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Chapitre 2 : Un usage de la cartographie contrarié pour les professionnels du tourisme en raison

2. Une reproduction de tâches à plusieurs échelles

2.1 Une politique décisionnelle touristique superposée

Pourquoi évoquer cet aspect-là alors que les chiffres du tourisme placent toujours la France en tête des destinations préférées avec 86,9 millions de visiteurs étrangers pour l’année 2017. Le tourisme ne peut qu’en sortir grandi. Mais pour quelles raisons, la France n’arrive-t ’elle qu’en troisième position en termes de recettes derrière les Etats-Unis et l’Espagne avec 53,7 Milliards d’euros de bénéfices générés. Ces chiffres, qui datent de 2018, ne sont pas très récents mais sont les derniers mis à disposition par le gouvernement sur le site de la Direction Générale des Entreprises (DGE)5 et proviennent directement des données de l’Organisation Mondiale du

Tourisme aux Nations Unies (OMT ou UNWTO). Le champ du tourisme est compliqué à saisir et le cas français intrigue entre un impressionnant potentiel économique et une perte progressive de parts de marché.

Ces constats posent des questionnements quant à l’organisation territoriale actuelle du tourisme en France et au cas du millefeuille administratif. Non pas que les institutionnels du tourisme tels

5 DGE Direction Générale des Entreprises. Etudes et statistiques [en ligne]. Disponible sur

75 que les CRT, CDT et autres OT soient désorganisés, qu’ils sont dotés d’une certaine administration de travail réfléchie et pensée mais leurs actions touristiques se reproduisent aux échelles nationale, régionale, départementale et intercommunale. Il y a ainsi des distinctions territoriales clairement établies mais pas de distinctions évidentes dans les tâches effectuées avec une superposition de services qui reproduisent parfois les mêmes actions de manière exhaustive et non spécifique.

Cette politique touristique paraît inaboutie en comparaison des modèles sur la régionalisation espagnole et sur les fédéralismes allemands et autrichiens. L’organisation décentralisée repose sur la coordination politique mais la région ne peut pas imposer sa vision au département ou aux communes. Le message envoyé aux territoires et les possibilités mises à leurs dispositions n’en ressortent alors que très floues.

L’actuel Directeur du Comité Régional du Tourisme d’Occitanie, Jean Pinard, exprimait son point de vue sur cette question en 2016 :

« La loi vraiment utile au tourisme serait celle qui oserait mettre les enjeux d’organisation, donc de compétitivité, au cœur du débat. Une loi dont l’objet serait de reconsidérer le financement des organismes de promotion touristique, d’une part, de reconsidérer leur statut et cadre juridique, d’autre part. Oui, il faut faire évoluer les offices et les comités de tourisme en organismes interprofessionnels. Tendre vers ce statut d’organismes interprofessionnels, c’est assurément le meilleur moyen de renforcer notre compétitivité. C’est en finir avec une organisation en silo qui fait croire que les compétences et les missions d’un salarié d’office de tourisme ne seraient pas les mêmes que celui d’un comité départemental ou d’un comité régional du tourisme. C’est aussi renforcer le rôle des acteurs de l’économie touristique dans la gouvernance et le management de leur destination. C’est enfin mettre un terme à une organisation qui sépare d’un côté les producteurs de l’économie touristique et de l’autre les marketeurs des destinations touristiques. Dans quel secteur de l’économie trouve-t-on pareille aberration ? Comment peut-on assurer le marketing d’une destination sans prise sur le produit ? » (Revue Espaces 332, Septembre-Octobre 2016)6

On souligne un tourisme qui ne manque pas d’organisation et de travail dans un secteur, certes influencé par les crises, mais qui est toujours très sujet à de nombreuses clientèles. Les grosses administrations et structures parviennent ainsi à maintenir un certain cap dans leurs politiques et dépasser les défaillances du système touristique mais les plus petites structures et les territoires ruraux rencontrent plus de difficultés.

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2.2 Le cas de l’Espagne et des comarcas

L’Espagne est le leader du marché touristique en Europe. Le pays connaît un fort développement touristique depuis les années 1960 et les grands chantiers d’aménagement de son littoral, lancés sous le régime de Franco. Mais après un modèle de développement très centralisé et planifié, comparable à celui de la France, elle a opté à la fin des années 70 pour un développement touristique géré et traité à l’échelon régional. Par conséquent, seules les régions financent les projets nouveaux et centralisent les fonds de développement régionaux alloués par l’Union Européenne aux territoires.

Dans les faits, les Communautés autonomes espagnoles légifèrent en tourisme et délèguent la mise en œuvre de ces textes et donc des compétences tourisme aux comarcas, qui correspondent en taille aux communautés de communes françaises. Les régions mettent en application des lois régionales qui confèrent différentes missions touristiques aux comarcas telles que la promotion, la gestion des équipements, l’aménagement et la régulation de l’activité touristique. Ces lois peuvent être étendues par la région et ainsi allonger les responsabilités des comarcas.

Les Régions en Espagne jouent entre guillemets le rôle de superviseur en gérant une politique de planification d’ensemble. Bien évidemment, ce modèle comporte aussi des risques comme la crise de l’immobilier de la fin des années 2000 a pu démontrer avec une trop grande largesse laissée aux comarcas et notamment en ce qui concerne les constructions de loisirs et autres bâtiments qui traient au tourisme.

