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3. L'ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT DU POINT DE VUE DES ACTEURS

3.1 Les usagers de santé : citoyens, malades, acteurs de santé, patients

Selon Dassonville (2006), l’émergence du citoyen-usager s’est construite au travers de l’histoire du système de santé. L’auteure met en évidence quatre types d’usagers qui se sont succédés au fur et à mesure des évolutions sociales : l’usager bénéficiaire de la charité au temps des Hôtels-dieu ; l’usager de la médecine du vingt et unième siècle, dont le corps est objet de soins ; l’usager assuré social, source de revenus pour les hôpitaux publics ; l’usager citoyen ayant des droits et des devoirs.

C’est avec la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé que la notion de démocratie sanitaire est apparue. Antérieurement, ce sont les associations de patients (1934, mouvements des alcooliques anonymes ; années 1950, réseaux diabète ; 1980, réseau VIH) qui ont soutenu et aidé les malades pour asseoir leur représentation au sein des instances sanitaires (Ibid.). Outre les associations, le Collectif inter-associatif sur la santé (CISS) créé en 1996 et qui regroupe actuellement plus d’une quarantaine d’associations intervenant dans le champ de la santé, constitue en France, un interlocuteur des instances gouvernementales pour les questions de santé.

Ce processus de démocratisation s’est trouvé depuis renforcé en 2009 avec la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST) que nous avons déjà préalablement citée.

À ce titre, nous pourrions poser comme postulat que la légitimité des patients reconnus comme usagers-citoyens via la réglementation en vigueur, est l’une des contributions majeures à l’évolution des représentations sociales13 de la santé au sein de notre société.

Cependant une étude réalisée par Jolivet et Vasquez (2011) vient contrebalancer ce postulat. En effet, les auteurs se sont attachés à cerner les configurations de l’organisation, suscitées par l’emploi de “ la figure ” de patient dans les textes normatifs de la HAS. Les textes utilisés par les auteurs sont des textes normatifs, dédiés à la mise en œuvre des démarches qualité, où le droit des patients en tant qu’usager de santé et expert de sa maladie est formalisé. Le terme de “ figure ” proposé par les auteurs est ici considéré comme quelque chose qui est fabriqué et modelé. À ce titre, il faut donc produire et façonner la “ figure ” pour qu’elle existe. Les auteurs soulignent que cette dernière devient alors un principe, une valeur, une passion, une règle, un objet, présentée ou plutôt re- présentée dans le discours.

De fait, les textes prescriptifs sont considérés comme des médiateurs qui font autorité aux discours des individus et des organisations.

Jolivet et Vasquez (2011) mettent en évidence que les démarches qualité poussent les organisations de soins à s’ouvrir vers un patient aux multiples figures, « à se déplier – se laisser questionner par (et pour) le patient – et à s’y (re)plier – se renfermer, y envelopper le patient » (p. 3).

L’objet de cette étude conceptuelle a consisté à retracer les figures du patient qui sont présentes dans les textes de l’HAS et à y questionner leur place : Est-il placé en tant qu’usager, client, consommateur, participant, expert ?

Les conclusions des investigations menées sur la mise en acte des différentes “ identités ” du patient dans les textes normatifs de la HAS, mettent en évidence trois types de constats (Ibid.).

Le premier est que bien que le patient soit au centre des démarches, c’est l’organisation et sa reconfiguration qui sont au cœur des problématiques. Les textes ont ici une forte représentativité en tant qu’inscriptions, prescriptions et sanctions. Ainsi, le patient et l’organisation se plient aux démarches qualité.

Le deuxième formalise que derrière l’acception “ patient ” se cachent de

multiples figures (légale, morale, législative), qui engagent une autorité différente selon les configurations qu’elles mettent en jeu. Ainsi la multiplicité des figures du patient représente un défi pour les organisations de soin de santé qui cherchent à les concilier.

Enfin le troisième constat met en évidence que les figures textualisées deviennent des figures énoncées, qui varient au gré des réappropriations par les acteurs de l’hôpital. Les figures peuvent donc être déformées et reformées. Se pose alors la question de l’effectivité et performativité supposées des textes.

