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L'espace fluvial urbain est un ensemble d'éléments dont l'administration diffère à mesure que l'on change d'échelle d’analyse. Autours du quai, du pont, du port, de la rivière se nouent une pluralité d'intérêts que reflète la pluralité de compétences liées à l'espace fluvial6. Progressivement intégrée au domaine public national, la rivière est soumise à

l'administration centrale. La domestication du fleuve et l'aménagement de l'espace fluvial comme voie de circulation, évoqués plus haut « est indissociable de l’affirmation que la

1 Ibid.

2 Genieys, William, Smith, Andy, Baraize, François, Faure, Alain et Négrier Emmanuel. « Le pouvoir local en débats. Pour une sociologie du rapport entre leadership et territoire », Pôle Sud, N°13 – 2000, pp. 103- 119.

3 Lépine, Bruno, Empreintes de maires, Lyon, EMCC, 2012, pp. 64-73. 4 Cayez, Pierre, op. cit., p. 788.

5 Suteau, Pierre-Yves, « Du lycée Ampère au lycée du Parc : la longue marche des maires de lyon. Gouvernement municipal et leadership urbain dans le projet de dédoublement du lycée de Lyon (1873- 1914) », Université Lyon 2, Institut d'études politiques, 129 p, Mémoire de Maîtrise, Sciences politiques, Lyon, 2010, p. 10.

rivière dépend du domaine public. »1. Sous l'Ancien Régime débute une lente conquête de

l'espace fluvial par l’État. La monarchie ne cesse de lutter contre les péages fluviaux installés par des seigneurs qui avaient usurpés ce droit régalien2. « L’État s’est

constamment employé à restreindre la propriété privée de l’eau courante. Dans le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, l’article premier rappelle ce principe de domanialité publique des cours d’eau, qui s’est précisé sous l’Ancien Régime. »3. Le

processus d'intégration des cours d'eau à l'espace public s'est accéléré avec le passage de l'espace féodal à l'espace national, si bien qu'au XIXe siècle, la rivière est chasse gardée de l’État. L'administration centrale réaffirme ainsi son monopole en matière de taxation du domaine public. Au sein de la ville, l'espace fluvial est soumis au double contrôle de la municipalité et de l’État. Cet encadrement à double niveau est source de conflit entre les intérêts locaux et nationaux.

Le paragraphe 7 de l'article 31 de la loi du 18 juillet 1837 reconnaît que « le produit des permis de stationnement et des locations sur la voie publique, sur les parcs, rivières et autres lieux publics appartient aux recettes ordinaires municipales »4. La compagnie des

« mouches » paye ainsi un droit de voirie, sous la forme d'une redevance annuelle, pour la location des emplacements de son matériel. Le traité passé entre la ville de Lyon et la compagnie le 21 janvier 1866 fixe à 70 777 francs le montant de cette redevance5. En 1868,

la compagnie refuse de payer un montant qu'elle juge trop élevé. Commence alors une longue période de litige entre la compagnie et la ville. L'intervention de l’État dans le différend met en lumière les rapports conflictuels entre les intérêts locaux et nationaux.

Dans le rapport au comité des intérêts publics, crée pour arbitrer le contentieux, Messieurs Jouve et Henry, délégués pour l'affaire, rappellent que la rivière est partie du domaine public. Elle appartient ainsi à l’État et non à la ville. Elle revêt alors un caractère inaliénable6. La concession d'un service de bateaux à vapeur omnibus doit ainsi être fait par

l’État et non par l'autorité municipale. La délibération prise par le conseil municipal, adoptant un projet de concession, peut donc être attaquée et annulée par l'administration supérieure. Le conflit prend la forme d'une lutte d'intérêts entre d'un côté une perception

