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2.6 Synth`ese

2.6.2 Pratiques ´emergentes

Si la jeunesse des pratiques num´eriques nous empˆeche de pouvoir d´efinir ce que sera la forme dominante de la lecture `a l’´ecran, nous pouvons n´eanmoins identifier plusieurs tendances qui se d´egagent. La principale d’entre elles, d´ej`a mentionn´ee `a plusieurs reprises, consiste en la pratique d’une lecture comparable au zapping t´el´evisuel. Plusieurs arguments peuvent cautionner son d´eveloppement :

– La navigation hypertexte, o`u un contenu se succ`ede `a un autre `a l’´ecran `a la suite de clics de l’utilisateur, est le mode d’acc`es majoritaire des ressources documentaires num´eriques.

– Le manque d’ergonomie des dispositifs num´eriques, cela favoriserait une lecture rapide et superficielle.

– Le volume d’information qu’exposent les r´eseaux informatiques aussi rend d´elicat une approche de la lecture qui n’implique pas un tri et donc une lecture superficielle.

– Les pratiques documentaires qui ont introduit l’informatique comme outil de recherche d’information et d’exploration de corpus documentaire. Cette approche incite `a une lecture superficielle et par cons´equent de la forme zapping.

Il paraˆıt par cons´equent difficile d’imaginer qu’une autre pratique de lecture d´etrˆone cette lecture exploratoire et fragment´ee dans son rˆole pr´edominant. Mais cela n’implique pas que d’autres formes de lecture ne se d´eveloppent en parall`ele, ce que nous souhaitons pour la lecture intensive. B´elisle sugg`ere que pour qu’il y ait un d´eveloppement d’autres pratiques que la lecture de zapping, des nou-veaux contrats de lecture sp´ecifiques au num´erique doivent ˆetre d´efinis. Il s’agit de conventions tacites de fonctionnement (de l’activit´e de lecture). Pour que de tels contrats apparaissent pour la lecture num´erique, il faut une ´emergence de

conventions sociales qui lui soient propres avec des attentes en mati`ere de pr´e-sentation, lisibilit´e, efficacit´e, pr´evisibilit´e, formatage, travail d’interpr´etation des ´enonc´es et cat´egorisation, inscription dans des mod`eles pertinents d’appropriation (B´elisle 2002). C’est-`a-dire qu’il ne suffit pas de disposer de contenus num´eriques propices `a une lecture particuli`ere, il faut les int´egrer dans un environnement logi-ciel stabilis´e avec une offre fonctionnelle qui correspond aux attentes des lecteurs. Les possibilit´es d’analyse automatique apport´ees par le num´erique favorisent ´egalement le d´eveloppement de pratiques de lectures transversales. Des pratiques qui ´etaient autrefois r´eserv´ees `a une frange de passionn´es s’ouvrent `a tout utili-sateur d’ordinateur. Il s’agit de l’utilisation de l’informatique pour des lectures analytiques de vastes corpus, comme par exemple de compter les occurrences d’un terme, d’´etudier les ´evolutions des vocabulaires, etc. (Cl´ement 1998). Le data mi-ning9

est devenu une pratique hautement accessible, tout internaute pouvant par exemple comparer les occurrences d’un mot parmi les pages index´ees par un mo-teur de recherche10

. La d´el´egation des tˆaches r´ep´etitives `a la machine permet ainsi aux lecteurs de ne s’int´eresser que sur les lectures de haut niveau, bas´ees sur les r´esultats statistiques fournis par une analyse programm´ee des corpus.

Une autre tendance forte apport´ee par le num´erique est la participation des lecteurs dans leur activit´e. En fait depuis que l’ordinateur est utilis´e en tant qu’outil documentaire, la lecture et l’´ecriture s’entremˆelent intimement. D´ej`a, dans l’essence mˆeme de la navigation hypertextuelle le lecteur ´ecrit son parcours dans l’ensemble des possibles, en cliquant de lien en lien. Mais cela va bien plus loin, l’ordinateur a ´et´e un outil de production avant mˆeme de proposer une ergo-nomie satisfaisante pour la consultation et int`egre le n´ecessaire pour produire de textes. Avec la logique du copier-coller, la recomposition est une pratique cou-rante des utilisateurs d’ordinateur, qui peuvent facilement int´egrer des ´el´ements de leurs lectures dans leurs futures productions. Ajoutons `a cela la possibilit´e donn´ee `a tout internaute de publier ses productions sur le Web et nous avons un lecteur qui bascule entre rˆoles de public, critique, auteur et ´editeur. L’apparition de genres de site Web renforce cette tendance du lecteur actif, avec notamment les blogs11

et les wikis12

qui incitent `a la cr´eation de communaut´es virtuelles autour 9. Litt´eralement extraction de donn´ees, analyse statistique d’un ensemble de donn´ees pour en extraire des caract´eristiques.

10. Une pratique anecdotique consiste `a comparer les occurrences de deux orthographes d’un mot pour en d´eterminer l’exacte ou celle qui est socialement per¸cue comme telle.

11. Aph´er`ese de Web log, ou journal Web, d´esigne un site o`u des articles sont publi´es dans diverses cat´egories mais affich´es par d´efaut dans un ordre chronologique. Ils permettent aux internautes d’ajouter des commentaires `a chaque article, cr´eant des v´eritables fils de discussion associ´es au texte de d´epart.

12. Syst`eme de gestion de contenu en ligne permettant la modification des pages d’un site par tous les internautes ou un groupe d’utilisateurs ayant les mˆeme droits. C’est un outil d’´ecriture collaborative avec suivi des modifications qui permet `a des communaut´es Web d’expliciter et capitaliser leurs connaissances. Le plus c´el`ebre exemple est l’encyclop´edie libre Wikip´edia.

de ressources documentaires en ligne. Le profil de l’internaute se pr´esente ainsi comme celui d’un lecteur actif, comme l’indique la figure 2.813

. Cette tendance de l’internaute lecteur-auteur semble s’installer ´egalement en France o`u 34% des habitants naviguent sur Internet tous les jours et o`u un internaute sur dix a cr´ee un blog ou une page personnelle au cours des douze derniers mois (Bigot 2006). Et ce chiffre grimpe `a plus de un sur trois pour les adolescents, ce qui laisse pr´esager un d´eveloppement de ces pratiques `a la hausse au fil des g´en´erations.

Figure 2.8 – Activit´es des internautes en ligne.

Nous avons d´ej`a indiqu´e que notre d´efinition de la lecture impliquait n´ecessai-rement une ´ecriture, ne serait-ce qu’en tant qu’interpr´etation interne de ce qui est lu par le lecteur. Or la forte activit´e de lecture-´ecriture sur le Web nous d´evoile une particularit´e int´eressante de ce m´edia, `a savoir une affordance qui permet aux lecteurs de r´eifier leurs interpr´etations – sous forme de commentaires ou d’articles faisant r´ef´erence au texte de d´epart – et de partager ces interpr´etations 13. D’apr`es un article paru dans BusinessWeek en ligne le 11 juin 2007 : http:// www.businessweek.com/magazine/content/07_24/b4038405.htm(derni`ere consultation : no-vembre 2007)

avec tous ou une partie des internautes. Cette lecture-´ecriture a par cons´equent un caract`ere public, avec des productions donn´ees `a lire et non pas restreintes `a un usage priv´e14

. Les interpr´etations des internautes, ou d’une partie grandissante d’entre-eux, sont donc r´eifi´ees, explicites et partag´ees.

2.6.3 Une rupture sous forme d’affordance cognitive