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2.6 Synth`ese

2.6.3 Une rupture sous forme d’affordance cognitive

en exergue une certaine continuit´e des pratiques dans ces d´ebuts de l’`ere informa-tique. Nous pensons en effet que les pratiques traditionnelles doivent ˆetre d’abord transpos´ees dans l’espace du num´erique suite `a un processus d’informatisation dans lequel une analyse fonctionnelle de la pratique est men´ee. L’histoire de la lecture t´emoigne du pouvoir d’´evolution induit par le support sur les pratiques et le num´erique ne fera certainement pas exception `a la r`egle. C’est pourquoi nous pensons qu’une informatisation des pratiques de lecture savante est n´ecessaire, afin de permettre leur inscription dans l’espace num´erique et ainsi les inclure dans un environnement propice `a une ´evolution et une optimisation des pratiques. Ce-pendant, si notre discours argumente une continuit´e des pratiques, nous pensons que le num´erique en tant que support est la source d’une rupture dont notre pr´esentation des affordances en donne les pr´emisses.

L’av`enement du num´erique est souvent compar´e `a la r´evolution de Gutenberg. L’invention de ce dernier a rendu les ´ecrits plus accessibles et `a partir de l`a un grand virage social a ´et´e amorc´e, touchant une population bien plus large que celle des lecteurs. . . Faire l’analogie avec le num´erique ne manque pas d’attrait. Tout particuli`erement lorsqu’il s’agit de consid´erer Internet, ce r´eseau internatio-nal qui propulse la sph`ere publique `a son paroxysme et dont le flux d’information est difficilement contrˆolable. Comme pour l’imprimerie, les id´ees circulent d’une mani`ere in´edite et le r´eseau bouleverse leurs circuits de distribution traditionnels, changeant pouvoirs et rˆoles des acteurs au passage. Nous sommes certainement en train d’amorcer un nouveau tournant social, mais nous pensons que son impact sera encore plus profond que celui produit par l’apparition de l’imprimerie. En ef-fet, l’impact du passage au num´erique nous paraˆıt similaire `a celui cons´equent du passage d’une culture orale `a une culture ´ecrite. Car si l’invention de l’´ecriture a permis de donner une permanence aux ´echanges culturels et une spatialisation des connaissances, le num´erique permet une quasi-instantan´eit´e en acc`es, supprimant la dimension temporelle des ´echanges culturels, et met `a la disposition du lecteur une infinitude de traitements automatiques des connaissances. Nous avons, grˆace au num´erique et `a ses affordances illimit´ees la possibilit´e de d´el´eguer `a la machine 14. Cela implique que l’´ecriture des commentaires n’utilise pas une technique de prise de notes ni un formalisme personnel, ils doivent pouvoir ˆetre lus par les autres internautes.

des batteries d’op´erations sur des larges volumes de donn´ees pour se concentrer sur l’interpr´etation des r´esultats de cette lecture `a la fois transversale, synth´etique et personnalis´ee. Comme autrefois le tableau a permis l’analyse et l’association de donn´ees difficilement perceptibles `a l’oral, le num´erique permet d’extirper des nouvelles connaissances `a partir d’une analyse de donn´ees difficilement r´ealisable sans automatisation. C’est l’´emergence de ce que nous appelons la raison com-putationnelle, concept sur lequel nous reviendrons dans notre discussion sur le document num´erique.

