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Le 10 avril 1912, Monsieur Baugé, directeur du service des bateaux parisien adresse une lettre au maire de Lyon dans laquelle il indique sa volonté de racheter le matériel des bateaux omnibus. « En constituant une société qui engloberait ce service et le mien, on créerait, à mon avis, une affaire très viable. »3. Le but est ainsi de remettre en

1 A.M.L., 961 WP 177, Délibération du conseil municipal, le 16 septembre 1907. 2 A.M.L., 961 WP 177, Lettre du maire, le 13 février 1913.

place un service que l'OTL abandonne. Un projet est établi avec des places à cinq centimes. Le service intérieur s'étend de Bellecour à Vaise et le service de banlieue de Vaise à Saint- Rambert. L'annexe 42, montre le projet envoyé au maire de Lyon. Seulement pour atteindre ce but, il faut que la compagnie propriétaire du matériel flottant consente à ne pas insérer dans la vente toute restriction sur le mode d'utilisation du matériel. Monsieur Bougé demande alors au maire Herriot d'avoir recours à son influence pour obtenir de la Compagnie lyonnaise de transports une vente à option sans restriction. Or le maire répond qu'il n'a aucun moyen d'obliger la compagnie à procéder à ce type de vente. Les administrateurs de l'OTL, qui sont les mêmes que pour la Compagnie lyonnaise de transport, empêchent toute perspective de reprise du service public.

Après la Première Guerre mondiale, les projets de reprises se portent ainsi autour d'un service de transport touristique. En 1928, la Compagnie des Abeilles « bateaux à vapeur d'excursion entre Lyon et l’île barbe » propose un service de voyageur mais le transport de passagers par bateaux n'est plus du tout d'intérêt général, il est destiné à l'excursion touristique. Lorsque la Compagnie des Abeilles demande à la ville d'installer l'éclairage sur les bas ports en amont du pont La Feuillée et en amont du pont Tilsitt, l'ingénieur en chef émet un avis défavorable dans son rapport. Cet éclairage ne servirait, en effet qu'aux voyageurs empruntant les bateaux pour excursionner sur la Saône. Il précise toutefois que « si l'administration estimait devoir encourager cette entreprise au titre du tourisme, cette amélioration pourrait être réalisée, mais il nous semble qu'il y aurait lieu de prélever la dépense correspondante sur la taxe spéciale réservée pour favoriser le tourisme et intéresser les visiteurs étrangers. »

Enfin, notons la restructuration du service des « mouches » avant même la suppression du service. La seconde moitié du XIXe siècle est une période de conflit entre la PLM et les compagnies de navigation autour de la gare d'eau de Perrache. La gare appartient à la PLM qui s'est engagée dans différents traités passés avec la ville à « ouvrir au commerce lyonnais une gare d'eau permettant le transbordement des marchandises de toute nature de la voie d'eau à la voie ferré et vice versa. ». Or la PLM refuse l'entrée libre dans la gare, « qui est fermée avec un pont flottant cadenassé et qu'elle n'ouvre qu'après formalité de demande, ce qui occasionne des retards alors que l'entrée de cette gare doit être libre. ». Elle a « établit un pont d'une hauteur insuffisante pour la desserte de ses ateliers. Pont sous lequel les bateaux ne peuvent passer pendant les hautes eaux[...], les

quais sont abordables nulle part[...]. La compagnie refuse de faire les travaux malgré des sommations réitérées »1. Dans le carton d'archive se référant au port Rambaud et à la

suppression de la gare d'eau de Perrache2, on trouve une lettre de la Compagnie des

bateaux à vapeur omnibus qui est alors en conflit judiciaire avec la PLM. Sur le papier lettre on distincte les activités de la compagnie (cf. annexe 43). Elles se sont diversifiées puisqu'elle effectue également un transport inter-urbain de voyageurs et de marchandises. La lettre date de 1907, la Compagnie des bateaux omnibus appartient déjà à la Compagnie lyonnaise des transports mais elle a conservée son nom.

La suppression du service des « mouches » s'explique ainsi par la rivalité qui règne à Lyon entre les compagnies de transport urbain d'une part, et entre le rail et la navigation d'autre part. La fin du service des bateaux omnibus est s'explique par la stratégie de développement menée par l'OTL. Avec la disparition des « mouches » disparaît un service public de transport en commun. Malgré l'utilité du service pour la population, la municipalité est dan l'incapacité d'empêcher cette suppression. On voit à quel point la concession est un outil de contrôle pour l'administration locale. C'est précisément parce que la compagnie exploitant les « mouches » n'est liée à aucune concession qu'elle peut supprimer librement un concurrent.

1 A.M.L., 961 WP 63, Extrait du bulletin municipal officiel de la ville de Lyon, 28 août 1904. 2 A.M.L., 961 WP 63.

Conclusion

L'étude géohistorique du transport de passagers dans l'agglomération lyonnaise permet ainsi d'expliquer la longévité du service entrepris par les « mouches ». L'entreprise s'inscrit très rapidement dans le quotidien des Lyonnais. Dans une période de divorce progressif entre la ville et ses cours d'eau, le service des « mouches » maintient un lien entre la Saône et les habitants. L'espace fluvial est bien plus qu'un simple cadre spatial. On observe une superposition de l’espace urbain à l'espace fluvial, ce qui entraîne des frictions entre les acteurs de la gouvernance urbaine, de plus en plus diversifiés. La singularité de l'espace fluvial est en mesure d'offrir un cadre de développement à l'entreprise de Chaize et Plasson. L'administration des cours d'eau, associée à une stratégie d'entreprise efficace permet à la Compagnie des bateaux à vapeur omnibus de se constituer un monopole sur la rivière.

