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L'espace sur lequel s'exerce le service des bateaux à vapeur omnibus est un élément central de ce travail. Je privilégie ici la Saône qui est, à mon sens, plus importante que le Rhône dans l'histoire du transport fluvial intra-urbain. L'ensemble du service s’étend en effet, de Neuville, pour l’extrémité nord, à Oullins, station la plus au sud. Le Rhône n'est emprunté que de la Mulatière à Oullins, pour les besoins du service de la banlieue sud (cf.

annexe 2).

L'importance de la Saône est considérable dans l'histoire de Lyon. Cet affluent du Rhône qu'il rejoint à la Mulatière, à 480 km de sa source vosgienne, a un bassin versant de 30 600 km2. Cela ne représente qu'un tiers de celui du Rhône. La Saône est une rivière

calme, plus facilement domptable que le Rhône. Son intégration dans la vie lyonnaise est ancienne. Elle joua un rôle économique de première importance dans l'ancienne capitale gauloise et participa aux grands mythes celtiques des divinités des eaux. Son nom viendrait de la déesse celtique Souconna1. Ainsi, « les preuves existes[...] d'une riche histoire inscrite

dans la très longue durée »2 pour cette rivière. En 2003, les fouilles du quartier Saint-

George, mettent à jour six embarcations de tonnages importants, datant probablement de la fin du IIe siècle après J-C3, preuve de l'importance commerciale de Lugdunum à l'époque

romaine et surtout de l'importance de la Saône pour ses habitants. De puissantes corporations de nautes, ou bateliers, occupent alors les deux cours d'eau lyonnais4. Depuis

l'époque romaine, la Saône est représentée sous les traits d'une femme, mère nourricière de

1 Audin, Pierre, « Les eaux chez les Arvernes et les Bituriges (Les sanctuaires des eaux) », Revue

archéologique du centre de la France, Tome 22, fascicule 2, 1983, pp. 83-108. Héron de Villefosse,

Antoine, « Piédestal trouvé à Chalon-sur-Saône et portant une dédicace à la déesse Souconna », Comptes

rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 56e année, N. 9, 1912, pp. 677-680.

2 Bravard, Jean-Paul, Jean Combier, Nicole Commerçon, et Bernard Clavel, La Saône, axe de civilisation, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 2002, p. 7.

3 Ayala, Grégoire, « Lyon. Évolutions d'un bord de Saône de l'Antiquité à nos jours : la fouille du parc Saint-George, bilan préliminaire », Revue archéologique de l'Est, n° 56-2007, p 153-185.

la ville1. Cette allégorie anthropomorphique s'oppose à celle du Rhône tumultueux,

représenté sous les traits d'un homme viril et barbu2 (cf. annexe 15).

Source de prospérité et lieu d'affirmation identitaire et politique, la Saône est bien plus que le simple cadre spatial de cette étude. La relation de la rivière avec la ville et les Lyonnais est en constante évolution. L'étude du transport intra-urbain lyonnais englobe nécessairement l'étude du rapport entre l'espace sur lequel s'effectue le service, et les usagers de cet espace. Comment évolue le rapport entre la ville et sa rivière d'une part, et entre la rivière et la compagnie des bateaux à vapeur omnibus d'autre part ? De manière générale, le XIXe siècle est une période où les aménagements urbains sont nombreux et les cours d'eaux n'échappent pas à cette dynamique3. Les transformations fluviales entraînent

un changement des pratiques des usagers. La singularité de l'espace fluvial pose alors la question de l'impact de ces transformations sur le rapport des Lyonnais à la Saône et sur le fonctionnement d'un service de transport.

1. Lyon et la Saône

Dans le champ de l'histoire urbaine, le rapport entre une ville et ses cours d'eau a récemment été l'objet d'une attention particulière des historiens4. Ce rapport n'est pas

quelque chose de fixe, d'immuable. Il ne cesse d'évoluer, de se transformer dans le temps, au gré des évolutions économiques, technologiques, politiques et sociales. « Les relations entre l'espace et les hommes forgent des solidarités et participent à la constitution des identités »5. Traditionnellement, le XIXe siècle est décrit par les historiens de l'urbain,

comme le début d'une rupture entre la ville et ses cours d'eau. Lyon suit cette tendance et

1 Le musée Gadagne consacre actuellement une Exposition aux deux cours d'eau lyonnais : « Lyon, la rivière et le fleuve » dans laquelle le spectateur peut voir des exemples de ces représentations.

2 Rossiaud, Jacques, Le Rhône au Moyen Âge. Histoire et représentation d'un fleuve européen, Paris, Aubier, 2007.

3 Backouche, Isabelle. op. cit. Berque, Augustin. « Tokyo : une société devant ses rivières ». Bravard, Jean- Paul, « Villes de réservoirs sur le Yangzi et sur le Rhône : niveaux fluviaux et gestion des berges à Chongqing et Lyon ». Mauch, Christof, et Zeller, Thomas, op, cit. Pelletier, Jean, et Bethemont, Jacques, « Lyon et ses fleuves : des berges perdues aux quais retrouvés ».

4 Frioux, Stéphane. « Fléau, ressource, exutoire : visions et usages des rivières urbaines (XVIIIe-XXIe s.) ». Géocarrefour Vol. 85, no 3. Bethemont Jacques, Vincent André, « La revitalisation des fronts d'eau

urbains dans la vallée du Rhône », Revue de géographie de Lyon., Vol. 73 n°4, pp. 331-335. 5 Backouche, Isabelle, op. cit., p. 11.

on observe les mêmes mécanismes de distanciation entre la ville et la rivière. En effet les pratiques de l'espace fluvial changent et tendent vers une baisse des occupations sédentaires, c'est ce que j'étudie dans une première partie. Dans une seconde, je m'intéresse au phénomène de « domestication du fleuve » à Lyon avant de montrer dans une troisième partie que ces phénomènes entraînent un nouveau regard des Lyonnais sur l’espace fluvial.

A) L'occupation de la Saône et la baisse

des pratiques sédentaires

En m'intéressant à l'occupation de l'espace fluvial, je m’intéresse surtout à l'évolution dans le temps du rapport entre la Saône et ses usagers. Comment évoluent les pratiques de ces derniers ? Quels types d'embarcations occupent la rivière ? Quelles sont leurs évolutions?