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L'histogramme suivant représente le nombre de voyageurs transportés pour l'année 1871 réalisé à partir de l’« état des recettes et du nombre de voyageurs » (cf. annexe 11) établis pour cette année record où les « mouches » ont transporté plus de quatre millions de passagers. Si le volume de voyageurs transportés est exceptionnel, les variations entre chaque mois correspondent néanmoins au mouvement d'une année classique. L'histogramme précédent représentant le nombre de voyageurs transportés en 1865 montre en effet des variations identiques. Les mois de novembre, décembre, janvier et février correspondent ainsi au moment de l'année où la compagnie des bateaux omnibus enregistre les taux de fréquentation les plus bas. On peut rapprocher les graphiques présentés dans les illustrations 29 et 30 (cf. p. 80-81) concernant les variations du débit moyen de la Saône et des températures. Les même mois correspondent en effet au moment de l'année où le débit de la Saône est le plus fort et les températures les plus froides. Ce double phénomène rend la navigation plus difficile à cause de la formation des glaces d'une part, et des crues de la Saône d'autre part. (cf. p. 79). À l'inverse, durant les mois de juillet et août qui correspondent au moment de l'année où les températures sont les plus élevées (cf. illustration 30) et où le débit de la Saône est au plus bas, le nombre de voyageurs transportés par les « mouches » atteint sont maximal.

Au-delà de l'aspect technique de la navigation il faut également prendre en compte la notion de plaisir. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'espace fluvial urbain se tourne davantage vers l'activité de loisir (cf. p. 76). Les « mouches » jouent alors un rôle dans ce processus. Les deux histogrammes suivants représentent la fréquentation du service des « mouches » entre le 28 juin et le 4 juillet des années 1869 et 18701. Le

dimanche, jour de repos, est le jour de la semaine le plus fréquenté. Les dimanche et jours fériés du mois de juillet sont les jours de l'année où la compagnie enregistre des taux record de fréquentation. C'est d'ailleurs ce jour de la semaine qui permet au service de banlieue de rester rentable. En 1866 par exemple, le service de la banlieue sud, de la Mulatière à Oullins fonctionne uniquement entre le 23 avril et le 24 septembre, durant le printemps et l'été. Les jours de la semaine, un seul bateau suffit mais le dimanche le service est assuré par deux ou trois suivant les circonstances. En 1867 et 1868 le service fonctionne dans des conditions similaires à 18662. Cela confirme l'idée que les Lyonnais n'empruntent pas

seulement ce mode de transport pour des besoins pratiques de déplacement mais également pour le pittoresque qu'offre les « mouches ».

1 A.M.L., 925 WP 225, Rapport de l'inspecteur principal, le 7 janvier 1870. 2 A.M.L., 925 WP 225, Lettre de Bonne, le 23 avril 1869.

Illustration 15 État des voyageurs transportés en 1871 (A.M.L., 342 WP 040).

janvier mars mai juillet septembre novembre 0 50000 100000 150000 200000 250000 300000 350000 400000 450000 500000 Voyageurs transportés Nombre de voyageurs M o is de l 'an né e

Illustration 16 Nombre de voyageurs transportés entre le 28 juin et le 4 juillet 1869 (A.M.L., 342 WP 040). lundi mardi mercredi jeudi vendredi samedi dimanche 0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 14000 Jours de la semaine N o m b re d e v o ya ge ur s t ran s p or té s

Illustration 17 Nombre de voyageurs transportés entre le 28 juin et le 4 juillet 1870 (A.M.L., 342 WP 040).

mardi mercredi jeudi vendredi samedi dimanche lundi 0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 14000 16000 18000 20000 Jours de la semaine N o m b re d e vo ya g e u rs

D'ailleurs il suffit de rapprocher les indications météorologiques établies dans le même rapport1 pour s'en convaincre. Le tableau suivant reprend ces observations.

