• Aucun résultat trouvé

La dernière décennie du XIXe et le début du XXe siècle est paradoxalement la période qui laisse le moins de trace dans les archives consultées. Il est plus aisé de suivre la croissance du service de transport fluvial que sa décadence. Néanmoins les délibérations du conseil municipal dans les années 1900 sont une aide précieuse1. Les débats parfois

houleux entre les membres sont riches en informations et rendent compte des rapports complexes qu'entretiennent les acteurs économiques. Le conflit entre l'eau et le rail qui avait joué en la défaveur de la navigation au milieu du XIXe siècle2 s'étend au transport

intra-urbain. Dans un premier temps Chaize et Plasson n'ont aucune difficulté à imposer les bateaux omnibus. L'entreprise devient même l'un des plus gros transporteurs de voyageurs dans la traversée de Lyon (cf. illustration 19 p. 50). Cependant, à la fin du XIXe siècle, la concurrence du rail dans le transport intérieur devient de plus en plus agressive. Alors que la navigation à vapeur connaît un nouveau souffle après la mise en place du plan Freycinet en 18783, le transport des « mouches » fait face à une plus grande concurrence. Le 19

décembre 1911, le conseil municipal autorise le maire à provoquer une conférence réunissant les représentants des compagnies de navigation des villes intéressées au rétablissement de la navigation pour touristes sur le Rhône. La même année, les participants de la réunion du congrès de navigation à Lyon insistent sur la nécessité de mettre en place une promenade fluviale au moyen de bateaux à vapeur4. Alors que les

aménagements du Rhône profitent au transport inter-urbain qui se restructure, le transport intérieur traverse une période de difficultés. En 1911, le service des « mouches » est déjà tombé entre les mains de la société des Omnibus et tramway de Lyon (OTL), anciennement Compagnie lyonnaise des omnibus (CLO), qui s'évertue de mettre fin à ce service. La situation de la navigation inter et intra-urbaine par rapport au début de la période étudiée

1 A.M.L., Carton: « cessation du service des bateaux omnibus ».

2 Combe, Jean-Marc, Bernard Escudié, Jacques Payen, et Jean-Claude Charpentier, op. cit., p. 188. 3 Ibid., p. 11.

(cf. p. 28), s'est ainsi inversée.

Le progrès technique joue un rôle important. Après la mise en place du tramway dans les années 1880 et surtout après les améliorations techniques qui sont appliquées à ce nouveau mode de transport, l'ancienne Compagnie lyonnaise des omnibus, qui avait tant souffert de la concurrence des « mouches », est en mesure de racheter le service initialement crée par Chaize et Plasson pour écarter définitivement un vieux concurrent. La fin du service de transport en commun fluvial à Lyon est ainsi liée au développement du chemin de fer urbain. De la même façon que le PLM1 est venu à bout de la navigation

fluviale sur le Rhône, le tramway vient à bout des bateaux-mouches de la Saône. L'étude de la fin du service des « mouches » passe ainsi par une étude du développement du tramway à Lyon.

On aurait cependant tort d'attribuer au tramway en tant que tel, l'entière responsabilité de la suppression des « mouches ». Bien qu'il constitue une concurrence plus ardue pour une entreprise qui domine alors le transport intérieur lyonnais, l'efficacité technique des tramways n'explique pas à elle seule la fin du service fluvial. Les habitants de Lyon et les services publics restent attachés à un transport qui, au début du XXe siècle, rend encore bien des services à la population. Pour preuve le nombre de voyageurs transportés en 1905 qui, avec l’année 1871, constitue un record. Ces deux années, les « mouches » transportent en effet plus de quatre millions de personnes2.

Pour expliquer cette fin brutale, il faut prendre en considération le climat de rivalités et de tensions qui existe en France depuis le début du siècle autour de la navigation à vapeur. Depuis les premiers essais de la fin du XVIIIe siècle, la navigation suscite des réactions hostiles. Avant de remonter la Saône le 15 juillet 1783 avec son pyroscaphe (cf. annexe 24), le Marquis Jouffroy d'Abbans essuie plusieurs tentatives de sabotages3. Plus tard, lorsque la vapeur est utilisée pour le remorquage, c'est avec les

« modères » que des conflits éclatent. Cette puissante corporation qui possède le monopole de la traversée de Lyon par halage (cf. annexe 26), voit d'un très mauvais œil les premiers

1 Le P.L.M. désigne la Compagnie des Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerrannée. Depuis sa création en 1857 jusqu'à sa nationalisation en 1938, c'est l'une des plus importantes compagnies ferroviaires de France.

