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5. LA CONCEPTION DE L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT COMME

5.1 Les fondements conceptuels de l’ÉTP qui viennent jalonner les pratiques

Hagan (2010) met en évidence que les appellations les plus retrouvées en Occident concernant l’éducation en lien avec la maladie et la santé, sont les

24 Sources puisées sur le site du Centre de ressources textuelles et lexicales :

suivantes : éducation des patients (patient éducation), éducation sanitaire (health

éducation), éducation thérapeutique des patients, enseignements aux patients ou

enseignement à la clientèle (patient teaching). Selon l’auteure, ces différentes terminologies, quelles que soient leur appellation, ont toutes un même centre d’intérêt : celui de l’éducation, de l’enseignement et de l’apprentissage.

Cependant, il persiste des controverses entre la distinction ou non à opérer entre l’éducation pour la santé et l’éducation thérapeutique du patient. Ceci n’est pas sans conséquences sur les pratiques éducatives des soignants.

Si le but de l’éducation pour la santé et de l’éducation thérapeutique semble être le même : « acquérir des compétences pour entretenir et développer son capital santé » (Simon, Traynard, Bourdillon, Gagnayre et Grimaldi, 2009, p. 3), les démarches pédagogiques usitées ne seraient pas similaires (Ibid.). Pour ces auteurs, dans le cadre de l’ÉTP, la différence est liée à la présence de la maladie qui vient réguler l’urgence des apprentissages à opérer afin ne pas mettre en danger la personne soignée, alors que dans le cadre de l’éducation pour la santé, la maladie n’est pas présente et le temps nécessaire à l’appropriation des compétences à gérer sa santé est donc sans conséquence immédiate.

A contrario Sandrin-Berthon (2006) considère l’éducation du patient

comme de l’éducation pour la santé, dirigée vers des personnes ou des groupes engagés dans une relation de soins. L’auteure précise que :

L'éducation thérapeutique peut s'inscrire dans le courant de l'éducation pour la santé et plus globalement encore dans celui de la promotion de la santé. […] Fondamentalement, entre ce qui relève de l'éducation des patients et ce qui est de l'éducation pour la santé, il n'y a pas de différence de savoir, il n'y a pas de différence d'attitudes et d'aptitudes qui soit fondamentale. (Ibid., p. 40)

Dans cette même perspective, Hagan (2010) met en évidence que l’éducation pour la santé englobe l’éducation du patient :

L’éducation à la santé est un ensemble planifié d’expériences d’apprentissage visant à prédisposer une personne et à la rendre apte à adopter volontairement des comportements favorables à la santé ainsi qu’à soutenir l’adoption de ces comportements. (p. 7)

Vincent, Loaêc et Fournier (2010) rejoignent cette définition. Selon ces auteurs, l’éducation pour la santé inclut les concepts d’éducation thérapeutique du patient et d’éducation du patient. Leur conception adopte une vision plus large de

la santé et de la maladie. L’éducation pour la santé concerne « tant la maladie, que les comportements de santé et le mode de vie de la personne malade » (p. 22). Dans cette perspective la santé représente un phénomène de développement dans le lequel « la maladie (disease) fait partie implicite de l’expérience de santé » (Ellefsen, 2010, p. 40).

A contrario, d’autres auteurs réfutent cette conception, trouvant que le

concept de santé global peut provoquer le risque d’inhiber et d’occulter la maladie (Ibid.). « La santé et la maladie apparaissent […] comme deux phénomènes distincts et opposés mais qui coexistent contrairement au continuum santé- maladie » (Ibid., p. 40).

Comme nous pouvons le constater, penser l’éducation thérapeutique du patient dans la perspective de l’éducation pour la santé, ne réduit plus uniquement le patient à sa maladie et à son accompagnement. Nous sommes dans une vision élargie où la santé vient englober la maladie.

Cependant dans cette perspective, ne risque-t-on pas d’inhiber les expériences de maladie comme l’exprime Ellefsen (2010) ?

Dans le cadre de l’apparition d’une maladie chronique, le bouleversement engendré par celle-ci peut être entendu comme une rupture, une discontinuité (Marin, 2008) et soulève des interrogations sur la dichotomie ou le continuum entre les notions de santé et de maladie vécues par la personne malade.

Dans ce cas, il nous semble pertinent d’aller puiser chez les auteures en sciences infirmières nord-américaines qui ont contribué et qui continuent largement d’explorer ces phénomènes de santé et de maladie en lien avec leurs pratiques. Les théoriciennes25 qui se mobilisent pour développer la recherche infirmière s’inspirent d’une polyphonie de champs scientifiques, des savoirs expérientiels des soignants et des personnes soignées. Des années 1950 à ce jour se sont déroulés une soixantaine d’années de réflexions et de recherches sur la philosophie du soin, sur les conceptions de la santé et de la maladie, sur le bien- être et la qualité de vie, sur les principes qui peuvent guider le soin, sur la nature de la relation de soin.

