1867.

Illustration 32: Plan de la Saône entre le pont de Nemours et du Palais de justice indiquant la marche du bateau à vapeur la Mouche n° 4 dans l'accident du 10 juillet 1864, Commission de

On parle de l'accident jusqu'à Paris où Le monde illustrée publie un dessin en pleine page (ci dessous)1 de « l’épouvantable catastrophe »2. Le Moniteur du soir du lendemain de

l’événement, repris par Le monde illustré, le décrit comme « une affreuse tragédie » : « C'est surtout à l’Hôtel-Dieu que se sont produites les plus horribles scènes de désespoir. C'est dans cet hospice qu'on transportait, en effet, les victimes, lorsque tous les secours, prodigués avec un dévouement que nous ne saurions trop louer, avaient échoué, et c'était là qu'on venait les reconnaître. Il y avait dans la cour où se trouve la statue du major Bonnet une double rangée de cadavre. D'un côté les hommes ; d'un autre les femmes[...]. Nous n'avons pas besoin de décrire les scènes poignantes qui se sont succédé pendant cette funèbre visite. »3

1 « Catastrophe à Lyon sur la Saône », op. cit., pp. 53-55. 2 Ibid.

3 Ibid.

Le second accident se produit le 16 septembre 1866 lorsque la chaudière de la

Mouche n°9 explose. « Pendant que la Mouche était au repos, un tube éclata ; des jets de

vapeur se dirigèrent sur les passagers qui remplissaient une cabine, leur faisant des brûlures si terrible, que quelques-uns se précipitèrent dans le fleuve pour y échapper. »1. Selon

l'article de L'illustrateur de l'Exposition universelle, l'accident fait vingt-sept victimes, dont neuf morts. Le mécanicien est mis en cause dans l'accident : « La déplorable habitude qu'ont les mécaniciens de charger outre mesure la soupape de sûreté, pour économiser le combustible, avait parfaitement pu déterminer cette explosion »2. Étrangement, cet

accident qui coûte la vie de neuf personnes laisse beaucoup moins de traces dans les archives dépouillées que celui du 10 juillet 1864. Seule une note incomplète et non datée, relative aux victimes a été trouvée3 (cf. annexe 21).

La navigation sur la Saône et le service des bateaux omnibus à vapeur présente ainsi une série de dangers liés aux contraintes naturelles de la rivière mais également aux risques qu'engendre l'utilisation de la vapeur4. L'explosion de la chaudière de la Mouche

n°9, le 26 septembre 1866, illustre bien ces dangers. La machine à vapeur est un élément

central du service des « mouches ». C'est bien l'association de la machine à vapeur et de la navigation qui permet à Lyon comme à Londres, la mise en place d'un service de transport en commun par bateau omnibus. Les perfectionnements apportés à la machine à vapeur et à la navigation à vapeur permettent de repousser un peu plus les contraintes de la rivière. Les innovations techniques permettent peu à peu de « domestiquer l'aléa »5 et de réduire

progressivement les risques liés à la navigation.

1 Desprez, Adrien, « L'Exposition à vol d'oiseau », L'illustrateur de l'Exposition universelle, n°2 (15 avril 1867), pp. 6-7.

2 Ibid, p. 7.

3 A.M.L., 925 WP 225, Bateau à vapeur omnibus sur la Saône.

4 Fressoz, Jean-Baptiste, L'Apocalypse joyeuse, une histoire du risque technologique, Paris, Seuil, 2012. 5 Niger, David et Petitclerc, Martin (dir.), Pour une histoire du risque, Rennes, Presses universitaires de

B) Aspects techniques de la navigation

L'étude du service des bateaux omnibus revêt nécessairement une étude des aspects techniques du service. Quelles sont les innovations apportées à la navigation ? Comment sont-elles mises en application par les « mouches » ? Le bon fonctionnement du service est lié au bon fonctionnement mécanique des omnibus.