• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Un usage de la cartographie contrarié pour les professionnels du tourisme en raison

1. Un cloisonnement des services

1.1 Une cartographie compartimentée en thématiques

Le milieu de la cartographie a été bouleversé par la révolution numérique. L’expert en informatique ne s’interroge pas sur certaines questions que le géographe est amené à se poser. On est ainsi passé d’une représentation assez proche de la réalité des territoires avec un expert en cartographie et en développement territorial qui a une vision d’ensemble d’un espace à une représentation idéalisée, gestionnaire, éloignée du vécu et de la réalité avec un technicien qui utilise un SIG.

Toutes les branches de métiers liées à l’aménagement du territoire à l’image des voiries, des réseaux, de l’énergie, du bâtiment mais aussi du tourisme ont dû faire face à la complexification générée par l’arrivée massive de données numériques et d’innovations technologiques. L’enseignant-chercheur en cartographie interviewé dans le cadre de ce mémoire renforce cette pensée en exprimant qu’il « est vrai qu'on a perdu peut-être ce regard un peu généraliste du géographe sur

un territoire et que parfois, ça, ça peut provoquer un peu l'effet de silos déconnectés les uns des autres. » (Cf.

Annexe A, p 140-141)

A l’échelle des territoires, les SIG représentent un enjeu important et chaque service désire en avoir le contrôle. L’enseignant évoque le cas de Toulouse-Métropole où :

« Ça a été longtemps une lutte entre services. Au début, il y avait le service de l'urbanisme qui avait le SIG et qui s'en servait pour faire de la planification. Mais après, il y a eu le service informatique qui a fait prévaloir le fait qu'il gère les machines. Et puis après, il y a eu la grande mode des observatoires. Il y a eu les services de tourisme, par exemple, qui avaient besoin de cartes pour faire de la production. » (Cf. Annexe A, p 141)

Aujourd’hui, le temps des querelles est révolu et dans les services des institutionnels touristiques, il n’est pas rare de de trouver trace de SIG regroupés au sein d’un service informatique même si des structures sont parfois dotées de différents services ayant recours aux SIG. Il y a pour les acteurs touristiques et autres utilisateurs de ces dispositifs, une réflexion à mener sur la pertinence de confier les SIG à un service en particulier à l’exemple du service informatique sous peine de perdre une vision d’ensemble d’une personne de terrain ou de les proposer au sein de différents services et de concevoir des cartographies thématiques. Ces décisions quelles qu’elles soient, ne font que renforcer le cloisonnement de la cartographie qui se retrouve baladée

72 au sein de différents services sans être réellement fixée et créant de fait des divisions entre les différents sujets et autres thèmes abordés par une carte.

1.2 Une spécialisation des métiers

La cartographie autrefois exclusive et réservée à un certain nombre de professions et d’initiés offre par l’intermédiaire des SIG un spectre élargi dans l’éventail des métiers possibles. Les activités pratiquées restent essentiellement les mêmes autour de la collecte, du traitement, de la structuration et de l’interprétation de données alphanumériques, graphiques et géographiques. Il en va de même pour les compétences qui gravitent autour de la géographie, des SIG, des statistiques, de la cartographie, des outils bureautiques ou encore de l’infographie. Cependant, aujourd’hui, maîtriser l’information géographique donne la possibilité à un acteur de travailler aussi bien au sein d'organismes publics, privés, d'entreprises de travaux publics, de sociétés de services, de bureaux d'études et d'ingénierie, des armées, …

Un intervenant enquêté se confie sur ce sujet et précise qu’il :

« Regarde souvent les offres d'emploi justement pour voir ce que l'on demande. Quand on regarde dans les domaines techniques et qu'on voit la liste de tout ce que l'on demande, des logiciels que l'on demande à maîtriser, des techniques, des langages de programmation, ça fait peur. […] Mais oui, la technique évolue vite, mais il faut s'adapter. » (Cf. Annexe B, p 153)

Comme évoqué précédemment, les informaticiens et autres personnes qui participent à la fabrication des programmes et logiciels SIG pensent avant tout dans une logique informatique et non géographique. En termes de métiers, cela se traduit par un passage de personnes affiliées à la géographie et à la cartographie à des gestionnaires de réseaux pour qui la cartographie se résume en des plans techniques comme cela peut être perçu dans les secteurs de l’immobilier et de l’urbanisme. A titre d’exemple, on peut citer les chargés de mission ou les agents de développement local recrutés dans des structures de type institutionnels du tourisme ou dans les Groupes d’action locales et qui sont en charge de nombreuses missions allant de l’animation territoriale au montage de projet. Certains d’entre eux peuvent être amenés à utiliser la cartographie et les données par souci de réduction des coûts. Ces productions découlent quelque fois sur des cartographies approximatives. Un enseignant-chercheur interrogé qualifie ces personnes de :

