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Lorsque la Compagnie des guêpes loue son matériel aux « mouches » en janvier 1866, la compagnie de Chaize et Plasson a deux options pour le prix de la location. Dans la première, elle paye 24 000 francs à l'année. Dans la seconde, elle paye 30 000 francs en l'absence de concurrence mais 18 000 francs si une concurrence surgit avec un prix de 10 centimes de Saint-Antoine ou la Feuillée à Vaise. La compagnie a jusqu'au 30 janvier 1866 pour choisir l'une ou l'autre option. La deuxième est plus risquée, mais permet à la compagnie de ne payer que 18 000 francs. C'est finalement la première option qui est choisie. Cela nous indique bien qu'au moment où l'accord est passé, la compagnie des « mouches » est la seule entreprise capable de proposer un service à faible coût de Saint- Antoine ou la Feuillée à Vaise. Peu de temps avant de s'imposer à Paris, Chaize et Plasson dominent déjà complètement le transport fluvial intérieur lyonnais.

D'ailleurs un rapide coup d’œil sur l'histogramme suivant représentant l'état des bateaux à vapeur qui naviguent sur la Saône de 1867 à 1869 nous permet de confirmer ce phénomène. En 1866, après que la compagnie des « mouches » loue le matériel flottant et les autorisations de ses concurrents, il ne reste plus aucune compagnie assurant un service de voyageurs dans la traversée de Lyon. Les seules qui restent sur la rivière sont des sociétés de transport inter-urbain dont les activités sont davantage tournées vers le transport de marchandises. C'est le cas de Darbon et Cie, Paret et Mettrieux, Mathiss et Cie et Courat. Les trois autres se consacrent au remorquage. Le poids numérique des bateaux de la compagnie des « mouches » est de loin le plus important. Il surclasse toute autre entreprise sur la Saône. Surtout en 1868 lorsque s'arrête le service de la société Paret et Mettrieux. D'une certaine façon, la Saône appartient aux « mouches » qui sont en passe de laisser une empreinte durable sur le patrimoine fluvial lyonnais.

Le diagramme ci dessous montre le nombre annuel de voyageurs transportés par la compagnie entre 1863 et 1872. Les données manquent pour les années 1864 et 1870 mais il est tout de même possible d’interpréter les tendances. En 1863, le nombre de voyageurs transportés atteint 2 700 000. C'est un énorme succès et les « mouches » montrent à quel point le transport intra-urbain peut être lucratif. Dès la fin de l'année 1863, d'autres entrepreneurs attirés par les bénéfices d'une telle entreprise se lancent dans des services analogues, drainant ainsi une partie des clients des « mouches ». Le nombre de voyageurs transportés par la compagnie baisse alors jusqu'en 1867, date à laquelle elle écarte toute concurrence de son service intérieur. En 1868, les voyageurs n'ont d'autre choix que d'emprunter les « mouches » pour remonter où descendre la Saône dans la traversée de la ville. Le nombre des clients de la compagnie augmente, dépassant l'année 1863. Après 1868, la hausse est spectaculaire, en 1871, le nombre de voyageurs transportés atteint même le record de quatre millions. Les données concernant les années suivantes manquent malheureusement.

Illustration 11 État des bateaux à vapeur qui naviguent sur la Saône de 1867 à 1869 (A.D.R., S 1893-1895).

La Compagnie des « mouches » s'impose complètement dans le transport fluvial lyonnais. La raison de ce succès tient en partie de l'expérience des hommes dirigeant l'entreprise. Chaize et Plasson n'en sont pas à leur premier coup d'essai quand ils se lancent dans le transport en commun. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le transport par bateaux-mouches est globalement un succès. Il suffit de regarder la situation de Paris en 1867 et de Marseille en 1880 (cf. annexe 10) où le lancement des omnibus flottants est un succès. Le succès de l'entreprise à Lyon tient également d'une stratégie efficace assurant la domination des « mouches » sur la Saône. Dans le rapport de force qui oppose les bateaux à vapeur omnibus aux autres entreprises de transport intra-urbain, les concurrents de Chaize et Plasson sont rapidement mis en échec.

L'ascension de la Compagnie des bateaux à vapeur omnibus passe ainsi par le développement rapide de cette dernière et surtout par le contrôle progressif qu'elle exerce sur la Saône. Dans le secteur des transports elle devient un concurrent redoutable. Quel rapport les Lyonnais entretiennent-ils avec ce nouveau mode de transport ?

3. Les Lyonnais et le service des

bateaux omnibus

Jusqu'à ce que la concurrence du tramway s'intensifie à partir des années 1880 (c. f,

partie 4) et fasse de ce nouveau mode de transport un sérieux concurrent des bateaux omnibus, les « mouches » s'imposent largement dans le secteur des transports lyonnais. Rappelons qu'à Lyon les transports se développent rapidement dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1866, l'ingénieur en chef constate que « la circulation à[...] presque triplé en trois ans » pour dépasser les huit millions de voyageurs transportés1. Nous sommes dans

une période de développement général des transports en commun lyonnais. En 1855, la ville voit la création de la Compagnie lyonnaise des omnibus qui porte le nombre de voyageurs transportés de 25 000 en 1855 à 3 176 000 en 18622. Le 3 juin 1862, la première

ficelle funiculaire au monde dédiée au transport de voyageurs (cf. annexe 33) est inaugurée à Lyon. Elle transporte 6 000 voyageurs dès le lendemain de son ouverture. En 1864 la ligne s'étend jusqu'à Sathonay3. En 1863, les « mouches » se lancent à l'assaut de la

Saône et embarquent 2 700 000 voyageurs4. En 1864, d'autres se lancent dans le transport

fluvial, imitant Chaize et Plasson. Dans ce contexte, l'historien est amené à s'interroger sur la place de la Compagnie des bateaux à vapeur omnibus dans le quotidien lyonnais. Étudier le rapport entre les clients et le service des « mouches » revête une approche culturelle qui nécessite de se focaliser davantage sur le voyageur. C'est pourquoi je consacre un premier temps à l'étude du service des mouches dans le quotidien lyonnais avant de m'intéresser dans un second temps aux aspects culturels de ce service.

1 A.M.L., 925 WP 225, Rapport au conseil municipal, le 21 février 1866.

2 A.M.L., 342 WP 040, Renseignements statistiques de la compagnie des « mouches », le 30 novembre 1873.

3 Racine, Roland, Les transports en commun à Lyon, Alan Sutton, Paris, 2008, p. 7. 4 A.M.L., 925 WP 225, Rapport au conseil municipal, le 21 février 1866.

A) La compagnie des « mouches » dans le

quotidien des Lyonnais

Si les « mouches » s'imposent sur la Saône, c'est bien parce que le service répond à un besoin réel de la population. Pour répondre à ce besoin, la compagnie adopte un fonctionnement sur lequel il est intéressant de s'attarder. L'étude de ce fonctionnement permet de rendre compte du caractère quotidien du service pour une partie de la population. Une autre partie de la population est attirée par le pittoresque des « mouches » qui offrent une balade sur l'eau particulièrement appréciée le dimanche quand il fait beau.