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Une question accentuée à partir des années

§1 Une réponse possible à la crise organique des communes françaises

2) Une question accentuée à partir des années

142.Partant du principe que l’origine de la crise communale réside dans le déséquilibre démographique entre zones urbaines et zones rurales, il est possible de constater que celui- ci s’est accentué à partir des années 1960, aggravant ainsi la crise communale.

a) Le déséquilibre urbain-rural

143.Pour le professeur Henri Roussillon, le choix de la Constituante serait le reflet de la situation de domination de la société rurale de la fin du dix-huitième siècle, qui justifierait l’extension des modalités d’administration des villes d’Ancien Régime aux provinces rurales. Cette domination démographique a perduré tout au long du XIXème siècle, mais s’est rompue dans la seconde moitié du XXème siècle, en raison de l’exode rural. En

388 Henry ROUSSILLON, Op. Ct, p 318

389 Direction Générale des Collectivités Locales, Histoire complète de la décentralisation, de 1789 à octobre

2008

390

Henry ROUSSILLON, Op. Ct, p 301

391

98 accentuant le déclin démographique des campagnes, l’exode rural aurait atteint les composantes même de la commune, que le professeur Roussillon définit dans sa thèse comme communautaires et urbaines392. Ainsi en vidant les communes rurales au travers de l’exode de population vers les villes, le nouvel équilibre démographique aurait cassé l’espace de regroupement naturel que représentait la commune rurale393. En augmentant

rapidement la population urbaine, ce nouvel équilibre démographique aurait par ailleurs estompé le lien existant jusque-là en zone urbaine, entre commune et agglomération, le périmètre des agglomérations ayant ainsi très largement dépassé celui des communes.

144.Prenant acte de cette analyse démographique, il est possible de la compléter par une approche sociologique. En effet, à partir des années 1960, la distinction culturelle entre le rural et l’urbain disparaît progressivement394. Cette distinction reposait sur la différence

entre les conditions de vie et les structures sociales des milieux urbains et ruraux. Or, la diffusion du mode de vie urbain, la technicisation du travail agricole et le développement de l’emploi non agricole en zone rurale, ont progressivement conduit à la disparition de cette différence socio-économique395 qui a eu pour conséquences d’amoindrir la composante communautaire des communes rurales.

La société des « Trente glorieuses » s’est donc engagée dans un processus d’urbanisation culturelle, qui a conduit à changer ses référentiels sociaux et à marginaliser, démographiquement, socialement et économiquement les communes rurales. L’émiettement communal ne correspondait alors plus à aucune réalité socio-économique tangible396.

b) L’accroissement des responsabilités communales

145.Si le fond de la situation des communes peut résider dans le déséquilibre naissant entre ville et campagne, il n’en demeure pas moins qu’à cette même période, l’émiettement

392

Ibid

393 Henry ROUSSILLON, Op. Ct, p 329

394 Nicolas MATHIEU, La notion de rural et les rapports ville-campagne en France des années cinquante aux

années quatre-vingts, Economie rurale, 1990

395

Ibid

396

99 communal pose d’autres difficultés. Ces dernières sont caractérisées par l’incapacité de certaines communes à répondre aux attentes des administrés.

146.La période des « Trente glorieuses » est en effet marquée par un fort accroissement de la demande de services publics, notamment liée aux paradigmes de la société de loisir et de consommation naissante397, mais aussi à l’accroissement de la population398. Dans ce contexte, l’émiettement communal révèle l’insuffisance des ressources et des moyens de certaines communes pour entreprendre des projets structurants399. Dans son rapport « Vivre

Ensemble », Olivier Guichard fait état de cette situation en considérant que « les 36 000

communes étaient en quelque sorte dépassées par le fantastique accroissement de la demande de services collectifs suscitée par le progrès des techniques et l’amélioration du niveau de vie »400. L’émiettement communal a ainsi conduit les communes à mener des politiques d’intérêt purement local sans vision d’ensemble, ce qui a mené à une forme de « pulvérisation » de l’investissement public401.

147.A cet accroissement des besoins d’investissement, s’ajoute un renforcement, à partir de l’Acte I de décentralisation, de l’étendue des responsabilités communales402.

