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Le service de transport intra-urbain est une nouveauté mise en place par la compagnie des « mouches ». Aussi avant 1863, les compagnies de transport de voyageurs occupant l'espace fluvial lyonnais sont toutes des compagnies de transport inter-urbain. La compagnie « l'exploitation de la Saône », filiale des « messageries royales », est l'une des premières à inaugurer un service de transport en 1830 entre Lyon et Chalon-sur-Saône avec son bateau l'Hirondelle1. La mise en service de ce bateau à vapeur bouleverse les transports de la Saône. Débute alors une période de prospérité pour la navigation à vapeur durant laquelle les compagnies se multiplient et se livrent une concurrence acharnée. Elles deviennent d'importantes puissances commerciales à Lyon comme dans le reste de la France avant d'entrer dans une période de crise dès le milieu du XIXe siècle2.

Cette situation transparaît nettement dans les archives. Au moment où la compagnie des « mouches » fait du transport intra-urbain un succès commercial, les services inter- urbains sont en crise. Alors que la compagnie des « mouches » enregistre un nombre record de fréquentations en 1871 avec quatre millions de voyageurs transportés3, la Compagnie

française de navigation est dans l'incapacité de faire fonctionner son unique bateau la même année à cause « de la nullité absolu des transports commerciaux »4 sur son service

entre Lyon et Marseille. Un an plus tard, en 1872, elle se trouve en liquidation judiciaire. Cette crise, qui a lieu bien avant la mise en service des « mouches » sur la Saône, s'explique essentiellement par la concurrence que fait le chemin de fer à la navigation. En 1858, M. Malezon, directeur de la Compagnies des « gondoles » assurant le transport de marchandises et de voyageurs entre Lyon et Marseille, exprime son impuissance face à

1 Rivet, Felix, La navigation à vapeur sur la Saône et le Rhône (1783-1863), Presses Universitaires de France, Paris, 1962, p. 103.

2 Combe, Jean-Marc, Bernard Escudié, Jacques Payen, et Jean-Claude Charpentier, Vapeurs sur le Rhône :

histoire scientifique et technique de la navigation à vapeur de Lyon à la mer, Presses universitaires de

Lyon, Lyon, 1991, p. 188.

3 Charbonnier, Romain, et André Vincent, op., cit. p. 42.

4 A.M.L., 342 WP 041, Lettre de M. Tabourin, administrateur de la Compagnie française de navigation au maire de Lyon, le 6 avril 1872.

cette concurrence. « Par suite de manœuvres machiavéliques du chemin de fer de Paris à Lyon, tendantes à la ruine de la navigation, ma compagnie, qui en ressent les effets déplorables, se voit forcée, sous peine de ruine complète, de cesser ses transports de marchandises entre Lyon et Chalon »1.

La Compagnie Rhône et Méditerranée, exploitants les « gladiateurs » entre Lyon et Avignon rend également compte de cette situation dans une lettre adressée au préfet. « les pertes que nous avons éprouvées depuis deux années, ne nous permettent plus de reprendre un service ruineux, à moins d'obtenir de forte réductions[…]. Depuis l'année 1867 jusqu'au 31 décembre 1874, soit en huit ans, quinze compagnies à Lyon ayant entrepris le service de navigation sur le Rhône sont tombées successivement par les pertes qu'elles ont subies. Les unes en liquidant à perte de finances, les autres déclarées en état de faillite. Notre service des Gladiateurs faisant voyageurs et marchandises de messageries seul, s'est péniblement soutenu jusqu'en 1872, mais les années 1873 et 1874 ont présenté des pertes considérables »2

Le transport de voyageurs se maintient péniblement mais celui des marchandises ne résiste pas à la concurrence du rail. L'état des bateaux à vapeur qui naviguent sur la Saône entre 1867 et 1869 établi à partir des rapports de la commission de surveillance3 permet de

confirmer ce phénomène. En 1867, sept sociétés utilisant des bateaux à vapeur sont répertoriées : la Compagnie des bateaux à vapeur omnibus, Darbon et Cie, Paret et Mettieux, Maleron et Cie, Mathiss et Cie, la Compagnie des modères, Eparvier et Cie et enfin Courat. L'année suivante en 1868, les deux sociétés Maleron et Cie, puis Mathiss et Cie disparaissent. En 1869 c'est au tour de la compagnie des modères. Sur les trois sociétés qui disparaissent, deux sont destinées au transport de marchandises et sur les quatre restantes, seulement une (les « parisiens » de Darbon et Cie) continue ce type de transport. Les dirigeants des « parisiens » complètent cependant le transport de marchandises par celui de voyageurs pour se maintenir.

C'est donc pour faire face à cette crise que les transporteurs lyonnais se réunissent en une seule et même compagnie : la Compagnie générale de navigation. Le 20 octobre 1855 un premier accord est signé entre diverses sociétés dont la Compagnie générale, la

1 A.M.L., 342 WP 041, Lettre de M. Malezon, le 22 février 1858.

2 A.M.L., 342 WP 041, Lettre de l'administrateur de la Compagnie Rhône et méditerranée, le 20 mars 1875. 3 A.D.L., S 949, Commission de surveillance des bateaux à vapeur, rapports pour les années 1867, 1868 et

compagnie méridionale, les « Aigles » et les « Sirius »1, formant le noyau dur d'une société

en commandite simple, au capital de sept millions de francs : la société Jacques Breittmayer et Cie. La compagnie détient alors la moitié de la flotte de bateaux à vapeur en activité dans le bassin rhodanien. Le 24 novembre la société Gerin, Bouillon, Abel, Clerc et Cie, dirigée par Plasson rejoint la « générale » qui absorbe la compagnie dirigée par Chaize peu de temps après2. En 1862, la puissante société Bonnardel se joint au groupe

constitué. Dés lors, la Compagnie générale de navigation rassemble l'essentiel des compagnies existantes. « Cette union marque la fin de la batellerie traditionnelle. »3. La

batellerie est à présent sous le contrôle de la « générale ».

Le transport fluvial inter-urbain à Lyon est ainsi l'affaire d'une puissante société à côté de laquelle les rares petites compagnies ont beaucoup de mal à se maintenir. Depuis le lancement des « mouches », les transporteurs se tournent vers des services intra-urbains.