Au regard de cette étude, il apparaît clairement que la place du patient aux multiples identités et usages est présente du point de vue des écrits et se traduit par des discours.

Pour renforcer ces propos, Carricaburu et Ménoret (2004) mettent en évidence que l’usager du système de santé apparaît comme un acteur institutionnel incontournable, au moins sur le papier.

Selon eux, la participation croissante de ces nouveaux acteurs que sont les usagers ne doit pas cacher les initiatives qui tendent à en limiter la portée.

Carricaburu et Ménoret (2004) traduisent cette formule sous cette forme « les usagers au centre, les professionnels au milieu » (p. 176). En effet, et dans ce cadre, il semble que les conditions actuelles de la participation des usagers sont encore inégalitaires et minimales.

Cependant, actuellement, nous voyons s’enclencher un autre phénomène qui vient profondément modifier réellement les us et coutumes du système de santé.

Selon Jouet, Flora et Las Vergnas (2010), c’est dans l’articulation entre les politiques de prophylaxie et l’émergence des savoirs revendiqués par les patients, que se modifie la place du savoir des malades dans le système de soins.

Si l’expression de patient-expert reste très discutée et peut recouvrir de nombreux autres termes tels que : « “ patients formateurs ”, “ usagers experts ” , “ patients éducateurs ”, “ expert by expertise ” ou “ expert du vécu ” » (Flora, 2010, p. 3), elle est néanmoins de plus en plus présente.

En effet, selon cet auteur, les expertises propres aux malades émergent comme sources de savoirs. Les communautés de patients revendiquent un nouveau courant qui rattache les maladies à des formations expérientielles, voire à de l’autodidaxie (Ibid.).

Par ailleurs comme le soulignent Jouet et al., (2010), avec la montée en puissance d’internet, les informations sur la santé deviennent accessibles et les échanges circulent librement. Le “ e-patient ” a accès à quantité d’informations et peut en produire sur des forums publics ou sur son propre blog ou site. Il peut gérer et personnaliser son compte santé. C’est l’exemple du système google

Health (Ibid.).

Pour ces auteurs :

Dans un contexte paradoxal, entre explosion du volume des connaissances médicales et démocratisation des accès aux informations (par la révolution Internet, notamment, voir infra), dans une intrication d’enjeux réglementaires et économiques à toutes échelles, les savoirs nés du vécu, voire de l’expertise du patient, font surface et interrogent la répartition de toutes les formes de pouvoirs en santé, y compris celle du « pouvoir soigner » et du « pouvoir décider. (p. 14)

Ainsi, dans les pays qui ont adopté le concept de patient expert, de nouvelles pratiques apparaissent. Les patients suivent des cursus universitaires, donnent des cours à des publics de pairs dans le cadre des associations de patients, ou de professionnels en formation initiale (infirmière notamment, formation continue des soignants), et par internet, ils participent à des forums d’échanges en matière de santé et de maladie.

Comme nous pouvons le constater, c’est plutôt la reconnaissance de l’expérience et du savoir des patients au sein des institutions sanitaires qui est l’une des caractéristiques majeures de l’évolution de la santé, la maladie et de la relation thérapeutique. En effet, les soignants ne sont plus considérés comme les seuls experts, les patients sont reconnus par la connaissance spécifique qu’ils ont de leur maladie.

Cette évolution culturelle n’est pas sans impact sur les soignants, qui doivent s’adapter à ces patients davantage “ connaissants ”, ce à quoi ils ne sont pas forcément préparés. Car si la finalité de l’ÉTP consiste à rendre autonome le patient dans la gestion quotidienne de sa maladie, lorsque « l’autonomie est abordée du point de vue du malade, c’est-à-dire lorsqu’elle est directement “ travaillée ” par la personne qui doit vivre durablement avec une maladie chronique, elle recouvre des réalités sensiblement différentes » (Carricaburu et Ménoret, 2004, p. 106). En effet, dans cette perspective, l’autonomie devient pour la personne malade une forme de prise de pouvoir sur le médical, pouvant aller

jusqu’à la non observance argumentée (Ibid.).

Ceci vient questionner la place des soignants et plus précisément celle des infirmières.

3.2 L’infirmière : une soignante de première ligne dans l’activité