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Chapitre 2 : Réflexions sur la cartographie et son application dans le tourisme

2. Une cartographie consensuelle et sacerdotale dans l’imaginaire collectif

2.1 La carte comme principal support de médiation touristique

En matière de tourisme, la carte représente le principal support de médiation entre le visiteur et les conseillers en office de tourisme. La carte de territoire par exemple occupe une mission importante les structures touristiques. Elle est le premier outil proposé au visiteur souvent sous format papier et participe à aider les agents dans l’indication des sites, des sentiers de randonnées, des restaurants, des hébergements, ou autres lieux à visiter et à découvrir aux clients. La confiance et la fiabilité véhiculées par ce support de communication en font un des moyens privilégiés par les acteurs du tourisme.

Les cartes mettent le monde sur un bout de papier et permettent à ses usagers et commanditaires d’avoir un regard d’ensemble sur les acteurs qui font le territoire. Le support papier encore majoritairement utilisé reste très prisé par les touristes. Cependant, le numérique et les nombreux supports individuels qui l’accompagnent ont renversé les certitudes et il faut ainsi repenser le modèle de retransmission et de réception client afin d’accroitre ses fonctions et son utilité dans une conjoncture numérique et environnementale de plus en plus importante. Fort de ce constat, c’est tout un modèle qui se retrouve bouleversé avec des rôles qui se retrouvent

39 inversés. Aujourd’hui, les organismes touristiques doivent être dotés d’équipements numériques (responsive, Technologies 3D, réalité augmentée, …) et doivent désormais aller chercher la clientèle dans un secteur toujours plus concurrentiel et les cartes s’inscrivent bien évidemment dans ce sens.

Les notions de fidélisation de la clientèle, d’intégration de leur outil à diverses dimensions (sociétale, sociale, géographique, économique, politique, …), de financement (recherche de partenaires économiques, fonds région, Europe, …) sont autant de questions à ne pas négliger pour les organismes territoriaux touristiques afin de se maintenir et d’exister sur une carte touristique.

La carte touristique est un sujet de réflexion important pour les acteurs du tourisme. Il est question d’enrichir numériquement l’expérience de l’utilisateur dans différents contextes ; chez soi, à l’accueil des offices de tourisme, en randonnée, … Il s’agit d’optimiser le numérique dans la cartographie avec des interrogations sur les fonds de cartes à utiliser ou sur la transmission des informations au visiteur. La Mission des Offices de tourisme de la Nouvelle-Aquitaine (MONA) très influente en matière d’innovation touristique planche sur une meilleure immersivité et une intégration des dimensions sociales d’échange et de relation avec les communautés locales.

2.2 Un outil de communication et d’information

Il ne faut pas confondre communication et information. Les deux notions s’inscrivent dans le grand champ de la communication mais n’expriment pas les mêmes visées. L’information résulte de tout élément d’une histoire ayant été vérifiée, validée et bâtie autour de faits vérifiés et vérifiables. Cette notion d’information est souvent reliée à la profession de journaliste. La communication, quant à elle découle de tout élément de discours ayant été produit à des fins précises, vendre un produit ou appuyer une thèse. Elle est mise en évidence par des émotions, des opinions et une interprétation des faits et trait aux communicants.

Partant de ce principe, il est important de prendre conscience du pouvoir d’adhésion des cartes. Le géographe et écrivain américain Mark Monmonier a écrit que « l’informatique appliquée à la

cartographie peut être une arme puissante pour modeler l’opinion publique ; que cette technologie puisse profiter à l’humanité dépendra largement de la bonne volonté des gens qui en ont la responsabilité ». (Comment faire

mentir les cartes, Monmonier, 1991, p 13) La carte étant le principal support de médiation touristique entre le visiteur et les agents, elle représente de ce fait un objet de toutes les attentions pour les professionnels du tourisme face à un touriste qui la perçoit bien souvent au même titre qu’une carte élaborée par un cartographe aguerri.

40 La discipline a évolué à travers l’histoire pour muer d’une cartographie comme représentation objective du réel (par souci de localisation) à un outil de gouvernance, de pouvoir et construction sociale. Cependant, l’image qu’elle renvoie n’a que peu évoluée souvent au cœur de nos sociétés passées, présentes et futures avec un rôle fondamental qui lui confère une image sacerdotale. Or, un amalgame existe entre les cartes vouées à communiquer et celles vouées à informer, qui ne sont pourtant pas destinées aux mêmes objectifs. Une carte représente énormément dans l’imaginaire collectif telle une vérité entérinée qui ne peut être contestée et en cela, elle constitue une arme d’autant plus dans notre société actuelle dominée par la communication, l’image et le gain de temps perpétuel. Elles jouent un rôle d’influenceur, d’alerteur pour inciter à agir. Monmonier va même plus loin dans ses propos en interrogeant le lecteur sur : « Quel est l’élément

commun entre publicité et cartographie ? La meilleure réponse est assurément qu’elles partagent le même besoin de communiquer une version limitée de la vérité ». (Comment faire mentir les cartes, Monmonier, 1991,

