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4. L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT DU POINT DE VUE DES ACTIVITÉS DE

4.1 Les traits communs de la démarche en éducation thérapeutique du patient

Comme nous avons pu le constater, l’approche réglementaire et les recommandations de bonnes pratiques18 font figure d’autorité auprès des professionnels de santé. Ce sont des repères qui trouvent écho auprès des soignants dont les infirmières. La recherche sur l’ÉTP a connu un engouement considérable depuis les années 1970. Il existe une littérature scientifique et grise abondante. Dans ce cadre, la démarche d’éducation thérapeutique du patient continue d’évoluer d’un point de vue conceptuel et subséquemment dans sa mise en œuvre. Selon Giordan (2010), l’ÉTP se décline selon trois grands types de

18 On entend par “ Recommandation de bonnes pratiques ” : des documents de référence conçus

par une branche professionnelle pour les professionnels de son secteur. <http ://www.has- sante.fr/portail/jcms/c_1241714/fr/education-therapeutique-du-patient-etp>.

pratiques éducatives classique, behavioriste et constructiviste, qui correspondent à trois modèles pédagogiques. Selon l’auteur, les évaluations et les méta-analyses successives depuis plus de trente ans révèlent que chaque modèle présente des avantages et des limites.

D’Ivernois et Gagnayre (2016), médecins faisant figure de pionniers pour avoir été à l’initiative de la création du laboratoire en pédagogie de la santé (LAB 15469R) en 1977, ont mis en évidence un nombre de publications en ÉTP impressionnant selon les bases interrogées et ce, de 1970 à 2014. Les résultats sont les suivants : Pubmed / 77854 publications ; Scopus / 113 522 ; Embase / 96679 ; Cochrane / 8401 ; CINAHL (Sciences infirmières) / 52601 ; PsycINFO / 2413. Selon, les auteurs, sur Pubmed, on constate une hausse de 441,4% entre 1970 et 2014 et une part importante de la recherche s’intéresse aux rapports entre l’observance thérapeutique et ÉTP.

En France, beaucoup d’ouvrages de vulgarisation à destination des personnels médicaux et paramédicaux ont été rédigés pour expliquer en quoi consiste l’ÉTP et surtout comment la mettre en œuvre.

Ainsi, parler d’éducation thérapeutique du patient revient à souligner plusieurs composants de conformité pour pratiquer l’ÉTP. Nous avons pu remarquer que les composants qui se dégagent, prennent appui sur la réglementation en vigueur et notamment sur les différentes recommandations de l’HAS. Nous avons ainsi pu mettre en évidence les invariants suivants :

- l’acte d’éduquer est reconnu comme faisant partie à part entière du traitement, les actions d’éducation mises en place par les soignants ne sont pas standardisées, mais adaptées et personnalisées pour un patient donné et prennent en compte le contexte global de ce patient et les objectifs de son traitement ;

- l’éducation thérapeutique est un acte de soin, dont le rôle revient aux soignants : médicaux et paramédicaux et nécessite une formation spécifique ;

- le patient devient partenaire des soignants dans la prise en charge de sa maladie au quotidien, pour acquérir les compétences nécessaires et ce, afin qu’il puisse s’impliquer dans la gestion de son traitement ;

- le soignant fait l’expérience d’une nouvelle relation d'adulte à adulte avec le patient. Expert de la maladie et du traitement, il est à l'écoute du patient et ou de l’entourage et il l' (les) accompagne dans cette prise en charge au long cours ;

- le soignant éducateur doit créer un environnement didactique et motivationnel propice à l’apprentissage ;

- il est reconnu que l'éducation thérapeutique permet des économies de santé. L’économie est générée par des actions d'éducation thérapeutique, via la réduction de la fréquence et de la durée des hospitalisations ;

- l’objet de l’ÉTP est l’autonomie et ou la responsabilité du patient dans la l’autogestion de ses soins au quotidien ou autosoins ;

- il est reconnu que le patient possède des savoirs spécifiques sur sa maladie dont il faut tenir compte ;

- l’observance ou compliance ou auto-observance ou adhésion thérapeutique ou encore alliance thérapeutique selon les différentes sources (Cotton et Antill, 1984; Dunbar, 1990; Collot, 2011) est nécessaire pour qu’il y ait adéquation entre la prescription et les recommandations du médecin, ainsi que les comportements de soins du malade ;

- la démarche en ÉTP, dite démarche pédagogique se doit d’être organisée, « planifiée avec la même rigueur que l’investigation diagnostique ou la thérapeutique » (Gagnayre, Magar, et d'Ivernois, 1998, p. 4).

Nous complèterons ces propos avec ceux de Giordan (2010) qui met en évidence que l’ÉTP :

- est une démarche continue qui nécessite des adaptations permanentes liées à la maladie, à son évolution, aux demandes des patients, à la prise en compte de l’expérience de la gestion de la maladie par le patient lui-même et à son entourage ;

- doit être centrée sur le patient, élaborée avec le patient, impliquer autant que possible les proches et intégrer la vie quotidienne ;

- fait partie intégrante de la prise en charge de la maladie et être scientifiquement fondée par les soignants ;

- être précédée d’une connaissance (diagnostic éducatif) des besoins, des conceptions et de l’environnement socioculturel du patient ;

- être réalisée dans un cadre interdisciplinaire ;

- faire l’objet d’une évaluation permanente, comme système de régulation du processus éducatif.

À la lumière de ces éléments, nous pouvons constater un point de ralliement. En effet, l’organisation systémique de l’éducation du patient introduit

une cohérence dans la succession et la justification des actions éducatives.

