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3. LE CHOIX DU MODÈLE CONCEPTUEL DE MOYRA ALLEN (1977) – RENOUVELÉ

3.5 Les soins infirmiers fondés sur les forces

L’approche des soins fondée sur les forces (Gottlieb, 2014) a pour objet de guider l’infirmière dans sa pratique quotidienne. Le terme de “ force ” est pour l’auteure, un terme générique, qui englobe les ressources d’une personne (attitudes, habiletés, compétences, ressources, talents et traits de caractère) et les ressources externes auxquelles elle peut faire appel. Ceci fait le lien avec le construit de compétence supra où nous avons identifié qu’il existe des ressources propres à la personne et des ressources spécifiques à la situation et à son contexte. L’approche de l’auteure est donc particulièrement intéressante pour notre recherche.

En effet, l’ASFF repose sur un ensemble de postulats que sont la santé, la personne, l’environnement et les soins infirmiers. « Ces quatre éléments forment le métaparadigme ou connaissances de base des soins infirmiers (Fawcett, 1984; Kim, 2010) » (Ibid., p. 67). Par ailleurs, il existe huit valeurs à l’origine de l’ASFF qui sous-tendent les postulats supra. Pour l’auteure, ces valeurs43 sont étroitement reliées et représentent un puissant déterminant qui conditionne l’agir professionnel.

Il s’agit des valeurs suivantes : 1- Santé et guérison 2- Unicité de la personne 3- Holisme et indivisibilité

43 Nous reprenons ici le terme de valeur car c’est celui utilisé par l’auteure. Nous pensons

4- Réalité objective et subjective et significations créées 5- Autodétermination

6- La personne et l’environnement ne font qu’un

7- Apprentissage, dispositions pour apprendre et moment opportun 8- Partenariat de collaboration entre l’infirmière et la personne

L’approche de l’auteure provient de la capitalisation de connaissances tirées des sciences humaines et sociales, biologiques et médicales ainsi que des sciences des soins infirmiers.

Il ne s’agit pas ici de réaliser une synthèse de l’ouvrage de l’auteure mais plutôt d’identifier les fondements de cette approche qui peuvent servir notre recherche. De fait, nous allons reprendre sommairement chacune des valeurs afin de les identifier.

Il est vrai que nous sommes particulièrement intéressée par la conception de la santé comme évoquée plus avant. L’auteure résume celle-ci avec les points suivants :

- La santé vise à créer une plénitude, pendant que la personne développe ses capacités et les compétences qui lui sont nécessaires pour vivre et relève les défis qu’elle rencontre en chemin. La santé représente aussi les nombreux aspects qui permettent à la personne de devenir une entité complète et unifiée, qui trouve un sens et un but à sa vie.

- La santé est présente et persiste tout le temps, même lorsque le corps est vaincu par une maladie, un accident ou une infirmité.

- La santé se révèle au moment d’un stress, lorsque tout semble difficile est pénible.

- La santé a de multiples facettes ; elle émerge du développement et en est le reflet.

- La santé existe au sein de la maladie et la maladie façonne la santé de la personne.

- C’est l’expérience d’une maladie ou d’un autre événement qui change la vie et la capacité de vivre avec les problèmes qui permet aux gens d’en apprendre sur eux-mêmes, sur les relations qui leur importent et sur le monde dans lequel ils vivent. Pendant ce processus d’apprentissage, ils découvrent leur intégralité et leur humanité et utilisent leurs apprentissages comme autant d’occasions de se transformer, de se développer et de développer leur monde.

- La santé est dynamique, changeante, évolutive et en perpétuel déploiement. C’est l’esprit de la personne, les forces fondamentales sur lesquelles elle s’appuie pour profiter au maximum de sa vie et pour relever les défis qu’elle rencontre en chemin.

- La santé est la capacité d’une personne à s’adapter, de faire face et surtout de rebondir après un traumatisme. Les traumatismes peuvent être d’ordre biologique, émotionnel ou situationnel. Pour rebondir, la

personne doit tabler sur ses forces existantes, développer son potentiel et transformer les déficits en forces.

- La santé est présente lorsque tous les aspects de la personne, notamment son corps, ses pensées, ses émotions, sa spiritualité, ses attachements, ses relations sociales et sa capacité de réguler son fonctionnement et de faire face aux situations difficiles, se mettent en branle de concert pour qu’elle se sente complète et entière. (p. 71)

Nous mettons en évidence que pour l’auteure, la santé est présente tout le temps et ce, même lorsque le corps est atteint par une maladie, accident ou infirmité. En effet, selon Gottlieb (2014), la santé se développe même lorsqu’une personne doit composer avec la maladie ou plus exactement elle est « le reflet du développement d’un soi intégré dont elle émerge » (Gottlieb et Gottlieb, 2007, p. 70).