2 Charbonnier, Romain, et André Vincent, op. cit., p. 42. Racine, Roland, Les transports en commun à

Lyon, Paris, Alain Suton, 2008, p. 12.

bateaux à vapeur qu'elle sabote dans les années 18201. Enfin, lorsque le chemin de fer se

développe, les milieux politiques et économiques se divisent souvent entre les tenants du rail et ceux de la navigation. Pour comprendre l'action des dirigeants des compagnies de tramways, qui mettent fin de façon brutale au service de transport par voie d'eau, il faut prendre en compte cette vieille rivalité. Dans un premier temps je me centre donc sur le développement du rail dans le milieu du transport collectif urbain avant de m'intéresser dans un second temps à l'action des entrepreneurs du rail.

1. La concurrence du rail

Lorsque la navigation prend son essor après les essais concluant du Pionnier (cf. p. 63) sur le Rhône et que les plus grands espoirs animent les entrepreneurs de la batellerie à vapeur, un « concurrent inattendu »2 fait son apparition : le chemin de fer. A l'origine, le

rail est pourtant envisagé comme un moyen de mettre en communication un centre industriel avec une voie navigable. L'objectif est alors de seconder la navigation à vapeur. C'est d'ailleurs dans cet objectif qu'est ouvert la ligne reliant Saint-Étienne à Lyon au début des années 18303. L'objectif est dépassé lorsque l'on envisage la construction d'une ligne de

Paris à Marseille par Lyon. L'opposition entre la batellerie et le chemin de fer prend des allures de conflits économiques et politiques4. Les sociétés de navigation se regroupent au

sein de la Compagnie générale de navigation en 18555 tandis que les plus importantes

sociétés de transport ferroviaire fusionnent au sein de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM) en 18576. Au sein de l'Assemblée nationale, les

deux industries ont leurs représentants. Lors d'une séance de 1851 au sujet de la concession des lignes de chemin de fer de la vallée du Rhône un député déclare : « Il y a une industrie très considérable, l'industrie de la navigation par le Rhône : elle emploie 54 bateaux à vapeur. Vous allez la tuer. Mieux que cela, vous allez donner à une industrie rivale les

1 Charbonnier, Romain, et André Vincent, op., cit. p. 36.

2 Rivet, Félix, « Le conflit entre la batellerie et le chemin de fer à Lyon au début du XIXe siècle », Revue

de géographie, Vol. 24 n°2, 1949. pp. 98.

3 Ibid.

4 Ibid, pp. 97-107.

5 Le Sueur, Bernard, op. cit.

6 Chaintreau, Jean, Cuynet, Jean et Mathieu, George, Les chemins de fer : Paris-Lyon-Marseille, Paris, La Régordanne et La vie du rail, 1993.

moyens de la tuer... Vous n'avez pas le droit de le faire... C'est une spoliation. »1.

A Lyon, où la navigation à vapeur est le fait de d'hommes d'affaires puissants, le conflit est particulièrement tenace. Lorsque le rail fait son apparition dans la ville, d'abord dans les années 1860 avec l'inauguration du funiculaire de la Croix-Rousse (cf. annexe 33) et celle du chemin de fer de Lyon à Sathonay, mais surtout dans les années 1880 lorsque les premiers tramways sont expérimentés, cette rivalité est toujours présente dans l'esprit des entrepreneurs. N'oublions pas que Chaize et Plasson, avant de créer la Compagnie des bateaux à vapeur omnibus, sont déjà des acteurs de la navigation rhodanienne puisqu'ils dirigent chacun des compagnies de transport. Au même titre que dans la navigation inter- urbaine, la concurrence entre les deux industries tourne vite à la faveur du rail et de sa supériorité technique.

Dans ces conditions, l'historien est amené à s'interroger sur le rôle du chemin de fer urbain dans la suppression du service des « mouches ». Pour répondre à cette interrogation, je m'intéresse dans un premier temps à l'apparition du rail dans le transport urbain lyonnais avant de me focaliser sur le développement technique de ce transport.

A) L'essor du rail

L'essor du chemin de fer est évoqué du point de vue du transport intérieur. Dans l'agglomération lyonnaise, c'est surtout à la fin du XIXe siècle que le rail s'impose. Les inaugurations du service de la Croix-Rousse et de Sathonay dans les années 1860 marquent l'apparition des voies ferrées dans le transport urbain. Néanmoins, ces deux nouveaux modes de transports représentent une concurrence presque négligeable pour le service des « mouches » qui conserve une position stratégique sur la Saône. C'est surtout lorsque les premières lignes de tramway sont inaugurées que la concurrence entre le rail et l'eau apparaît véritablement. Au même titre que dans le transport inter-urbain, la connexion entre l'eau et le rail est un échec.