p 96) Dans le cadre du tourisme, le lecteur d’une carte est souvent impressionné par les technologies nouvelles mais ignore volontiers la réalité des cartes et autres abstractions qui ne sont que la représentation aseptisée qu’une structure touristique a voulue représenter. La localisation est évidemment une partie importante de la carte, mais les professionnels du tourisme profitent de cette tribune pour mettre en avant d’autres renseignements et autres messages subtils, voire subliminaux à leur intérêt. Durant longtemps, les professionnels du tourisme ont produit des cartes sans se soucier de la source de leurs informations. Entre la date de publication de la carte et la date de prise de l’information, des changements peuvent se produire et nuire à l’exactitude d’une carte. L’arrivée dans le marché de nouvelles tendances liées aux problématiques environnementales, sociales et sociétales va entraîner une nouvelle dynamique dans l’élaboration des cartes pour les communicants pour ces sujets jusque-là ignorés au profit des notions de rêves et d’évasions. Les clientèles en recherche de bien-vivre et de bien- être vont désormais être en attente de cartes plus en adéquation avec leurs attentes. On assiste en quelque sorte à l’éveil du consommateur qui va mettre peut-être un terme à un silence cartographique basé sur une forme de désinformation.

La carte, comme le numérique n’est pas à diaboliser. Elle n’est que le fruit de ce que l’on en fait. Les géographes ont pour but de produire des supports qui engagent le débat et la réflexion. Les communicants dont les acteurs du tourisme font partie, élaborent des cartes destinées à orienter des clientèles dans un souci de productivité et de gain. Malgré tout, le manque de discernement entre les cartes et l’image qu’elle bénéficie auprès du grand public et cela quel que soit son auteur pose question, à une époque où la cartographie a la capacité de manipuler le temps et la réalité.

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2.3 Une accessibilité qui interroge

La cartographie du XXIe siècle est une discipline à la croisée des chemins située au carrefour de

la science, de la technologie, de l’éthique, de la politique et même de l’art. Il est donc assez difficile d’en tracer les contours et d’en établir des règles. La discipline a durant longtemps été exclusivement un outil aux mains de personnes incarnant le pouvoir telles que les hommes politiques, les militaires ou les propriétaires terriens. Un contraste s’oppose alors dans l’imaginaire entre ce que la perception que l’on se fait de la carte et son accessibilité.

Aujourd’hui, la technologie numérique (Internet, outils numériques, logiciels, Google Maps, …) a grandement contribué à la démocratisation et à l’essor de la discipline mais aussi à la perte de rigueur et de contrôle dans l’élaboration de cartes. L’exemple du manque de codification dans les couleurs pose problème dans la véritable jungle cartographique. Cet aspect est lié à l’avènement de l’impression numérique qui a participé à la démocratisation de la couleur autrefois utilisée qu’en dernier ressort de par son prix relativement élevé. Ainsi, comme le révèle Monmonier,

« Les moniteurs, les imprimantes et autres générateurs d’images ont rendu le travail en couleurs facilement accessible au cartographe amateur ». Il ajoute qu’« aujourd’hui, l’ordinateur permet à de simples programmeurs experts en marketing, et à d’autres intermédiaires anonymes sans le moindre bon sens cartographique, d’intervenir sur la mise au point d’une carte de manière décisive et de donner aux cartes d’usage courant le caractère incisif, les symboles conventionnels et toute l’apparence des cartes produites par la confrérie des cartographes officiels ». (Comment faire

mentir les cartes, Monmonier, 1991, p 207 et p 24)

La libération des données provenant de l’Open Data et l’utilisation de logiciels libres (open source) risque de confirmer cette tendance. Roger Brunet insiste sur ce point de vue en révélant que :

« Tout un chacun peut désormais faire des cartes sur son ordinateur personnel, même sans apprentissage, ce qui ne va pas sans inconvénient : faire correctement une carte demande autant de formation qu’écrire correctement un texte, et devrait s’apprendre à l’école. Ce ne sera pas pour autant de la cartographie, car celle-ci a des règles strictes, et des conventions qui s’apprennent ».

(Les Mots de la géographie, Brunet, 1992, p 84-85)

Et c’est bien cela qui interpelle dans cette démocratisation. En effet, l’arrivée sur le marché de nombreux programmes et autres logiciels, donne l’illusion à l’utilisateur d’avoir des notions de cartographie. Cependant, les cartes produites sans maîtrises des logiciels, des codes de la cartographie et des connaissances territoriales qui atteignent le grand public sont souvent

42 erronées ou incomplètes. Pour illustrer ce propos, les usagers confondent bien souvent donnée et information. En cartographie, une information est le résultat d’une action d’interprétation d’une donnée. Par ailleurs, une donnée peut être stockée (base de données) mais pas une information qui représente uniquement une interprétation du cartographe.

L’accessibilité à la discipline pose alors question dans l’orientation qui sera donnée aux cartes produites et mises à la disposition des gens. Ainsi, la carte a une grande influence auprès des populations et de nos jours et il sera important pour la cartographie de règlementer voire même de standardiser des codes pour éviter l’écueil d’une anarchisation de la discipline dans une ère des médias marquée par le buzz et les fakes news.