Pourtant, cette confiance à l’égard des territoires démontre aussi qu’ils sont les mieux placés pour promouvoir les ressources de leur territoire, pour adapter l’offre d’hébergements et d’équipement touristiques à leurs propres besoins. Comme évoquées, toutes les compétences de planification et de promotion d’activités sont de la responsabilité des communautés autonomes. Seule l’image de l’Espagne comme destination touristique à l’étranger est restée dans les mains du gouvernement central et de l’organisme TURESPAÑA qui est l’est l’équivalent d’Atout France.

Par ailleurs, cette politique de gestion et de répartition des responsabilités touristiques entièrement décentralisée a renforcé l’image des régions et de leurs campagnes de communication nationales et internationales. La France a ainsi modifié sa politique touristique en ce sens que ces dernières années, il s’agissait pour les anciennes régions administratives françaises plus petites de lutter dans un marché très concurrentiel et représenté par des grandes régions telles que l’Andalousie, la Catalogne, les Asturies, le Bade-Wurtemberg ou encore la Bavière.

77 Ces espaces touristiques disposent toujours d’une certaine ancienneté et d’une certaine avance dans leurs politiques de marques territoriales clairement identifiées par les consommateurs et dans leurs stratégies touristiques régionalisées. Les retombées économiques générées les confortent dans leurs choix.

2.3 Une harmonisation touristique territoriale à trouver

Le cadre juridique posé par la loi NOTRe du 7 août 2015 sur la nouvelle organisation territoriale de la République n’a pas amélioré le fonctionnement territorial touristique. En effet, elle s’appuie sur les territoires et non sur les destinations touristiques. Il s’agit pourtant de raisonner autrement, de s’affranchir des frontières et de bâtir de véritables marques de destination. Jean Pinard, l’actuel Directeur du Comité Régional du Tourisme d’Occitanie parle même « d’enjeux

d’organisation territoriale sur les mêmes principes que ceux qui ont permis aux Appellations d’Origines Protégées (AOP) ou aux Indications Géographiques Protégées (IGP) de déterminer les périmètres de leur terroir, c’est-à- dire de créer la notion de destination sur le modèle de la notion de terroir. » (Revue Espaces 332, Septembre-

Octobre 2016) 7

Selon cet acteur, la gestion du tourisme est quelque peu désordonnée et cette observation est partagée par un enseignant chercheur auprès duquel j’ai pu recueillir les propos suivants :

« Oui, c'est aussi le constat qu'on fait régulièrement quand on voit, par exemple, la disparition de la DATAR qui a été remplacée par le CGET qui maintenant est remplacé par l'agence nationale de la cohésion des territoires. Parfois, il y a des politiques, un peu d'urgence qui sont mises en place, mais surtout, il y a une décentralisation des moyens. Maintenant, c'est à dire que l'Etat se désengage essentiellement auprès des régions qui ont la compétence d'aménagement du territoire. Mais comme tous les niveaux inférieurs, entre guillemets, ont aussi une compétence générale de gestion de leur territoire, ça s'accroche. Le constat qu'on peut faire, c'est qu’au lieu d'avoir des grandes politiques nationales qui vont jouer partout, maintenant, on a une dispersion et on va avoir des actions qui vont être parfois disparates, avec des choses qui se font à un endroit et ne se font pas à d'autres. Et le grand spectre du saupoudrage revient de fait d'avoir plein de petites actions à droite, à gauche, mais pas beaucoup de coordination. » (Cf. Annexe A, p 134)

Cette course à l’identification territoriale ne doit pas en oublier le principal, à savoir que ce sont les populations résidentielles qui font les territoires au quotidien et les différentes politiques mises en application ne mentionnent que peu souvent les habitants. L’enseignant cartographe évoque le terme fort de désengagement de l’Etat face à ces problématiques territoriales. Face à ces situations, des acteurs agissent à l’image de la Mission des offices de tourisme de Nouvelle-

78 Aquitaine (MONA) qui travaille sans relâche pour une meilleure qualification et professionnalisation du tourisme, un accompagnement dans l’organisation touristique des territoires, un accent porté sur l’innovation touristique et une animation du réseau des offices de tourisme en Nouvelle-Aquitaine. D’autres territoires sont aussi des exemples à suivre à l’image de la Savoie et de la Haute-Savoie qui forment la destination Savoie Mont-Blanc, du Cher et de l’Indre qui constituent la destination Berry, des Deux-Sèvres et de la Vienne qui sont devenus la destination Poitou ou encore l’office de tourisme Vallée de la Dordogne qui regroupe plus de 120 communes sur deux départements.

Ainsi, il est parfois difficile de promouvoir à la fois un territoire administratif et une destination car cette dernière dépasse bien souvent le cadre des frontières et est liée à des régions, des vallées, des massifs montagneux, des littoraux, des espaces, des Hommes et des patrimoines matériels et immatériels. Cette ambivalence peut mener les élus au-devant d’exemples de cordialité et d’entente comme évoqués avec les territoires ci-dessus mais aussi déboucher sur des conflits et autres refus qui peuvent entraîner une forme d’acculturation territoriale.