2.7 Conclusion

L’histoire de la lecture montre que les pratiques ont ´et´e maintes fois influen-c´ees par les supports et inversement, les supports par les pratiques. C’est une ´evolution conjointe et c’est pourquoi ce travail est aussi une histoire des supports des textes en Occident. Nous constatons aussi qu’une technologie n’en chasse pas une autre, elles se sp´ecialisent pour des pratiques donn´ees. Certaines formes de lecture deviennent dominantes, majoritairement repr´esent´ees, mais la coexis-tence des diverses mani`eres de lire est une constante, comme par exemple la lecture orale et la lecture silencieuse qui jouent des rˆoles compl´ementaires en-core de nos jours. Qu’est-ce que change avec le passage au num´erique ? Avec l’infinitude d’affordances que ce nouveau support fait miroiter aux ing´enieurs des connaissances, c’est d’abord un excellent espace pour mettre en œuvre une instru-mentation rapide, quasi-imm´ediate, des pratiques transversales ou reposant sur des proc´edures. C’est cette richesse en termes de manipulation de l’inscription, devenue calculable, automatisable, qui explique le succ`es des transpositions des pratiques pr´e-existantes mais lourdes `a appliquer sur le support papier : parcours hypertextuel, composition combinatoire de contenus, exploration syntaxique de corpus, etc. Mais si des pratiques de lecture extensives, ou `a la lumi`ere des vo-lumes d’information consid´er´eshyperextensives, s’effectuent d´ej`a majoritairement sur ordinateur, ce n’est pas encore le cas des pratiques intensives pour lesquelles le papier est encore le support de choix. Est-ce un probl`eme d’instrumentation ? Est-ce que nous ne pourrions pas profiter de l’infinitude d’affordances propre au support num´erique pour favoriser des pratiques intensives `a l’´ecran ? Avant de nous pencher sur ces questions, nous allons revenir en d´etail dans le prochain chapitre sur les particularit´es du document num´erique qui nous permettent de mieux cerner son diff´erentiel fonctionnel avec le support papier.

Chapitre 3

Documents num´eriques : `a la fois

calcul et dispositif

‘That doesn’t sound very reliable tome,’ said the druid nastily. ‘How can a book know what day it is ? Paper can’t count.’1 Un druide persuasif dans The Light Fantastic

3.1 Introduction

Les bouleversements introduits par le support num´erique dans le paysage do-cumentaire ont suscit´e une r´eflexion sur les objets et la terminologie des champs disciplinaires concern´es par le concept de document. Cela a provoqu´e une interro-gation pluridisciplinaire sur la notion mˆeme de document et sur sa possible infor-matisation. En France, les ´echanges ont ´et´e cristallis´es par les efforts du R´eseau Th´ematique Pluridisciplinaire « Documents et contenu : cr´eation, indexation, navigation» (RTP-DOC). Ce d´ebat a mis en exergue la dimension polys´emique du concept de document, entendu comme un objet diff´erent selon les disciplines et contextes dans lesquels il est mobilis´e. Le passage au num´erique complexifie cette r´eflexion ´epist´emologique car la d´emat´erialisation ´eclate le concept de do-cument en une multitude de notions sous-jacentes : ressources, fichiers, formats, etc. Nous proposons dans ce chapitre une pr´esentation de ces notions, apr`es avoir pr´ecis´e notre positionnement dans ce d´ebat ´epist´emologique. L’int´erˆet de cette d´emarche est pour nous de caract´eriser les objets documentaires num´eriques afin d’en d´eterminer les probl´ematiques de manipulation qui leurs sont propres. C’est 1. «Cela ne me semble pas tr`es fiable», dit le druide m´echamment,«Comment un livre peut-il savoir quel jour est-il ? Le papier ne sait pas compter.»

un pr´ealable n´ecessaire au d´eploiement d’une ing´enierie documentaire d’instru-mentation de la lecture. Nous verrons tout d’abord ce qu’est un document, en partant des origines du terme `a son emploi actuel. Apr`es la caract´erisation de la notion de document, nous proposons ensuite d’´etudier par analogie le concept de document num´erique : comment satisfait-il ou pas les crit`eres constitutifs d’un document ? Puis nous approfondirons la notion de calculabilit´e, caract´eristique cette fois sp´ecifique au num´erique. Son ´etude nous permettra de compl´eter notre tour d’horizon du paysage documentaire num´erique et d’en proposer une termi-nologie. Enfin, nous reviendrons sur les aspects du num´erique qui constituent un obstacle `a la pratique de la lecture savante sur ce support.