Il est communément admis que la démarche en ÉTP comporte cinq étapes : le diagnostic éducatif qui a pour objet de recenser les besoins du malade, la définition des objectifs pédagogiques ou buts à atteindre, l’identification du contrat d’adhésion, le choix des contenus et des méthodes pédagogiques appropriés à l’atteinte des objectifs négociés en partenariat soignant-soigné, l’évaluation du degré d’atteinte des objectifs (dont l’analyse ramène à l’identification des besoins).

Ces différents éléments recensés, sont considérés comme des acquis et des fondamentaux. Dans ce cadre, l’ÉTP est entendue comme une activité d’éducation20 organisée.

Selon Strauss, cette perspective didactique a tendance à se concentrer très étroitement sur les aspects médicaux, technologiques et procéduraux de gestion de la maladie (…) minimisant ou omettant les aspects biographiques – psychologiques et surtout sociaux – pourtant de première importance dans cette gestion. Cette orientation pédagogique, dans sa tendance à utiliser un langage d’« évaluation », et d’objectifs », non seulement accentue les aspects formels et médicaux de l’entreprise, mais renforce également les positions hiérarchiques à l’égard du patient. L’expérience du malade tient le plus souvent pour portion congrue dans l’établissement de cette perspective. (Carricaburu et Ménoret, 2004, p. 85)

En effet, ces auteurs mentionnent qu’avec cette perspective, le flux d’information va de l’enseignant à l’enseigné et favorise le modèle du soignant au soigné. « La tendance commune de cette éducation privilégie un enseignement formel qui néglige souvent les compétences des profanes » (Ibid.). Même s’il semble entendu que « La relation éducative se distingue de la relation habituelle soignant-soigné en cela qu’elle est vraiment interactive et qu’elle suppose un partage équitable des savoirs » (Gagnayre et al., 1998, p. 73).

En effet, l’ÉTP appliquée d’une façon très ordonnée à l’effigie d’une prise en charge classique médicale : « élaborer un diagnostic, trouver un remède susceptible d’agir et enfin l’appliquer au désordre de santé de façon telle qu’à l’issue de ce processus, l’organisme soit, si possible, ramené à son niveau de santé antérieur » (Carricaburu, Ménoret, 2004, p. 48), se situe dans une perspective

rationaliste, normative et médico-centrée et ce, même si les finalités sous-jacentes à l’ÉTP sont la responsabilité et l’autonomie du patient.

L’ÉTP se situe dans ce paradoxe, entre une logique vouée à l’humain privilégiant l’autonomie et le mieux-être des personnes atteintes de maladie chronique (processus moral) et une logique quantitative vouée à la réduction des coûts via des cadrages managériaux et de formation prescriptifs (processus managérial et économique).

Les référentiels de compétence21 en ÉTP et programmes ciblés en regard d’une maladie spécifique n’échappent pas à cette dérive. Les référentiels de compétences deviennent des outils de normalisation et de prescription alors qu’à la base, ils sont des outils de conception pédagogique (Albero et Nagels, 2011). En effet, on risque de réduire les personnes atteintes de maladie chronique à des comportements attendus en leur faisant appliquer une démarche raisonnée. Par ailleurs, dans le cadre des pratiques d’ÉTP, on remarque une forme de tension, des paradoxes liés aux finalités de l’apprentissage telles que l’autonomie de la personne malade incluant la reconnaissance de son expertise et la compliance attendue par les soignants.

En effet, la notion d’autonomie est plurivoque et contradictoire, se prêtant à des utilisations dont les intentions sont multiples et différentes. En ÉTP, l’autonomie est devenue un principe universel. Il est reconnu que la personne atteinte de maladie chronique est en droit de s’exprimer sur sa santé, sur sa maladie et de participer à la réflexion et au choix de ces thérapies. L’autonomie constitue une notion valorisée qui se transforme paradoxalement en prescription d’autonomie : “ Soyez autonome(s) ! ”. Cette injonction met en évidence l’ambigüité de la notion d’autonomie qui semble être à la fois un pré-requis et un aboutissement (Rivens Mompean, 2013). Dans cette perspective, l’autonomie se définirait de l’intérieur alors que la commande se définirait de l’extérieur (Noel- Hureaux, 2004). Selon un jeu d’interactions complexes, le sujet impose son influence à l’environnement et il en subit l’influence favorisant ainsi la construction d’un équilibre (Ibid.). L’autonomie des personnes atteintes de maladie chronique interfère donc avec l’action des professionnels de santé. Dans le cadre de l’apprentissage, il est préférable d’utiliser le vocable de processus

d’autonomisation pour se référer à un processus déclenché par différents facteurs qu’il convient d’interroger (Rivens Mompean, 2013). En effet, on se situe dans une double injonction qui vise le développement de l’autonomie dans un environnement global qui reste hétéroformatif (Ibid.). Selon Boutinet (2003), l’ÉTP est un dispositif où l’on ne peut dissocier le travail d’hétéroformation du soignant du travail d’autoformation du soigné.

C’est pourquoi, il semble pertinent d’interroger si les compétences visées par les programmes en éducation thérapeutique du patient ont été définies en cohérence avec les nouveaux cadres conceptuels scientifiques qui émergent dans le cadre du paradigme de l’apprentissage en lien avec ce processus d’autonomisation. C’est ce que nous proposons d’appréhender dans la section suivante.

4.2 Approche du construit de compétence en éducation thérapeutique du