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3.2 Qu’est-ce qu’un document ?

3.2.3 Le document en tant qu’inscription

Nous avons jusqu’ici abord´e la notion de document de mani`ere tr`es large, en englobant tout ce qui peut ˆetre l’objet d’une d´emarche de documentation. Notre d´efinition englobe des objets qui correspondent `a des inscriptions d’un

signifiant sur un support physique (livres, bandes audio, pellicules...). Toute ins-cription n’est pas n´ecessairement document (comme nous l’avons d´ej`a sugg´er´e avec l’exemple de la liste de courses) et tout document n’est pas n´ecessairement inscription (c’est l’exemple de l’antilope). Toutefois, tout objet num´erique est n´ecessairement une inscription, c’est pourquoi, afin de pr´eparer notre discussion sur la notion de document num´erique, nous proposons ici de revenir sur une ca-ract´erisation approfondie des inscriptions. Celle-ci correspond `a la caca-ract´erisation pr´esent´ee par Bachimont dans (Bachimont 2004).

L’inscription sur un support peut ˆetre abord´ee selon deux axes principaux : son enregistrement et sa restitution. Dans le premier, on passe progressivement de l’expression de l’auteur `a un enregistrement p´erenne alors que selon le deuxi`eme on suit le cheminement inverse en partant de l’enregistrement vers le lecteur.

L’enregistrement, phase constitutive de l’inscription, celle par laquelle le si-gnifiant est sauvegard´e sur un support (cf. figure3.1) :

– La forme s´emiotique d’expression : c’est le signifiant tel qu’il est produit par l’auteur dans son expression originale, avant enregistrement. C’est le«code s´emiotique utilis´e pour transcrire l’intention d’expression d’un auteur.»

Cela correspond aux mots pour un texte, aux plans et s´equences pour un film, aux sons pour une musique, etc. Il s’agit par cons´equent de ce que l’on veut enregistrer, tel qu’il l’aura ´et´e exprim´e par l’auteur.

– Le dispositif d’enregistrement : il s’agit du syst`eme technique qui permet de fixer un signifiant sur un support physique donn´e. La p´erennit´e de l’ins-cription d´ependra de la p´erennit´e de son support, les pellicules cin´emato-graphiques par exemple ayant une dur´ee de vie tr`es courte en comparaison au papier. Le dispositif d’enregistrement transforme toute dimension tem-porelle de la forme s´emiotique d’expression en une dimension spatiale, la seule que la technique permet de manipuler en tant que medium.

– Le support d’enregistrement : c’est l’objet physique sur lequel le dispositif d’enregistrement r´ealise une inscription. Ce sont le papier pour les livres, les bandes magn´etiques ou les CD pour la musique, etc.

– La forme d’enregistrement : l’inscription faite par le dispositif d’enregis-trement sur le support emprunte une forme de capture et d’encodage du signifiant propre au couple dispositif/support. C’est en d´efinitive le signi-fiant pour une technologie d’inscription donn´ee : le signal magn´etique pour les bandes, l’´ecriture alphab´etique pour un texte, le code num´erique binaire pour un CD musical, etc.

La restitution s’apparente au cheminement inverse de l’enregistrement, allant de la forme enregistr´ee vers une forme intelligible, mais elle n’implique pas n´eces-sairement les mˆemes dispositifs et acteurs, d’o`u une terminologie sp´ecifique (cf. figure3.2) :

Figure 3.1 – De la forme s´emiotique d’expression `a l’enregistrement

– Le dispositif de restitution : il s’agit du syst`eme technique qui permet, `a partir d’un support d’enregistrement donn´e, de produire un signifiant sur un support de restitution `a destination d’un acteur humain. Ce sont les lecteurs de bandes magn´etiques, les lecteurs de CD, etc.

– Le support de restitution : il s’agit du support physique sur lequel une ins-cription est projet´ee/donn´ee `a lire dans une forme physique de restitution. Ce sont les moniteurs vid´eos, les enceintes st´er´eo, l’´ecran de projection, etc. – La forme physique de restitution : il s’agit de la forme sp´ecifique `a un support de restitution qui permet la production de signifiants destin´es au lecteur. Ce sont les pixels pour les ´ecrans, mouvements d’air produits par une enceinte, etc.

– La forme s´emiotique de restitution : ce sont les signifiants r´esultant de la forme physique de restitution en tant qu’unit´es intelligibles par le lecteur. Id´ealement, on devrait retrouver la forme s´emiotique d’expression emprun-t´ee par l’auteur, cependant les dispositifs d’enregistrement et de restitution ne sont pas toujours aptes `a capturer et `a restituer les formes s´emiotiques telles qu’elles ont ´et´e produites au d´epart. C’est le cas par exemple de la musique dont la forme d’expression est un signal continu qui est transform´e en signal num´erique discret par le dispositif d’enregistrement. La forme s´e-miotique de restitution est un nouveau signal continu produit `a partir du signal num´erique, proche de l’original mais pas identique.

Les diff´erentes notions introduites ici ne sont pas obligatoirement distinctes dans la pratique ; l’exemple du livre est assez singulier du fait des concepts

com-Figure 3.2 – De l’enregistrement `a la forme s´emiotique de restitution

muns `a la phase d’enregistrement et `a celle de restitution :

– La forme s´emiotique d’expression et celle de restitution sont confondues, l’auteur inscrit des mots qui sont ´egalement ce qui est donn´e `a interpr´eter au lecteur.

– Le support d’enregistrement et le support de restitution sont confondus, on enregistre sur du papier qui est ´egalement l’objet sur lequel s’effectue la lecture.

– La forme s´emiotique de restitution et celle d’enregistrement sont confon-dues, ce qui conc`ede aux livres l’avantage d’ˆetre directement interpr´etables, sans avoir recours `a un dispositif technique interm´ediaire. Cela explique la long´evit´e des contenus ´ecrits, l’obsolescence de leur lecture n’a lieu que lorsque la langue dans laquelle ils sont ´ecrits est perdue2

, c’est-`a-dire que la forme s´emiotique de restitution n’est plus intelligible. Alors que pour d’autres supports, l’obsolescence peut ˆetre due en plus `a une perte de la maˆıtrise du dispositif de restitution et ´egalement `a une perte de la maˆıtrise de la forme d’enregistrement.

Cette premi`ere caract´erisation des inscriptions nous fournit un axe d’analyse que nous pourrons appliquer aux entit´es num´eriques. Nous verrons que `a l’instar du papier, le num´erique est un support avec des particularit´es qui justifient sa richesse mais aussi sa complexit´e.