La création du service est liée au progrès technique et à l'innovation. C'est bien le développement de la machine à vapeur et son adaptation à la navigation qui permet de rendre possible le service. Dans une période où les roues à aubes équipent de nombreuses embarcations fluviales, Chaize et Plasson font le choix de l'hélice comme moyen de propulsion. Le concours lancé à Paris pour la concession du service de transport montre la supériorité technique des « mouches » par rapport aux prototypes adverses, tous équipés de roues à aubes. De la même façon que l'innovation technique permet à la Compagnie des « mouches » de proposer un service plus efficace que celui des voitures omnibus, on pourrait penser que l'installation du tramway et son électrification sonne le glas des bateaux omnibus. Or il faut bien prendre en compte le contexte de rivalité entre le rail et la navigation d'une part, et entre les transporteurs lyonnais d'autre part. C'est cette concurrence qui explique la suppression des bateaux omnibus et la restructuration du transport fluvial vers le tourisme.

Bien que le service des « mouches » soit partie intégrante du patrimoine lyonnais, l'histoire de ces bateaux à vapeur omnibus est très peu connue. Aujourd'hui, il ne reste que des cartes postales et quelques passionnés pour témoigner d'un patrimoine méconnu du grand public. Lors de mon travail de recherche, j'ai contacté Chantale Descourt, descendante de Louis Elizée Chaize en imaginant qu'elle aurait probablement un trésor de documents à me montrer. Très peu de choses ne lui reste de cet ancêtre si ce n'est une

médaille de la légion d'honneur. L'histoire familiale raconte qu'elle aurait été décernée à Chaize pour les services rendus par les bateaux à vapeur omnibus durant la guerre de 1870. Une « légende familiale » selon Madame Descourt. Ce que je retiens surtout de notre discussion, c'est le relatif oubli de Chaize et des « mouches » au sein même de la famille. Madame Descourt qui a plusieurs petits-enfants me confia en effet que le nom de Chaize n'évoque aujourd'hui que peu de choses pour ses enfants et petits-enfants. Cela rend bien compte du relatif oubli des « mouches » dans l'esprit populaire.

Néanmoins, le processus de reconquête des fleuves a fait naître un intérêt nouveau pour les cours d'eau urbains1. Les pouvoirs publics tendent à revitaliser les fronts d'eau

dans le but de connecter les Lyonnais à l'espace fluvial. Au début des années 1990, le conseil de la Courly2 adopte le schéma d'aménagement des berges de la Saône et du Rhône

ou « plan bleu ». En avril 2012, une navette fluviale est inaugurée en même temps que le centre commercial de Confluence. Il relie le quartier à Saint-Paul avec un arrêt à Bellecour. Ces nouveaux plans d'aménagement amènent ainsi à interroger davantage le passé de la navigation fluviale urbaine.

L'étude du service des mouches permet d'une certaine manière de relativiser l'actuelle rapprochement des Lyonnais à leurs cours d'eau. L'espace fluvial n'est plus un vecteur d'identité de quartiers. La réappropriation des fleuves passe en effet par des plans d'aménagements qui tendent à construire des espaces impersonnels et uniformes. Dans ces conditions, la reconquête des cours d'eau est davantage celle des pouvoirs publics que des habitants. Les cyclistes et les passants longeant les quais suivent des promenades qui se ressemblent d'une ville à l'autre. L'aménagement urbain, entrepris comme une vitrine de la ville, efface paradoxalement l’identité liée au lieu.

Les Vaporetto ne peuvent être envisagés comme un moyen de transport en commun quotidien. Le rapprochement des Lyonnais à la Saône d'un point de vue du transport fluvial

1 Backouche, Isabelle. La trace du fleuve : la Seine et Paris (1750-1850). Paris, Éditions de l’École des Hautes études en sciences sociales, 2000. Berque, Augustin. « Tokyo : une société devant ses rivières ».

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passe par la création d'un service véritablement intégré au réseau de transport urbain. Or le S.Y.T.R.A.L. (Syndicat mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération Lyonnaise), qui est l'autorité organisatrice des transports en communs à Lyon1 n'envisage pas de relier

un service de navette fluviale aux réseaux de transport TCL. La qualité du maillage actuel de l'hyper-centre est en effet satisfaisante et ne justifie pas d'investissements supplémentaires2. La fin du service des « mouches » marque la rupture entre les Lyonnais

et l'espace fluvial.

1 Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques. Les transports publics urbains en France: organisation institutionnelle, Paris, La Défense, 2002, p. 12.

2 Lefêvre-Leroudier, Élodie, Regal, Philippe, Soria, Olivier et Valantin, Marion, « Argumentaire relatif à la mise en place d'un transport en commun fluvial sur l'axe Saône/Rhône dans le cadre de la reconquête des cours d'eau urbain », Master 2 : Éthique et développement durable, 2013.

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