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2. LES THÉORIES DE SOINS EN SCIENCES INFIRMIÈRES

2.2 L’influence des paradigmes ou modèles dans l’émergence de la discipline

2.2.2 La différence entre conception, modèle conceptuel et théorie dans le

Pour Adam (1999), un modèle conceptuel est une conception, c’est-à-dire une abstraction ou façon de conceptualiser une réalité. Pour l’auteure, un modèle conceptuel pour la profession infirmière est une conception de ce que pourraient

ou devraient être les soins infirmiers (Ibid.). Le modèle conceptuel est la conception globale de la discipline, celle-ci étant entendue comme une perspective se distinguant des autres professions de santé.

Alors que les disciplines telles que la physique, la biologie, la sociologie et l’histoire sont dites académiques, d’autres telles que le droit, la médecine sont reconnues comme des disciplines professionnelles (Pepin et al., 2010). Les sciences infirmières, ayant un but pratique de service, se situent parmi les disciplines professionnelles (Donaldson et Crowley, 1978).

Pour Hofstetter et Schneuwly (2000), ce type de champ disciplinaire qui s’origine à partir du champ professionnel de référence se constitue en articulation étroite avec ladite profession, dont les demandes sociales d’ordre socio- professionnel, vont venir puissamment modeler le développement du champ. Cette mise en perspective renvoie à deux points centraux du concept de discipline. L’un concerne le rapport aux savoirs de sens communs et aux champs pratiques de référence, et l’autre son rapport aux savoirs/disciplines constitués ou en cours de constitution (Ibid.).

Bourdieu (1984) met en évidence qu’une discipline est une manière de découper le réel pour le rendre lisible à travers l’entreprise scientifique parce que celle-ci contraint à expliciter et à formaliser les critères implicites de l'expérience ordinaire.

Pour Fortin (1996) :

Les soins infirmiers incluent à la fois la discipline et la profession, les deux composantes étant soumises respectivement au développement des connaissances en sciences infirmières et à leur application dans la pratique professionnelle. La recherche est une méthode particulière d’acquisition des connaissances qui permet à la discipline et à la profession de se développer. (p. 19)

Dans cette perspective, les modèles conceptuels sont des conceptions ou fondements souvent philosophiques qui permettent « le développement et

l’orientation des connaissances de la discipline » (Ibid., p. 20).

Toujours pour la même auteure :

La discipline infirmière inclut à la fois les fondements de la profession et la science infirmière ; la science infirmière étant ce corpus de connaissances spécifiques obtenu à l’aide de la recherche, en vue de guider la pratique des soins infirmiers. Les fondements de la profession incluent la connaissance en regard de l’orientation des valeurs de la profession, la nature de la pratique professionnelle et les positions

philosophiques qui influencent cette pratique. Ainsi, le soin infirmier est à la fois influencé et lié par : des éléments abstraits et concrets de la réalité qui concourent à son application, entre autres la théorie, la recherche, la pratique, la science, la philosophie. (p. 19)

À ce titre, on mesure qu’il y a une distinction à mener entre la définition de modèle conceptuel tel que vu plus haut et la définition de modèle théorique. En effet, selon Adam (1999) et dans la perspective infirmière, un modèle conceptuel n'est pas une théorie, mais plutôt le précurseur d'une théorie.

Pour Willet (2012), la formulation d’une théorie se compose d’une suite ordonnée de propositions interdépendantes tirées de déductions et faisant appel à l’intuition. Ces propositions permettent de mettre en évidence des hypothèses vérifiables par l’utilisation de méthodes scientifiques. Ce sont celles-ci par des mesures rigoureuses qui vont constituer les résultats, sources de prédictions scientifiques (Ibid.).

Pour Adam (1999), un modèle ne décrit pas les phénomènes du monde réel et il ne prédit pas les aspects de la réalité. Il spécifie le centre d'intérêt de la discipline. Une théorie sert à définir, décrire, comprendre et prédire un phénomène particulier, en vérifiant des hypothèses qui lui sont propres et à porter un jugement sur la réalité (Willet, 2012).

Pour Adam (1999), il est souhaitable d'élaborer des théories en sciences infirmières concernant les phénomènes qui intéressent l'infirmière. L’étude des phénomènes souhaités se situe dans la conception que l’infirmière a de sa discipline, c’est-à-dire le modèle conceptuel choisi. Le point de départ conceptuel précise les phénomènes d'intérêt particulier à la discipline. C’est précisément celui-ci qui vient orienter les questions de recherche, la spécification des problèmes de santé qui sont du ressort de l'infirmière, l’orientation de la recherche d'intervention afin de prévenir et résoudre ces problèmes (Ibid.).

Pour l’auteure, les modèles conceptuels possèdent leurs caractéristiques propres. Les notions de complétude et d’explicitation en regard du contexte social doivent être présentes pour être reconnues comme modèle conceptuel par la communauté de chercheures infirmières.

Les modèles conceptuels doivent comporter des énoncés pour chacun des éléments suivants : les postulats et les valeurs à la base de la discipline, le but du service infirmier, le rôle de l’infirmière professionnelle, la façon de considérer le

bénéficiaire du service, la source des difficultés que peut rencontrer le bénéficiaire, la façon dont sont menées les interventions infirmières et les effets recherchés (Adam, 1999; Pepin et al., 2010). Dans ce cadre, les modèles conceptuels apportent aux recherches infirmières des perspectives ou angles d’approches spécifiques.

Ainsi la recherche infirmière, effectuée à partir d'une perspective ou conception spécifique, peut conduire à l'élaboration d'une théorie en sciences infirmières.

