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Chapitre 2 : Réflexions sur la cartographie et son application dans le tourisme

3. Une discipline hybride et multiforme

3.1 Une ressource indispensable et intemporelle

« La géographie précède l’histoire […] Pour s’approprier leur environnement, les hommes ont depuis longtemps cherché à représenter l’espace qui les entoure. Certaines cartes retrouvées sont même antérieures à l’invention de l’écriture ». (Manuel de Cartographie, Lambert et Zanin, 2016, p 17) Cette citation empruntée à

cet ouvrage résume bien la place des cartes dans la société. De la toute première carte à nos jours, la cartographie a su se rendre incontournable aux yeux de ses utilisateurs. La discipline se réinvente quelle que soit le progrès et les avancées des sociétés et en cela elle est intemporelle. De l’origine de la première carte à ce jour (la tablette de Nuzi de 2200 av J-C) à Google Maps, la façon de construire des cartes a énormément évolué au cours du temps. Portée par le progrès scientifique et technique, la discipline a longtemps été marquée par une course à la précision dont le but était de localiser de façon toujours plus fine les différents lieux. Aujourd’hui, alors que le monde est en train d’être numérisé dans son intégralité en trois dimensions par Google ou par le projet Open Street Map, on arrive progressivement au bout de cette quête qui a animé l’humanité pendant des siècles.

Cependant, cela ne représente pas une fin en soi pour la cartographie qui a été et demeure encore un outil incontournable quelle que soit la société. Christian Jacob va même plus loin dans son ouvrage « L’Empire des cartes (Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire) ». Dans ses travaux, il s’appuie sur les théories du géographe et cartographe anglais John Brian Harley et mentionne que :

« Pour le géographe, il ne saurait y avoir de solution de continuité entre les cartes anciennes et les cartes actuelles, toutes relèveraient du même type de lecture référentielle, de la même rigueur scientifique. La standardisation et le primat de la mesure sont les propriétés intrinsèques de la vraie carte, en dehors desquelles ne sont que cartographies hérétiques, subjectives et idéologiquement

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déformées ». (L’Empire des cartes : Approche théorique de la cartographie à travers

l’histoire, Jacob, 1992, p 18)

La carte reste un dispositif technique et culturel dont les matérialisations comme les usages ne peuvent être réduites à un modèle unique. Avec le temps, elle est devenue un objet complexe et théorique, ne retenant plus seulement l’attention des géographes mais aussi d’un bon nombre de professions y compris extérieures à son champ initial. La tendance est à la représentation imagée dans une ère des médias et la carte est étudiée comme un médium de communication, permettant de transmettre visuellement des informations variées, économiques, démographiques, etc., mais se prêtant aussi à des manipulations rhétoriques (persuader, tromper, séduire, décider, …). Par sa complexité sémiotique comme par les institutions qui la produisent, l’utilisent ou en contrôlent la diffusion, la carte est aussi un instrument de pouvoir redoutable, dont l’efficacité n’est pas réductible à la représentation objective d’un fragment de la surface terrestre. Cette opacité nouvelle, cette fonctionnalité étendue de la carte ont conduit à porter un regard nouveau sur ses caractéristiques visuelles, support de l’information, susceptible de brouiller, voire d’inverser les significations que l’on veut transmettre. Ainsi, à travers cette double évolution, historique et théorique, il convient de retenir que la carte est devenue un objet opaque qui retient le regard sur lui-même. La carte est entrée dans l’ère des craintes et des interrogations et commence à peine à être remise en cause.

3.2 Un domaine de plus en plus thématique et segmenté

La cartographie a beaucoup évolué à travers le temps, qu’elle soit sous format papier ou numérique et engendrant quel que soit le support des difficultés. Le numérique a généré énormément de progrès dans nos sociétés, mais a en contrepartie bouleversé les codes à la fois pour les utilisateurs, les concepteurs et les commanditaires en matière de cartographique. En effet, la donnée est aujourd’hui plus accessible qu’auparavant notamment par le biais de la connaissance qui progresse et également de l’Open Data. Trouver de la donnée n’est plus un problème, c’est même une obligation légale pour les territoires qui bénéficient pour cela d’une instrumentalisation adéquate. Cependant, cette profusion d’informations peut nuire à la construction de cartes car la facilité d’usage peut entraîner des erreurs sur les rendus cartographiques.

