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Afin de s'assurer progressivement un monopole sur le fleuve, la Compagnie des bateaux à vapeur omnibus adopte une stratégie efficace qui vise à louer le matériel des concurrents afin de l'exploiter à son compte. En plus d'avoir un contrôle sur la concurrence, la compagnie des « mouches » s'assure une flotte plus importante. En effet, sur les dix-sept bateaux que compte la compagnie en 1865, elle n'est propriétaire que de huit. Plus de la moitié de sa flotte est ainsi obtenu par location.

En janvier 1866, la compagnie passe un accord avec les « guêpes »1. À l'issue de ce

traité, M. Salmon qui exploite alors son service sous le nom de la Compagnie des guêpes, cède en location son matériel flottant, c'est-à-dire ses bateaux et ses pontons, à la compagnie des « mouches ». « La compagnie des guêpes cède à la Cie des bateaux à vapeur omnibus qui accepte et qui exploitera à son lieu et place[...], son service de voyageurs par bateaux à vapeur omnibus dans la traversée de Lyon et dans la banlieue de cette ville »2. Le traité est valable pour un an et onze mois, du 1er février 1866 au 31

décembre 1867. Salmon est probablement lié aux compagnies des « parisiens » et des

1 A.M.L., 925 WP 225, lettre de M. Thiésard au conseil municipal, le 10 février 1868.

2 342 WP 041, Dossier « Compagnie des guêpes », traité entre les compagnies des « guêpes » et des « mouches », le 7 janvier 1866.

« hirondelles » puisque durant toute la durée du traité, la compagnie des mouches «  s'interdit [...] de faire concurrence sur la Saône entre Lyon et Chalon à la compagnie des Parisiens et sur le Haut Rhône à la Cie des Hirondelles, à moins que ce ne soit à titre de représailles »1. Le transport inter-urbain n'intéresse plus Chaize et Plasson qui comprennent

que l'intra-urbain est bien plus lucratif.

Dans sa dépêche du 24 novembre 1865 au préfet du Rhône, le ministre de l'Agriculture du commerce et des travaux publics évoque que « dans l'état actuel de la navigation de la Saône, l’intérêt de la sécurité publique exigeait qu'il ne fut accordé qu'une seule autorisation d'exploiter la traversée de Lyon avec des bateaux à vapeur omnibus, mais qu'il convenait également d'accorder à la compagnie qui serait autorisée, une simple permission de voirie, révocable à volonté, de manière à éviter de constituer au profit de cette compagnie, un monopole irrévocable »2. Après la location du matériel des « guêpes »,

la compagnie des « mouches » obtient l'autorisation d'exploiter exclusivement un service de transport. L'article premier de la convention qu'elle passe avec la ville le 21 août 1866 stipule en effet que la compagnie des omnibus est « seule autorisée à exploiter le service, dans la traversé de Lyon et dans sa banlieue. » et « à installer les pontons nécessaires et leurs accessoires »3.

La stratégie de la compagnie est ainsi de ne pas reconduire le contrat passé avec Salmon puisque les « guêpes » ne peuvent plus renouveler leur autorisation avec la ville. Lorsque le contrat de location arrive à expiration en décembre 1867, la compagnie des « mouches » remet la compagnie des guêpes en possession de ses bateaux et de ses pontons. Thiésard, le nouvel administrateur des « guêpes » proteste vivement contre cette stratégie dans une lettre adressée au conseil municipal en février 1867. Thiésard, au nom de la compagnie qu'il dirige « se réserve de se pourvoir devant l'autorité compétente contre la concession d'un monopole qui blesse à la fois l’intérêt général et tous les principes proclamés par le Gouvernement pour assurer la liberté du Commerce et de l'industrie ; mais il croit devoir vous dénoncer avant tout le traité qui oblige la ville de Lyon envers Lyon, afin que dans l'ignorance de son droit, vous ne donniez pas votre approbation à la convention par laquelle la ville de Lyon est sur le point de concéder à la compagnie des Mouches le privilège exclusif de stationnement des pontons dans l'intérieur de Lyon, sans

1 Ibid.

2 A.M.L., 925 WP 225, Dépêche ministérielle, le 24 novembre 1865. 3 A.M.L., 343 WP 040, Traité de concession, le 21 août 1866.

tenir compte de la concession antérieure dont il est bénéficiaire et dont la violation ferait naître incontestablement à son profit une action en dommages et intérêts contre la ville. »1.