Cette façon de formaliser l’intervention professionnelle infirmière a été largement influencée par la théorie générale des systèmes qui a imprégné la

25 Nous avons recours au féminin car la population de chercheures en sciences infirmières est

société nord-américaine dans les années 1970 (Pepin, Ducharme et Kérouac, 2010). Von Bertalanffy (2002), fondateur de la systémique a posé les bases de la théorie holiste de la vie et de la nature dans un premier ouvrage paru en 1973. Le paradigme systémique conçoit à la fois la matière et l’esprit comme les éléments indissociables d’un processus évolutif qui se développe de façon non linéaire dans un système complexe (Ibid.).

C’est en partie pourquoi, la plupart des modèles en sciences infirmières s’inscrivent dans une perspective holiste de la personne soignée envisagée dans ses composantes physiques, psychologiques, sociales et spirituelles.

La majorité des théoriciennes soutiennent une vision globale des personnes en interaction avec leur environnement. À ce titre, l’intervention infirmière est entendue comme une collaboration infirmière-personne-famille dans une perspective d’apprentissage. C’est en période de stress et de vulnérabilité que les personnes malades rencontrent les infirmières. Dans cette perspective, certaines conceptions infirmières mettent l’accent sur le respect de la connaissance que la personne a de sa maladie afin d’identifier avec eux les forces dont ils disposent pour mettre en œuvre un mieux-être (Gottlieb, Dalton et Feeley, 2007). Il en découle une reconceptualisation de la santé et de la maladie entendue comme l’interaction entre des forces opposées de stimulus ou de défis d’adaptation (Ibid.). Dans ce cadre, on peut définir le mieux-être comme : le processus par lequel une personne baisse ses attentes pour s'ajuster à une santé décroissante et maintenir ainsi sa satisfaction à avoir une vie équilibrée selon ses capacités (Schwartz, Bode, Repucci, Becker, Sprangers, Fayers, 2006).

Nous adhérons au fait que les infirmières ne peuvent s’engager dans des interventions éducatives sans le choix d’une référenciation conceptuelle autour de la santé et/ou de la maladie. Ce choix est fondamental car il affecte d’une façon ou d’une autre l’état psychologique d’autrui (Billon, 2000). Dans une perspective interventionniste, adhérer à une conception, permet d’orienter la pratique de l’infirmière, de décrire les buts que celle-ci poursuit, d’orienter son rôle et ses activités de soins (Ibid., p. 49).

Avec la conception du “ mieux-vivre ”, il s’agit de comprendre comment se constitue l’expérience individuelle subjective de la maladie par le sujet malade, le sens que ce dernier octroie à sa maladie, afin de mettre en œuvre une intervention thérapeutique adaptée en regard de ces éléments (Bruchon-

Schweitzer, 2002). Il s’agit d’accompagner la personne atteinte de maladie chronique à modifier et adopter d’autres types de comportements. Ces changements sont difficiles et font appel à des facteurs motivationnels forts. L’éducation thérapeutique porte une triple finalité : celle d’apprivoiser la maladie chronique, de recouvrer une certaine autonomie et de maîtriser un nouveau mode de vie pour favoriser un mieux-être.

Dans ce cadre, il est reconnu que l’ÉTP participe à l’amélioration de la qualité de vie dans une dynamique ancrée en lien avec le projet de vie (Lagger, Pataky et Golay, 2009). Cependant si le projet de vie est entendu comme une des sources de motivation les plus puissantes dans l’adoption et le maintien de nouveaux comportements de santé, il apparaît que la notion de projet est difficile à manier du fait d’une polysémie de contenu, renvoyant au fondement de la construction de l’action collective, à la fois processus comme de rationalisation et dispositif de régulation (Bréchet et Desreumaux, 2005). Par ailleurs, le construit de qualité de vie est éminemment subjectif, multidimensionnel et dépend des valeurs socioculturelles des individus. L’évaluation de la qualité de vie dans sa globalité est, très difficile et ce, malgré les outils standardisés qui existent et dont les propriétés métrologiques sont par ailleurs vérifiées. De plus, la qualité de vie est souvent restreinte aux principaux aspects liés à la santé au risque d’en dissocier ce qui dépend de la maladie et de ce qui n’en dépend pas (Debaty, Baudrant, Benhamou, Halimi, 2008). Or la santé et la maladie sont intimement liées en termes d’interaction avec l’identité de la personne malade, ses attentes, ses objectifs, ses besoins, ses projets ou ses valeurs.

Mettre au travail le mieux-être, soit l’expérience individuelle subjective de la maladie par le sujet malade nous semble incontournable. Nous sommes avant tout à la recherche d’un modèle scientifiquement éprouvé qui va nous permettre de mettre au travail l’interrelation entre les expériences de santé et de maladie que possède la personne atteinte de maladie chronique et le savoir professionnel du soignant dans une dynamique d’apprentissage pour “ mieux être ” avec la maladie chronique. C’est dans cette perspective que nous ne ciblerons pas davantage dans nos travaux le projet de vie en lien avec la qualité de vie

Nous pensons que l'importance des enjeux théoriques et pratiques associés à la connaissance et au contrôle des comportements est le fondement des ressources de la psychologie sociale appliquée à l’optimisation des soins. Cela se

traduit par un répertoire considérable de modèles qui se focalisent sur la prédiction des “ comportements de santé ” et des “ comportements de maladie ” en cherchant à définir les conditions de leurs transformations. C’est ce que nous nous proposons d’appréhender dans la section suivante.

5.2 L’impact de la psychologie de la santé dans le cadre des pratiques