Les lignes rouges correspondent aux jours où le nombre de voyageurs transportés est le plus bas. À l'inverse, les lignes vertes représentent les jours où ce nombre est le plus élevé. Pour chaque ligne verte, les observations météorologiques indiquent un beau ou très beau temps. Les lignes rouges correspondent quant à elles a des temps pluvieux, couverts ou froids excepté pour le mercredi 29 juin 1870. Ainsi la semaine de 1870 durant laquelle le climat est globalement ensoleillé enregistre un total de 71 674 voyageurs transportés alors que durant la semaine de 1869 qui n'a qu'un seul jour de beau temps, les « mouches » transportent 53 701 personnes.

1 A.M.L., 925 WP 225, Rapport de l'inspecteur principal, le 7 janvier 1870.

Illustration 18: État hebdomadaire des voyageurs transportés en 1869 et 1870 avec observations météorologiques (A.M.L., 925 WP 225).

La Compagnie des bateaux à vapeur omnibus occupe ainsi une place importante dans le quotidien lyonnais. On note néanmoins deux approches du transport. D'un côté il y a ceux qui utilise le service pour les besoins quotidiens de déplacements, de l'autres, il y a ceux qui associe le service à la distraction. Si aujourd'hui il ne vient pas à l'idée des Lyonnais de se promener un dimanche ensoleillé du mois de juillet dans le réseau T.C.L., un siècle et demi plus tôt, ils se pressent par milliers sur les « mouches ». Ces deux types de voyageurs n'appartiennent pas à la même catégorie sociale. Une étude des aspects sociaux et culturels du service permet de se focaliser davantage sur cette distinction et de donner au voyageur la place qu'il mérite dans cette étude.

B) Les aspects sociaux et culturels du

transport fluvial

Faire l'histoire d'un transport en commun revient à s'intéresser aux interactions entre « la culture » et la manière dont les sociétés ont mis en œuvre la mobilité des gens1. L'acte

de déplacement d'un point à un autre à l'aide d'un moyen de locomotion n'est pas vide de sens. La mobilité a une double composante sociale et spatiale. C'est « un phénomène social total, c'est-à-dire qu'elle n'est jamais seulement un déplacement mais toujours une action au cœur de processus sociaux de fonctionnement et de changement »2. Chaque moyen de

locomotion est chargé d'une représentation sociale et l'histoire de la mobilité implique l'étude de cette représentation. « Tout transport est un acte profondément culturel. Le processus physique de se déplacer d’un point A à un point B (sa dimension matérielle, fonctionnelle, instrumentale) est imprégnée de significations inscrites dans la société. »3. Il

est ainsi nécessaire de s'intéresser à la demande de déplacement et pas seulement à l'offre. L'Histoire des voyages en train de l'historien allemand Wolfgang Schivelbusch, paru en 1977 et traduit en français en 1991, est emblématique de cette nouvelle manière

1 Divall, Colin et Revill, George, «  Les cultures du transport : représentation, pratique et technologie », in Guigueno, Vincent et Flonneau, Mathieu (dir.), De l'histoire des transports à l'histoire de la mobilité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 57.

2 Bassand, Michel, La mobilité spatiale, un phénomène macroscopique, in Sociologie pluraliste et

pluralisme sociologique, Mélanges publiés en l'honneur du Professeur Maurice Erard, Université de

Neuchâtel, EDES, 1986, p. 20.

3 Colin Divall, « Histoire des transports, histoire culturelle : mobiliser le passé des chemins de fer », Revue

d'aborder l'histoire du transport et de la mobilité1. Le chemin de fer est le terrain privilégié

de ce genre d'études que les historiens anglo-saxons ont beaucoup développé2. Pourtant le

transport par bateau omnibus à vapeur se prête particulièrement bien à ce genre d'approche analytique. Nous le verrons, prendre un omnibus le dimanche, pour le simple plaisir d'une ballade sur la rivière, est le signe distinctif d'une catégorie de la population. L'acte de déplacement est fait par choix et contribue à exprimer un statut social. Le déplacement devient alors une consommation. Les « mouches » lancent-elles l'entrée des Lyonnais dans le transport de masse ? Avant de répondre à cette interrogation, je m'intéresse au caractère indispensable du transport pour une partie de la population afin de mieux mettre en avant le portrait du voyageur.