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Les délibérations municipales du début du XXe siècle rendent bien compte de l'impuissance des pouvoirs publics face aux décisions des entrepreneurs du rail. En 1907,

1 A.M.L., 961 WP 177, Article découpé dans Le salut public, le 18 juin 1913.

Illustration 44: Article découpé dans Le salut public du 18 juin 1913

plusieurs pontons sont supprimés 48 heures seulement après que le public ait été prévenu. Monsieur Renard dans la séance du 16 septembre 1907 évoque ainsi ce « laps de temps trop court [pour les usagers] pour pouvoir intervenir auprès des pouvoirs publics ou même auprès de la compagnie[...]. La Compagnie n'est pas en droit de supprimer d'une façon aussi brusque les moyens de communication existant dans un quartier. Je suis convaincu qu'il y a quelques relations entre la compagnie des bateaux mouches et la compagnie OTL On a voulu obliger les voyageurs du quartier Pierre-Scize, comme ceux de Port Neuville [...] à prendre le tramway[...]. A mon avis, la compagnie a tort de vouloir établir un trajet rapide entre le pont La Feuillée et Vaise, car elle nous montre que l'esprit qui la fait agir est bien le même que celui qui anime la compagnie OTL dans des circonstances semblables. La Compagnie des bateaux mouches a l'intention d'établir un trajet direct entre Perrache et Vaise, en s'arrêtant peut-être à La Feuillée, mais en supprimant tous les débarcadères intermédiaires. En agissant ainsi, elle porte un grand préjudice aux habitants des deux rives de la Saône. »1.

De plus, une lettre du préfet du 18 février 1909 souligne que la compagnie « exploite le service librement, sans aucune autorisation, concession, allocation ou autre intervention directe de l'administration ; elle n'est soumise à aucun cahier des charges et doit se conformer aux règlements sur la police et la navigation. »2. En effet, la compagnie

exploite le service en vertu d'une simple autorisation préfectorale3. Dans ces conditions, la

compagnie s’affranchit de l'autorité administrative et reste libre de supprimer librement le service des bateaux omnibus.

Les inquiétudes de la municipalité sont fondées et la politique de l'OTL est régulièrement critiquée dans les délibérations du conseil municipal. La compagnie exploitant le service des bateaux omnibus « s'ingénie à rendre son service inaccessible au public, d'abord en établissant des départs qui n'ont plus lieu que toutes les quinze minutes au lieu de sept, ensuite en portant son tarif à 0,10 fr. au lieu des sections à 0,05 fr. Et vous allez voir, Messieurs, quel est le calcul de la compagnie. Pour que les bateaux-mouches travaillent, il faut maintenir les sectionnements à 0,05 fr. ; par conséquent la compagnie qui ne fait qu'une avec l'OTL perd 0,05 fr. par voyageur. Si au contraire, le tarif de 0,10 f. est maintenu, les bateaux ne feront plus rien. La population à intérêt cependant à ce que ce

1 A.M.L., 961 WP 177, Délibération du conseil municipal, le 16 septembre 1907. 2 A.M.L., 961 WP 177, Lettre du préfet au maire, le 18 février 1909.

moyen de transport continue à fonctionner à Lyon. »1.

La municipalité ne dispose d'aucun moyen pour empêcher l'OTL d'imposer ses décisions sur l'espace urbain. Le maire dans une note de 1909 témoigne de cette impuissance. « D'après un travail très complet qu'a bien voulu me communiquer M Chalumeau Ingénieur en Chef de la voirie, il résulte qu'à l'heure actuelle nous n'avons aucun moyen d'action pour contraindre la Cie à reprendre son service des Bateaux Mouches. Elle n'est liée par aucune concession et par conséquent elle est libre de reprendre et de suspendre ce service à son gré et comme ce service concurrence ses tramways elle a tout intérêt à le laisser péricliter et à le supprimer »2.

Les dirigeants de l'OTL s'imposent comme des acteurs de la gouvernance urbaine. Ils sont capables d'imposer leur décision à une municipalité qui ne dispose pas d'outils de contrôle efficaces. En utilisant le terme de gouvernance urbaine, on insiste ainsi sur le phénomène « d'impuissance publique » et de « privatisation de l'action publique »3. Ces

mutations dans l'administration urbaine expliquent la suppression du service des « mouches ». L'idée que la disparition des bateaux omnibus de l'espace fluvial lyonnais, soit liée à la concurrence du tramway électrique est communément admise. Les rares études sur le transport lyonnais qui consacrent une partie sur le service des « mouches »4

tendent à réduire les bateaux omnibus à un service que le tramway rend obsolète. Or il ne faut pas oublier que si « la population délaisse les bateaux pour le tram »5, c'est bien parce

qu'on l'y a forcé. En 1907, suite à la suppression d'une série de pontons « les quartiers de la rive droite de la Saône sont[...] privés du service des mouches depuis Saint-Jean jusqu'à Vaise. Sur tout ce long parcours, les habitants se trouvent obligés de prendre le Tramway. »6 Si la compétitivité des bateaux omnibus tend à diminuer face aux progrès

techniques du tramway, les « mouches » continuent néanmoins d'offrir un service d'une « utilité indiscutable »7 pour les Lyonnais. L'action des entrepreneurs du rail entraîne la

1 A.M.L., 961 WP 177, Délibération du conseil municipal, extrait du procès verbal de la séance du 29 mars 1809.

2 A.M.L., 961 WP 177, Note du maire, 1909.

3 Le Galès, Patrick, « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine », p. 60.

4 Borgé, Guy et Marjorie et Clavaud, René, Les transports à Lyon, du tram au métro. Arrivetz, Jean,

Histoire des transports à Lyon. Charbonnier, Romain, et André Vincent, Sujets bateaux: embarcations sur le Rhône et la Saône en région lyonnaise.

5 Charbonnier, Romain, et André Vincent, op. cit., p. 42.

6 A.M.L., 961 WP 177, Délibération du conseil municipal, le 16 septembre 1907. 7 A.M.L., 961 WP 177, Rapport au conseil municipal, le 1er décembre 1908.

suppression d'un service public efficace.

B) La suppression d'un service public

Au début du XXe siècle, le service des bateaux à vapeur omnibus continue d'avoir une place importante dans le transport à Lyon. C'est un service populaire et efficace. La suppression des « mouches » entraîne la fin d'un service populaire, inscrit depuis cinquante ans dans le transport. Les archives consultées laissent transparaître un certain attachement des Lyonnais aux bateaux omnibus. Après la mise à l'écart des « mouches » en 1913, il y a bien des tentatives de reprises mais la concurrence de l'OTL pousse à une restructuration du transport fluvial intérieur. Le service public de transport en commun fluvial est définitivement supprimé.