1 Conchon, Anne, « Introduction », Hypothèses, 1997/1 p. 74.

2 Conchon, Anne « Droits de péage et pouvoirs sur la rivière (XVIIe-XVIIIe siècles) », Hypothèses 1/1997, p. 83.

3 Ibid., p. 88.

4 A.M.L., 1C 502914, rapport au comité des intérêts publics, 17 novembre 1874. 5 A.M.L., 925 WP 225, Traité entre la ville et la compagnie, 18 janvier 1866. 6 A.M.L., 1C 502914, rapport au comité des intérêts publics, 17 novembre 1874.

locale et de l'autre, une perception nationale de la rivière. Le préfet, qui assume alors la fonction de maire, se range du côté de la municipalité. Dans une lettre au ministre des travaux publics du 29 décembre 1873, il reconnaît que pour mettre en location les emplacements des pontons, rampes, échelles d'accès et échoppes destinés à l'usage des voyageurs, « l'approbation de l'autorité supérieure est nécessaire quand il s'agît d'un tarif applicable à l'usage public des quais en général, parce que les intérêts qui se rattachent à la liberté du commerce et de la navigation peuvent en être affectés, mais que dans l'espèce, les intérêts généraux de la navigation ne sont pas en jeu ; que la location projetée, laissant libre l'accès des quais de la Saône sur tous les autres points, n'a évidemment qu'un caractère municipal, et que, dans ces circonstances, le préfet paraît compétent pour statuer, par l'application du décret du 25 mars 1852 sur la décentralisation ».

Dans un rapport du 5 mars 1874, l'ingénieur ordinaire invité à donner son avis sur les questions soulevées par le conflit, défait les arguments du préfet. « Aucune disposition légale n'autorise les villes à imposer elles-mêmes des redevances sur le domaine de la grande voirie et[...] la circulaire du 3 août 1867 accompagnant l'envoie aux préfets de la loi du 24 juillet 1867 écarte absolument l'interprétation donnée par M. le préfet [de la loi du 25 mars 1852] »1. Dans une lettre au préfet du 5 avril 1874, le ministre des travaux publics

rétorque que la taxation des bateaux, à la différence de celle des pontons, revient à l’État et non à la municipalité. En effet, les pontons sont en situation de stationnement alors que les bateaux eux sont en situation d'amarrage. Puisqu'ils ne font qu'un usage régulier de la voie publique, l'usage est soumis à la taxation de l’État, donc libre et soumis seulement à « l'observation des règlements de police ». Seuls les pontons peuvent être taxés en vertu des lois du 11 frimaire an VII, du 18 juillet 1837 et du 24 juillet 1867 qui définissent le budget municipal ordinaire, dont les droits de stationnement font partie2. Je reviendrai plus

loin sur les détails de ce conflit.

Soucieux de préserver son exclusivité sur le domaine public, l’État intervient dans le conflit qui oppose la compagnie des bateaux omnibus à la ville de Lyon. Dans l’administration de l'espace fluvial urbain, les politiques locales dépendent des politiques nationales. La régulation urbaine de l'espace fluvial passe certes par une municipalité dont le poids devient plus important mais aussi par l’État.

1 A.M.L., 1C 502914, Rapport de l'ingénieur ordinaire, 5 mars 1874. 2 A.M.L., 1C 502914, Lettre du ministre des Travaux publics, 5 avril 1874.

B) Le poids des autres acteurs dans les

politiques locales

La gouvernance urbaine de la rivière n'est pas unilatérale. La croissance démographique urbaine entraîne les municipalités à spécialiser leurs services. La politique publique urbaine est davantage l'affaire de spécialistes et de techniciens parmi lesquels les ingénieurs ont une place de premier ordre. Jean-Claude Thoenig définit la politique publique comme un « programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales ». Le concept désigne ainsi « les interventions d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou du territoire »1. Les politiques publiques sont des outils développés par les

pouvoirs publics pour atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la société. Elles englobent un ensemble de domaines mais dans notre cas, ce sont les politiques publiques du transport et de la ville qui nous intéresse. Le nombre des acteurs ayant une influence ou un impact sur le développement de ces programmes d'action est en augmentation.