Concernant l’unicité de la personne, l’auteure met en évidence que la personne est appréhendée en termes de sujet vivant « des expériences uniques et traversant des circonstances particulières qui modifient le cours de la vie et par conséquent, la façon dont il croît et se développe » (Gottlieb, 2014, p. 79). L’auteure met ici en évidence l’impact de l’environnement sur la personne et la relation entre la personne et son environnement. Dans le cadre des évènements associés à la santé et à la maladie, elle souligne que les accidents, les traumatismes, la maladie grave et ou chronique changent la façon dont une personne voit son corps et ses limites.

L’unicité de la personne s’avère être en lien avec la troisième valeur qu’est l’holisme et l’indivisibilité. En effet, l’auteure explique que l’être humain doit être entendu de manière holiste, i.e., qu’il n’existe pas de frontière entre le corps et l’esprit. Dans cette perspective, le soin doit se centrer sur la personne, sur la compréhension de son état et sur sa façon de composer avec la situation. L’auteure rejoint là la perspective phénoménologique où l’on essaie de comprendre l’expérience vécue par la personne, i.e., « l’expérience que tire cette personne d’un certain événement et comment elle vit avec ses conséquences » (Ibid. p. 85). Dans ce cadre, comme le souligne l’auteure, c’est en comprenant l’holisme que les infirmières peuvent déceler les forces particulières d’une personne.

Dans le cadre de la réalité objective et subjective et des significations créées, l’auteure met en évidence que chaque personne possède ses propres

systèmes de croyances et expériences et se crée une perception des situations qui devient sa réalité. Chaque être humain crée un sens à ce qui lui arrive. C’est la réalité subjective. Lors de la présence d’une maladie chronique, le besoin de créer des significations prend encore plus d’importance. À ce titre, c’est la réalité subjective que l’infirmière doit appréhender pour adapter ses soins au plus près des besoins de la personne.

Concernant l’autodétermination, Gottlieb (2014) fait le lien avec le fait que les infirmières doivent reconnaître à la personne le droit de décider du cours de sa vie et de prendre des décisions éclairées relative à sa santé et à ses soins, et ce sans coercition. Elle rejoint la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (1995) In Gottlieb (2014) qui considèrent que « l’autonomie, le désir d’être en relation et la compétence sont des besoins fondamentaux » (p. 93).

Pour la sixième valeur, l’auteure met en évidence que l’environnement et la personne ne font qu’un car ils sont en transaction continuelle. Ici, l’environnement est entendu comme les milieux interne, externe, social et culturel dans lesquels la personne évolue. Gottlieb (2014) met en évidence que dans le cadre des soins, « les environnements peuvent soutenir les forces existantes de la personne et aider la personne à développer les forces qui lui sont nécessaires pour guérir ou se maintenir en santé » (p. 103).

Concernant la septième valeur, selon l’auteure, « la survie de l’être humain dépend de ce qu’il apprend et de l’utilisation qu’il fait de ses apprentissages pour s’adapter croître et se développer » (p. 106). Elle prend appui notamment sur la théorie de Bandura (1997) dont la variable clef qu’est l’auto-efficacité, pour mettre en évidence qu’une personne qui a un certain degré d’auto-efficacité est davantage en capacité d’atteindre les buts qu’ils se fixent. Il a effectivement une meilleure confiance en lui pour identifier ses habiletés et compétences.

Quant à la dernière valeur portant sur le partenariat de collaboration, l’auteure souligne l’aspect essentiel de cette dernière dans l’ASFF. Selon Gottlieb, Feeley et Dalton (2007), le partenariat de collaboration est « la poursuite de buts centrés sur la personne par un processus dynamique qui demande la participation active et l’accord de tous les partenaires » (p. 8). Selon Gottlieb (2014), il s’agit d’être aux côtés de la personne et ne pas agir à sa place. Le partenariat de collaboration repose sur plusieurs éléments essentiels que sont le partage du pouvoir, l’ouverture d’esprit et respect, l’attitude non critique et d’acceptation, la

capacité de tolérer l’ambiguïté et la conscience de soi et introspection (Gottlieb et

al., 2007). Nous allons identifier chacun de ces éléments :