Dans la conjoncture sociétale occidentale actuelle, nous assistons à une spécialisation des thématiques cartographiques à l’image des obligations territoriales des communes (zones inondables par exemple) qui accroissent la demande en cartes. Cette approche trop segmentée et sectorielle a accru notre connaissance notamment en matière de cartographie d’inventaire

44 mais pénalise les territoires dans l’utilisation de la cartographie en tant qu’outil d’aide à la décision. Avant les années 1980, la cartographie était dans une logique de production générale exhaustive. Désormais, sa spécialisation entraîne une présence de données plus détaillées dans des champs spécifiques mais sans aucune approche transversale et avec une harmonisation et une superposition des données rendue plus difficile. Or, comme chacun le sait, plus une donnée est précise et plus elle est lourde à manipuler.

Il existe deux types d’informations géographiques ; les informations de référence qui concernent les données généralistes utilisables dans de nombreux domaines d’activités (maillage administratif, réseau routier, pays du monde, …) et les informations thématiques liées à un sujet précis. Ces dernières peuvent être produites par des entreprises, des bureaux d’études ou des spécialistes de tel ou tel domaine. Plus spécialisées, ces données sont généralement plus onéreuses et cela même si le mouvement Open Data facilite aujourd’hui leur diffusion. Qu’il s’agisse d’information de

référence ou d’information thématique, l’information géographique se décompose en trois niveaux. (Figure 5)

Le niveau géométrique, fait

apparaître les points, lignes et autres polygones. Il représente le fond de carte à travers la forme, le tracé et la localisation des objets dans un système de coordonnées géographiques. Le niveau topologique se veut complémentaire du niveau géométrique par des relations spatiales entre les objets : proximité, éloignement, distance, …. Le niveau sémantique se caractérise par des données attributaires chiffrées ou textuelles, reliées à un objet localisé dans l’espace. Il peut s’agir d’un nom de rue, d’un numéro de parcelle cadastrale ou d’une information statistique. Ainsi, toute carte qui se revendique thématique est le résultat d’une association de d’un fond de carte (niveau géométrique) et d’une ou plusieurs données (niveau sémantique).

L’information géographique constitue le terreau du cartographe et la question de la mise à jour de ces données est un exemple du manque de cohérence dans le croisement des données. L’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière) met par exemple à jour ces lourdes données tous les 6 à 8 ans. Alors oui, la donnée a aujourd’hui gagné en précision et en utilisation mais sa taille importante représente un frein pour ce qui est de la question d’une mise à jour plus régulière. La donnée a ainsi perdu en temporalité et cause des difficultés au quotidien pour les acteurs professionnels dans le croisement des données. La relation à l’espace et à la relativité

Figure 5 : De l’information à géographique à la carte thématique Source : Manuel de cartographie, Lambert et Zanin, 2016, p 27

45 a pourtant bien évolué au cours des XXe et début du XXIe siècles (notions de chorème et de la dimension thématique selon Roger Brunet) et en ce qui concerne la cartographie et ses différents niveaux, nous pouvons nous interroger en se demandant à qui s’adresse l’informatique décisionnel.

Se pose alors la question du rôle des élus pour améliorer cette problématique paradoxale entre une connaissance territoriale qui progresse et une cartographie en tant qu’outil d’aide à la décision qui peine à s’épanouir face à l’utilisation de données lourdes et qui n’ont pas été conçues pour être croisées. L’enjeu pour les territoires est de savoir s’ils seront capables d’avoir une approche synthétique cartographique pour une aide à la décision facilitée.

3.3 Un instrument aux perspectives futures intéressantes

La cartographie a jusqu’à maintenant toujours su se faire une place dans nos sociétés mais la part toujours plus importance du numérique dans nos vies oblige la discipline à s’adapter une nouvelle fois. Pour répondre aux besoins des utilisateurs toujours plus avares de technologie, elle s’oriente peu à peu vers des axes de développement futur intéressants.