C’est toute la différence entre modèle conceptuel et modèle scientifique. D’un point de vue scientifique, un modèle est le prolongement d’une théorie. C’est une partie concrète représentant un phénomène particulier de la théorie, qui mobilise les concepts, les faits observés ou les résultats d’expériences pour rendre compte d’une analyse plus approfondie et d’une interprétation plus rationnelle et cohérente de ce dernier (Willet, 2012). Comme le précise l’auteur, le modèle scientifique constitue :

[…] un moyen de découvrir de nouvelles relations, d’établir de nouveaux faits, d’énoncer de nouvelles hypothèses, de définir des méthodes novatrices d’intervention, de corriger certaines erreurs ou insuffisances par rapport à la perception et à la compréhension d’une partie du réel, et enfin de prévoir, si cela est possible, le cours des événements. (Ibid., p. 9)

Suite à ces différents postulats, les modèles conceptuels en sciences infirmières ne sont pas des modèles scientifiques car ils ne mobilisent pas les mêmes enjeux envers le processus de disciplinarisation.

Néanmoins, ce sont ceux-ci qui permettent à la recherche infirmière de s’inscrire dans une perspective identifiée.

Le choix de l’acceptation d’un modèle conceptuel ouvre la voie à des objets précis de recherche en sciences infirmières. Selon Pepin et al. (2010) les visées de l’investigation scientifique peuvent se polariser sur trois pôles :

La compréhension des expériences de santé qui se manifestent chez les personnes, les familles, les communautés et les populations au sein de leur environnement, l’étude des facteurs qui interagissent avec ces expériences de santé, et le développement et l’évaluation d’approches du soin dans ses diverses expressions qui permettent de favoriser la santé des personnes, des familles, des communautés et des populations. (p. 113)

Pour les auteures, « c’est plus précisément grâce à la façon particulière qu’ont les infirmières d’aborder la relation entre la personne, l’environnement, la santé et le soin que se clarifie le domaine de la discipline infirmière » (Ibid., p. 5). Actuellement, « le centre d’intérêt de la discipline infirmière va au-delà des grands courants de pensée, ou paradigmes, qui ont contribué au développement de la connaissance au fil du temps » (Ibid., p. 6).

Ainsi au fil du temps, les paradigmes se chevauchent, coexistent et s’influencent pour développer la spécificité et l’évolution des sciences infirmières en cohérence avec notre société.

C’est pourquoi, au regard de la documentation scientifique en sciences infirmières, on constate qu’il existe un nombre croissant de descriptions d’expériences de santé des personnes ou des familles sous l’angle des “ significations ” pour ceux qui vivent ces expériences (Pepin et al., 2010). Dans cette perspective, les approches qualitatives dont l’approche phénoménologique comme évoquée précédemment est une méthodologie privilégiée (Ibid.) en sciences infirmières, notamment outre-Atlantique.

Ainsi, plusieurs études ont contribué à l’avancement des connaissances en permettant de mieux comprendre le sens de l’expérience de la maladie chronique, de l’espoir, de la souffrance, de la mort, du deuil pour la personne et sa famille, ou encore du défi de la croissance à travers les déclins de la vieillesse pour ne nommer que quelques exemples. Ces études aident l’infirmière dans le renouvellement de sa pratique professionnelle. (Pepin et al., 2010, p. 40)

C’est également une façon de se démarquer des sciences médicales. En effet, cela permet d’orienter la recherche infirmière sur la compréhension et la valorisation de l’unicité de l’expérience vécue (Staltari, 1998). Cependant, la phénoménologie ne peut pas remplacer les méthodes quantitatives, qui permettent le contrôle ou la prédiction. La phénoménologie est une méthode complémentaire qui peut aider à mieux comprendre une expérience de maladie d’un patient (Ribau

et al., 2005).

Ainsi la recherche en sciences infirmières établit une relation directe entre la discipline reconnue comme un champ de connaissances établies et la pratique professionnelle comme intervention.

Actuellement, les auteures de la communauté de chercheures en sciences infirmières s’accordent pour dire qu’il est nécessaire d’approcher les questions

humaines selon « une perspective élargie, faisant appel aux points de vue de diverses disciplines et aux représentations des familles ou de la communauté » (Pepin et al., 2010, p. 24).

Nous avons cerné l’impact du contexte sociohistorique sur l’émergence de la profession infirmière et de son processus de disciplinarisation. Nous avons pu ainsi, mesurer la différence d’évolution entre la France et la situation nord- américaine. Les réflexions proposées autour de la définition du modèle conceptuel ont permis de saisir les contours édifiant des possibilités de classification des paradigmes infirmiers.

À cet égard, l’évolution de la recherche en sciences infirmières va nous permettre d’explorer l’interaction entre les expériences de santé et de maladie de la personne soignée avec son environnement éducatif en milieu hospitalier.

Dans cette approche, c’est de l’apprentissage des personnes soignées à autoréguler leur santé et leur maladie dont il s’agit. Dans cette optique, nous nous intéressons à l’interaction instaurée entre la personne adulte atteinte de maladie chronique et l’infirmière.

Eu égard aux différents modèles conceptuels infirmiers exposés, nous sommes particulièrement intéressée par l’école de l’apprentissage de la santé et plus précisément par le modèle conceptuel des soins infirmiers de Allen (1977), plus connu sous l’intitulé de The McGill Model of Nursing . Celui-ci semble le plus représentatif et pertinent eu égard à notre recherche et ce d’autant plus qu’il a évolué dans son approche sociétale avec les travaux de Gottlieb (2014). Nous allons nous en expliquer.

3. LE CHOIX DU MODÈLE CONCEPTUEL DE MOYRA ALLEN (1977)