Les lois Deferre n’entreprennent pourtant aucune transformation institutionnelle d’envergure à destination de l’échelon communal. Ces dernières suscitant souvent le débat voire la crispation, le législateur a en effet préféré se prémunir d’une probable fronde des élus locaux, dans le but de faire plus facilement voter l’acte I de décentralisation403. Le

renforcement des prérogatives communales et l’affirmation de leur libre administration, auraient pourtant nécessité un renforcement parallèle des structures d’administration locales comme l’explique l’universitaire Jacques Caillosse, dans un ouvrage dédié à l’intercommunalité : « […] le modèle de décentralisation retenu par le législateur en 1982

s’il a permis une réussite rapide de la réforme sur le terrain politique a fortement

397

Club Jean Moulin, Les citoyens au pouvoir, 12 régions 2000 communes, collection Jean Moulin, le Seuil 1968, p 13

398 ibid, p 17 399

ibid, p 8

400

Olivier GUICHARD, Op. Ct, p 21

401

Club Jean Moulin, Op. Ct, p 17

402 Loi n° 83-8 du 7 Janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les

départements, les régions et l'Etat

403

100

contribué à accroître l’acuité du problème de l’intercommunalité. Alors que les projets antérieurs et notamment celui de la commission Guichard de 1976, faisaient du développement de l’intercommunalité la condition préalable de l’abandon par l’Etat de ses compétences stratégiques de gestion du territoire, les lois de 1982 et de 1983 ont pris le parti d’accorder à toutes les collectivités locales quels que soient leurs moyens […] des compétences identiques »404. Dans cet extrait, Jacques Caillosse constate ainsi l’impossibilité pour certaines communes d’assumer pleinement la décentralisation et la nécessité de recourir à des réformes d’envergure visant à remédier à cette situation.

c) Le retard par rapport au reste de l’Europe

148.Cette période des « Trente glorieuses » est aussi caractérisée à l’échelle européenne par des transformations d’envergure dans les pays voisins de la France. Ainsi, le nombre de communes a diminué en Allemagne fédérale dans les années 1970, passant de 25 000 à 8 500 unités405. En Suède, la fusion de force des communes de moins de 500 habitants fait passer le nombre de communes de 2 532 à 816 en 1952. En 1962, puis en 1974 de nouvelles vagues de fusions établissent le nombre de communes à 290 unités406. En Belgique, un mouvement comparable est entrepris. Même si ce dernier laisse plus de place au choix des communes elles-mêmes et tient compte du principe du « volontariat », le constat de la réduction du nombre de communes est très explicite. La Belgique comptait 2 739 communes en 1937, ce chiffre s’établit à 596 en 1975407. La dynamique de fusion est

donc très importante dans bon nombre de pays européens, isolant largement la France de cette dynamique. Ces comparaisons européennes ont été un des arguments principaux du mouvement réformiste408 des années 1960/1970, porté notamment par Jacques Chaban- Delmas, premier ministre, dans son discours sur la nouvelle société du 16 septembre 1969409.

A ce constat désavantageux pour la France, s’ajoute la crainte de voir le pays dépassé économiquement par ses voisins, dans le cadre du marché commun européen en

404 Jacques CAILLOSSE, Intercommunalités, invariances et mutations du modèle communal français, Presses

Universitaires de Rennes, collection Res-Publica, 1994, p 46

405

Manon MEITERMANN, Fusion des communes : exemples étrangers, Fondation IFRAP, 21 novembre 2013

406

Ibid

407

Ibid

408

Club Jean Moulin, Op. Ct, p 11

409

101 construction410. En effet, le traité de Rome créé en 1957, marque la naissance de la Communauté économique européenne (CEE). L'idée de la CEE est de créer un grand marché commun garantissant la libre circulation des hommes et des marchandises dans tous les pays membres, notamment grâce à la création d'une union douanière. En 1968 est créée, l’union douanière qui supprime définitivement les droits de douane entre les six pays membres de la CEE411.

Dans la formation de ce marché commun, la question de l’émiettement communal fait débat. En effet, le constat que la France dispose à elle seule de plus de communes que l’ensemble de ses partenaires réunis412 nourrit pour bon nombre de partisans du

mouvement réformateur, une impression de retard de la France en matière de rationalisation administrative413. La crainte de voir le pays dépassé en raison d’un déficit administratif rend, de leur point de vue, la réforme communale plus que nécessaire et urgente414. La dimension de l’efficacité et de la compétitivité de la France est en effet associée à l’efficacité des services publics locaux et à leurs capacités d’investissement415.

En comparaison de l’Allemagne et de la Belgique par exemple, la France risque dès lors de compromettre sa compétitivité économique416.

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