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Durant plusieurs années, le conflit ne trouve aucun aboutissant, ce qui profite à la compagnie puisqu'elle ne paye pas de redevance à la municipalité et cela « malgré les très nombreuses protestations formulées par les diverses administrations et par les conseils municipaux qui se sont succédé depuis 1873, époque où a pris fin le dernier traité passé avec la compagnie des Mouches. »1. En 1880, le conseil municipal fixe le droit perçu à 5

francs par mètre carré occupé par les pontons, ce qui représente moins de 5 000 francs, et demande cette fois l'autorisation de l'administration centrale1. La délibération est

accompagnée d'une note explicative de l'ingénieur ordinaire sur le droit de stationnement à établir sur les pontons à voyageurs : « Après une longue instruction et après avis du conseil d'État, il a été admis en principe que la ville de Lyon ne pouvait pas établir elle-même un droit de stationnement sur le domaine public fluvial, mais qu'elle pouvait être autorisée par règlement d'administration publique à percevoir un droit modéré sur les surfaces occupées par les pontons sur la rivière. Il a été ensuite reconnu d'un commun accord, par le service de la navigation et le service municipal, que ce droit pouvait être équitablement fixé à 5 francs par mètre carré et qu'il devait être appliqué suivant les bases d'un métré contradictoire établi par les deux services. »2. Un projet de règlement d'administration

publique est ainsi établit par l'ingénieur ordinaire et approuvé par les ingénieurs en chef du service municipal et du service spécial du Rhône (cf. annexe 34) et soumis au ministre des Travaux publics.

Les ministères eux-même n'arrivent pas à trancher sur le bien fondé de ce droit. La dépêche du 24 octobre 1883 de David Raynal, ministre des Travaux publics adressée à son collègue de l'Intérieur fait état de cette situation. « A l'époque où le dossier de cette affaire est parvenu à mon prédécesseur, les départements de l'Intérieur, des Travaux publics et des Finances qui n'avaient pu se mettre d'accord sur l'étendu du droit conféré aux communes[...] avaient invité le conseil d’État à trancher la question. Mon prédécesseur jugea donc indispensable d'attendre pour examiner la suite à donner à la demande de la ville de Lyon, que le conseil d’État eut formulé son avis. Cette assemblée, dans la séance du 30 novembre 1882 a exprimé l'opinion que les deux lois indiquées plus haut [lois du 11 frimaire an VII et du 18 juillet 1837] n'ont point données aux communes le droit de percevoir des redevances à l'occasion des occupations qui entraînent une emprise sur le domaine national ou qui modifient l'assiette »3. La dépêche du ministre de l'Intérieur agite

fortement le conseil municipal puisqu'elle propose de baisser le tarif des droits à un franc au lieu de cinq, suivant les tarifs en vigueur à Paris (cf. annexe 35) mais surtout d'attribuer le profit de la taxe non plus à la ville de Lyon mais à l’État puisqu'il classe les pontons dans la catégorie des occupations constituant une emprise sur le domaine public.

1 A.M.L., 342 WP 040, Délibération du conseil municipal, le 3 juin 1880. 2 Ibid.

L'affaire prend définitivement fin en 1885, lorsque le conseil d’État donne finalement raison à la Ville de Lyon. Charles Barry, l'avocat de la ville dans l'affaire annonce au maire Gailleton dans une lettre du 13 août 1885 « l'issue favorable devant le conseil d'État, de notre affaire des droits de stationnement sur la Saône. Il ne manque plus que la signature du Président de la République pour que cette vieille affaire soit enfin terminé. »1 Pendant plus de dix ans, la compagnie des bateaux à vapeur omnibus est ainsi

exonérée de redevance. Bien loin des 70 000 francs versés en 1866 et 1867, la nouvelle taxe d'environ 5 000 francs ferme cependant la page d'un très long confit qui a fait intervenir un large éventail d'acteurs de la gouvernance urbaine. Les acteurs économiques, les pouvoirs municipaux, les ingénieurs, l’État et enfin le public de façon indirecte qui apparaît fréquemment dans les arguments visant à protéger « l’intérêt du public ». La chronologie suivante reprend les grandes étapes de ce conflit.

La nouveauté du service et son succès immédiat entraîne ainsi toute une série de conflits remontant jusqu'au plus haut niveau de l'administration. l'interprétation de la loi diffère selon les intérêts et selon la formation. La municipalité, les ingénieurs et les acteurs économiques jouent un rôle de plus en plus important dans l'administration urbaine et ils ont une plus grande influence sur les politiques publiques. Le service de transport par sa nouveauté et par la spécificité de l'espace sur lequel il s'exerce, entraîne de nouvelles problématiques.

Le concept de gouvernance urbaine permet ainsi de mettre à jour la fragmentation et parfois la superposition des compétences entre des acteurs qui eux-mêmes se transforment et se diversifient. Patrick Le Galès, politiste et sociologue renommé1, parle

même de « l'incohérence »2 pour désigner ce phénomène. Cette fragmentation recompose

les rapports entre les acteurs, de manière verticale, de l’État central à la municipalité, mais aussi de façon horizontale, au sein des localités. Cet élément est déterminant dans la compréhension de l'administration du transport fluvial des bateaux mouches et des conflits que génèrent une telle activité. L'utilisation du concept de gouvernance est bien pertinente en histoire urbaine. En analysant le poids des différents acteurs locaux, « on révèle les interactions existant entre le gouvernement et la société, la gouvernance ne se limitant pas en l'action de l’État. »3. La gestion du service va ainsi de pair avec la gestion politique de

l'espace urbain.

Si l'on se focalise sur les acteurs économiques de l'espace rhodanien, on retrouve également un ensemble complexe de relations et de conflits d'intérêts entre, d'un côté les exploitants des omnibus de terre et des premiers chemins de fer intra-urbains, et de l'autre, les exploitants des bateaux omnibus. Associé au progrès technique, cette rivalité entraîne la progressive disparition du service des « mouches »

1 Il a reçu la médaille de bronze du CNRS en 1996, le prix Stein Rokkan en 2002, le prix d'excellence de la recherche en science politique de la Fondation Mattei Dogan en 2007 et il est le premier français élu

Corresponding Fellow de la section de science politique de la British academy en 2011.

2 Le Galès, Patrick, op. cit., p. 60.

3 Estelle, « Gouvernance urbaine et acteurs économiques dans la ville du XIXe siècle, la bataille de l'excrément à Grenoble », In, Dumons, Bruno et Zeller, Olivier, Gouverner la ville en Europe, du Moyen-

Quatrième partie : La fin d'un