- le partage de pouvoir se base sur la relation infirmière-personne, va au-delà de l’échange d’opinions pour que chacun puisse prendre part au processus décisionnel. « Les deux établissent le programme et élaborent le plan d’action qui coïncide le mieux avec la réalité de la personne » (Ibid., p. 29). Dans ce cadre, la structure du pouvoir n’est pas hiérarchique mais égalitaire. Il y partage de connaissances entre les deux parties. Les patients ont les connaissances qu’ils ont acquises à force de vivre avec leur maladie, alors que les professionnels de santé possèdent des connaissances théoriques acquises grâce à une formation structurée ;

- l’ouverture d’esprit et respect représentent la volonté d’entrer en contact avec l’autre dans une relation de confiance. Il s’agit pour l’auteure d’être dans une dynamique de réciprocité, d’apprendre des expériences de l’un et de l’autre. L’infirmière entend le soigné comme un partenaire qui peut avoir des points de vue divergents et ceci est à respecter ;

- l’attitude non critique et d’acceptation consiste à tolérer les croyances, les valeurs, les comportements et les points de vue d’autrui ;

- la capacité de tolérer l’ambigüité consiste à accepter l’incertitude et l’imprévisibilité sur un temps donné. Pour Gottlieb et al. (2007), « la maladie s’accompagne d’un grand nombre d’événements, prévisibles et imprévisibles, ce qui ajoute encore à l’incertitude et à l’imprévisibilité des soins infirmiers en collaboration » (p. 37) ;

- la conscience de soi et l’introspection représente la faculté de réflexion de ses pensées et de ses actes. Pour les auteures, l’infirmière doit réfléchir à ses propos, à ses actes et à leurs répercussions sur la personne (p. 38). Il s’agit d’un processus d’anticipation par la réflexion avant d’agir.

Nous comprenons que le partenariat de collaboration est donc non hiérarchique. Pour Gottlieb (2014), l’infirmière et la personne créent un plan de soins individualisé, adapté à l’unicité de la personne et qui se construit sur les forces de cette dernière.

À la lumière de ces différents éléments, nous pensons que l’ASFF dans le prolongement du modèle McGill en soins infirmiers est adaptée à notre recherche.

En effet, les huit valeurs qui jalonnent cette approche font écho à plusieurs points qui concernent notre étude.

On peut identifier notamment que la notion de vécue avec la maladie grave, chronique est intégrée. Dans ce cadre, l’infirmière reconnaît la réalité subjective de la personne malade en termes notamment de connaissances et expériences de cette dernière. Ceci fait le lien avec la théorie subjective supra. Il est entendu que l’infirmière possède des savoirs professionnels à combiner avec les savoirs expérientiels des personnes malades.

Dans l’environnement de soins, c’est précisément le construit de partenariat de collaboration qui va permettre à l’infirmière et à la personne de mettre en exergue les forces de cette dernière pour œuvrer à un plan de soins qui lui soit adapté.

En situation d’apprentissage, il s’agit de développer le sentiment d’auto- efficacité pour que la personne entendue comme sujet autodéterminé, soit en capacité d’identifier ses ressources et de les utiliser mais également d’utiliser les ressources extérieures qui lui sont proposées pour modifier ou non ses comportements. L’environnement et la personne sont dans un processus dynamique rétroactif au service du développement de compétences. Ceci fait écho à la théorie sociocognitive de Bandura (2003) supra en lien avec le concept d’autorégulation, où nous avons mis en évidence que penser le processus d’autonomisation de la personne malade chronique, interroge les phénomènes d’intrication entre la santé, la maladie chronique et l’environnement de formation. Ceci fait donc précisément le lien avec notre question de recherche. Cependant, le concept de santé semble rester dans une vision optimale. Selon l’ASFF, la santé est une entité séparée et distincte, qui coexiste avec la maladie (Allen, 1977 ; 1981 In Gottlieb, 2014). Pour l’auteure, la santé reste omniprésente et ce, même avec la présence de maladie. Cette conception nous intrigue. Comment dans le cadre d’une maladie chronique, la personne peut-elle être dans une dynamique de santé au quotidien ?

L’auteure évoque l’approche phénoménologique pour tenter de comprendre les expériences vécues par les personnes, i.e., « l’expérience que tire cette personne d’un certain événement et comment elle vit avec ses conséquences » (Ibid. p. 85).

Dans cette perspective, il nous semble pertinent de consulter la documentation scientifique sur ces phénomènes d’intrication santé-maladie dans le cadre d’une maladie chronique. Au cours de notre investigation, nous avons repéré un construit qui semble être adapté pour expliquer ces processus concomitants où la santé est imbriquée dans la maladie et où la maladie est imbriquée dans la santé.

C’est ce que nous proposons d’aborder ci-après. Il s’agit du construit de santé-dans-la-maladie issu d’une approche phénoménologique.