Le 13 mai 1868, un arrêté réglementant le service intérieur accorde l'exclusivité aux « mouches » donnant ainsi fin à l'autorisation des « guêpes ». Thiésard persiste à continuer son service intérieur malgré l'interdiction. Bonne s'en plaint en notant toutefois que les préjudices causés par cette concurrence à sa compagnie sont « insignifiants »2. Thiésard

s'avoue vaincu dans la traversée de Lyon en abandonnant définitivement son service à la fin du mois de juin. Il demande néanmoins au préfet l'exploitation exclusive du service de Collonge « faible réparation du préjudice que me cause le traité fait entre la ville de Lyon et la Compagnie des Mouches. »3

Cette stratégie, la compagnie des bateaux à vapeur omnibus l'adopte avec tous ses autres concurrents. Concernant le service établi par Magnard et Liant « La Cie des Mouches se préoccupe de cette concurrence, et la fait cesser en louant ces deux bateaux, d'abord au prix de 27 000 francs, et ensuite au prix de 15 000 francs. Ces redevances comprenaient à la fois la location des bateaux et l’indemnité à payer au sieur Magnard, pour qu'il consenti à ne pas faire usage de son autorisation. Il paraît que ce traité n'a pas été renouvelé. »4. Eugène Liant loue son bateau et ses services du 29 juillet au 31 décembre

1867. Après le mois de décembre il demande l'autorisation d'établir un service de banlieue entre Saint-Antoine et Oullins avec son bateau L'Abeille5. Louis Deleste est dans la même

situation que son associé : « Il y a trois ans et demi, j'avais loué mon bateau à la compagnie des mouches en vertu d'un bail qui a pris fin il y a six mois. Pendant la durée de ce bail, les mouches ont obtenus le droit exclusif du parcours de Lyon. ». Les Mouches « n'ont plus voulu renouveler le bail avec moi. Me voilà donc dépourvu d'un droit acquit sans aucune indemnité. »6. Le 11 juin, il loue en effet le Jacquard à la compagnie des « mouches » qui

ne renouvelle pas le contrat au 31 décembre 1867. Enfin, dans le cas du Jean Bart, exploité par Joseph Olivier, la compagnie procède simplement au rachat. En 1866 il est ainsi intégré à la flotte. « Le matériel appartenant en propre à la Cie des omnibus par eau sur la Saône se compose[...] et d'un bateau à aubes le Jean Bart qui a été acheté de Mme Olivier. »7

1 A.M.L., 925 WP 225, lettre de M. Thiésard au conseil municipal, le 10 février 1868. 2 A.M.L., 925 WP 225, lettre de Bonne au préfet, juin 1867.

3 A.M.L., 925 WP 225, lettre de M. Thiésard au préfet, le 7 juillet 1867. 4 A.M.L., 925 WP 225, Situation des omnibus par eau au 1er janvier 1866. 5 A.M.L., 342 WP 041, dossier « l'abeille n°1 ».

6 A.M.L. 925 WP 225, Lettre de Louis Deleste, le 18 aout 1868.

La compagnie des « mouches » chasse ainsi progressivement toute concurrence de son service intérieur et s'impose, avec l’appuie des pouvoirs publics pour « l'intérêt de la sécurité publique »1, comme la seule entreprise de transport de voyageurs dans la traversée

de Lyon.