« Amateurs entre guillemets qui se sont mis à produire de la cartographie sans trop savoir comment et en faisant confiance à des logiciels qui avaient été développés par les informaticiens. Donc, on a eu toute une vague de cartographies qui ont entourées des études d'urbanisme type PLU, SCOT, soit utilisées par des bureaux d'études, soit par des collectivités locales, qui se sont mis à faire de la

73

mauvaise cartographie mais de la carte de travail, pas de la carte de publication. » (Cf. Annexe

A, p 139)

La société tend à se complexifier et à se diversifier de plus en plus. Il est de fait difficilement imaginable de voir les spécialisations par métiers se réduire. Malgré tout, on remarque qu’une base commune est requise dans les tâches demandées dans le traitement de l’information mais à la différence du passé, un producteur de carte n’est plus forcément présent durant les différentes étapes qui vont de la création et utilisation technique du support numérique à la partie production.

Enfin, l’apparition de la dataviz, ou de la visualisation de données, a grandement contribué à élargir l’étendue des métiers de la cartographie. C’est une pratique que l’on côtoie au quotidien sans se rendre compte, ne serait-ce qu’en ouvrant un journal ou en regardant la télévision. L’exemple le plus simple reste le sondage et dans l’ère numérique qui nous caractérise, elle est devenue un puissant outil de communication.

1.3 Une plus grande intermédiation dans la quête de données

La spécialisation des métiers de la cartographie et sa division en différentes thématiques a pour conséquences le fait qu’il faille passer de multiples canaux afin de recueillir des informations. Concrètement, une certaine autarcie se crée entre différents services d’une structure et entre différentes branches de la cartographie et laisse place à un manque de communication et de transversalité. Il devient assez difficile d’obtenir des informations dans le but d’élaborer une cartographie numérique ou papier regroupant différentes thématiques. Il s’agit alors de consulter de nombreuses plateformes afin de trouver les données numériques nécessaires dans le cas où ces données existent bel et bien ou sont triées de manière pertinente. Le processus de création d’une carte voit de nouvelles étapes apparaître et complexifier sa mise en œuvre.

Dans certains cas, de nouvelles technologies arrivent sur le marché et requièrent tellement de technicités et de connaissances que peu d’usagers peuvent accéder à son utilisation. Dans ces cas précis, se forment aujourd’hui des réseaux d’entreprises tels que des bureaux d’études qui développent des services de dataviz en ligne afin de faciliter la familiarisation au produit numérique. Ces structures privées sont plus adaptées à financer de telles politiques de développement sur les bases de données, la 3D, les logiciels, les plateformes en ligne et y voient le moyen de développer un marché émergent. Dans la pratique, ils proposent une offre de location de plusieurs services à des structures variées dont les collectivités territoriales et les institutionnels du tourisme. Ils garantissent un certain accompagnement à leurs commanditaires dans de la planification et dans de l'observation de terrain.

74 Ces initiatives sont louables mais peu accessibles aux petites entreprises et petites structures qui ne peuvent se payer ce genre de prestations. Par ailleurs, elles ne décloisonnent pas le secteur de la cartographie mais créent une certaine forme de médiation auprès des utilisateurs. En ce qui concerne les concepteurs, concevoir une carte est ainsi passé du dessin manuscrit au dessin informatisé. Il est alors question de s’approprier le nouveau matériel à disposition du logiciel lui-même à la gestion des bases de données. Un enseignant-chercheur en cartographie consulté se penche sur ce phénomène et se remémore que :

« Pendant longtemps, des formations en cartographie, des formations universitaires en cartographie ont beaucoup évolué en développant leur côté informatique au sens conception de bases de données, programmation, utilisation d'outils spécifiques de traitement d'images, etc. Et donc, ça, ça s'est complexifié. Pour le cartographe en lui-même, il a fallu qu'il étoffe ses compétences en faisant de la formation continue sur ces questions-là. » (Cf. Annexe A, p 143)

Les donneurs d’ordre ont également dû s’adapter face à un écosystème en perpétuelle évolution qui entraîne de nouvelles problématiques à l’image de nouveaux besoins des commanditaires confrontés à un service informatique complexe. Un cycle se crée alors avec un marché qui propose des solutions et équipements informatiques assez élaborés et un marché qui voit le jour pour tenter d’apporter une réponse devant des besoins tout aussi obscurs.