Le Big Data et l’Open Data constituent des sources d’orientation et d’information très riches, très intéressantes et encore peu exploitées à ce jour. La capacité à maîtriser son territoire, à le connaître, à le piloter est valable pour toutes les échelles territoriales, régionales ou nationales. Le numérique par l’intermédiaire des SIG, vient amplifier cette aide à la gouvernance. Des prémices de la sémiologie graphique (points, lignes, polygones, couleurs, …) de la cartographie avec Jacques Bertin dans les années 1970 à aujourd’hui, de nouvelles fonctions peuvent constituer désormais une carte. Ainsi, on note que les effets de réalité virtuelle, le son ont pu faire leur apparition et que les techniques de cartographie se sont simplifiées passant souvent d’un format vecteur (dessin vectorisé calculable dans toutes ses dimensions) à un format raster (obtenu à partir d’une photographie aérienne ou d’un plan).

La carte présentée sous format de document voué au tourisme ou de plan de ville, reste un support de relation entre un visiteur et un visité. Cependant, ses possibilités notamment numériques restent pour l’heure inexploitées. En effet, la représentation graphique du voyage aujourd’hui intègre de plus en plus la trace numérique laissée par l’utilisateur mais les acteurs du tourisme à l’image des offices de tourisme n’intègrent pas assez ce nouveau de champ de possibilités offert par les progrès du numérique. Désormais, une grande majorité se géolocalise par le biais de son téléphone portable et de son GPS intégré. Ainsi, des perspectives intéressantes sont à creuser pour les professionnels du tourisme en matière de commerce local ou de randonnée à l’image des moyens apportés par Facebook Places ou Google Latitude. Il

46 s’agit donc de proposer une cartographie qui va au-delà de la simple intermédiation entre client et agent (chez soi, en randonnée, à l’OT) et une cartographie numérique individualisée par email basée sur l’utilisateur et ses usages et habitudes.

Pour les professionnels du tourisme, les SIG vont permettre d’affiner les connaissances du passé, de l’instant et du futur pour les territoires et cela représentera une aide non-négligeable dans le montage ou la gestion de projet. Le recours à la carte comme vectrice d’irrigation territoriale (sites patrimoniaux, commerces, hébergements, restauration, …) tend à se généraliser et il sera alors question de trouver une meilleure optimisation de l’outil.

Nicolas Lambert et Christine Zanin s’interrogent sur l’avenir de la discipline et en particulier des SIG et considèrent que « sans remettre en cause ce travail utile de stockage informatique indiscutablement

nécessaire, le réel enjeu cartographique d’aujourd’hui est de donner de l’intelligence aux données géographiques ».

(Manuel de cartographie, Lambert et Zanin, 2016, p 199) Cela pourrait se traduire par exemple la mise en place de cartes dynamisées au service d’une interactivité entre le visiteur et le visité et reposant sur des données environnementales liées à un territoire. Cela pourrait prendre la forme de cartes et diagrammes animés, capables de concentrer le temps et l’espace (impacts présents et futurs), ayant la capacité de donner au public et à ses dirigeants une vision saisissante du réel impact des populations sur un espace spécifique fréquenté (ressources, pollution de l’air et des eaux, épuisement des sols, …). Ces cartes pourraient sensibiliser le touriste en temps réel de façon ludique et ainsi faire appel à une démarche écocitoyenne avec les bons gestes à réaliser pour aider à améliorer toute une gamme de futurs possibles.

Ceci n’est qu’un exemple mais le fait de pouvoir visualiser une problématique inciterait peut- être chacun d’entre nous à agir. La fiabilité des cartes prévisionnelles dépend, naturellement, de la qualité des données initialement rassemblées, d’une théorie solide, de modèles bien établis et d’une excellente synergie à l’échelle territoriale.

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Chapitre 3 : Le progrès numérique et ses conséquences sur les acteurs