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La question de la viabilité des périmètres communau

§1 Une réponse possible à la crise organique des communes françaises

1) La question de la viabilité des périmètres communau

133.Le décret du 14 décembre1789 crée « une municipalité dans chaque ville, bourg,

paroisse ou communauté de campagne » du Royaume. Ce texte institue donc 44 000 communes368 sur le territoire métropolitain, à l’origine du maillage communal actuel de la République.

a) La naissance de l’émiettement communal

134.Cette décision de la Constituante a suscité de nombreux débats portant notamment sur la viabilité des communes instituées.

Préalablement au vote du décret, deux thèses s’opposent : l’une préconisant la transformation des entités existantes en communes de plein exercice ; l’autre proposant la création de communes de plus grande taille, aux surfaces homogènes.

Le rapport Thouret, inspiré par Nicolas de Condorcet et l’Abbé Emmanuel-Joseph Sieyes, propose une subdivision scientifique du Royaume « en quatre-vingts départements égaux

en surface ; de diviser chaque département en neuf arrondissements, sous le nom de communes ; de sous-diviser chaque arrondissement ou commune en neuf cantons »369.

368 Décret du 14 décembre 1789, Assemblée nationale constituante, article 1er

369

Archives parlementaires, recueil complet des débats législatif et politiques des chambres françaises, Première série (1789-1799), Tome9, 10 novembre 1789, p 736

93 Quatre-vingts provinces seraient créées sous l’appellation de départements. Chacun de ces départements serait divisé selon des critères géographiques identiques à savoir, par section de trente six lieues au carré370. Ces sections seraient appelées communes. Ces mêmes communes seraient ensuite découpées en quatre districts de quatre lieues au carré371 chacun.

L’idée des rapporteurs est bien de détacher les citoyens des tutelles aristocratiques d’Ancien Régime que les administrations des communautés de villes et de villages pourraient faire perdurer372. « C’est en les rapprochant, en les forçant à s’aimer qu’on tue l’aristocratie et qu’on fait des citoyens. Si nous n’avons pas ce but, nous travaillons en vain à la régénération publique »373. Il s’agit aussi de garantir une représentation cohérente de la Nation par des députés élus sur l’ensemble du territoire à partir de circonscriptions de tailles égales.

135.Bien que se voulant novateur, ce système pèche par sa complexité. C’est l’argument principal que lui oppose le Comte de Mirabeau, partisan de la transformation des entités d’Ancien Régime en communes de plein exercice. Il défend ainsi une contre-proposition devant l’Assemblée nationale constituante, le 10 novembre 1789. Son projet repose sur une division du Royaume en 120 départements, dotés chacun d’une assemblée administrative. Villes, villages et paroisses sont quant à eux transformés en communes de plein exercice. Ce projet a été considéré comme un renoncement à une modernisation complète du système d’Ancien Régime. Ses défenseurs l’expliquent au contraire, comme un moyen plus simple de recourir à une administration efficace et égalitaire. « La division par 120

départements a trois avantages qui lui sont propres. Elle rapproche l'administration des personnes administrées et fait concourir un plus grand nombre de citoyens à la surveillance publique. Elle n'exige plus aucune sous-division, ni l'établissement des assemblées communales, et par cela, la marche de l'administration est considérablement simplifiée. Enfin elle est plus proche que toute autre à détruire l’esprit des grands corps

»374. 370 Environ 173 Km² 371 Environ 19 km²

372 Grégoire BIGOT, Op. Ct, p 22

373 Archives parlementaires, recueil complet des débats législatif et politiques des chambres françaises,

Première série (1789-1799), Tome9, 10 novembre 1789, p 748

374

Archives parlementaires, recueil complet des débats législatif et politiques des chambres françaises, Première série (1789-1799), Tome9, 10 novembre 1789, p 735

94 Ils portent aussi une critique acerbe de la division arithmétique du Royaume. En défendant une division géométrique du territoire, la thèse de Thouret oublie en effet la dimension sociale et démographique des territoires, au risque de constituer des communes sans population375.

136.Un compromis est trouvé entre ces deux propositions, au cours de la séance du 11 novembre 1789. Le discours de Target emporte l’adhésion de l’assemblée. Sa proposition reprend les dispositions du rapport Thouret pour ce qui concerne les départements. Il est par ailleurs proposé à la Constituante de retenir la proposition du Comte de Mirabeau relative aux communes.

b) La critique classique de l’émiettement communal

137.Dès l’origine, le problème du personnel communal dans les petites communes devient un sujet de débat. Lanjuinais déclare le 24 juin 1793 devant la Convention, que « avec des

communes de 100, 200, 300, 500 citoyens, souvent il n’est pas possible de trouver plusieurs personnes assez instruites pour les fonctions de maire »376. Le député Louvet complète cette analyse en déclarant le même jour que la solution des grandes communes présente l’avantage « de trouver dans une plus grande population des hommes capables de

remplir les fonctions déléguées aux administrations municipales »377.

Ce constat perdure au long du dix-neuvième siècle. Odilon Barrot déclarait en 1837 que sur « 37 000 communes, il y en a les trois quarts, au moins, […] dans lesquelles il est très

difficile de réunir les éléments d’une autorité municipale »378. Dans son ouvrage sur les

origines de la France contemporaine, l’historien Hippolyte Taine écrivait à la fin du XIXème

siècle, « les maires des petites communes viennent à la ville, se font expliquer et

commenter tout au long l’office dont ils sont chargés, tâchent de comprendre, paraissent

375

Ibid, p 734

376 Archives parlementaires, recueil complet des débats législatif et politiques des chambres françaises,

séance du 24 juin 1793

377

Ibid

378

Archives parlementaires, recueil complet des débats législatif et politiques des chambres françaises, séance du 11 février 1837

95

avoir compris, puis, la semaine suivante, reviennent, n’ayant rien compris du tout, ni à la façon de tenir les registres d’état civil, ni à la manière de dresser le rôle des impôts »379.

Ce constat de l’impossible administration de certaines communes perdure donc au cours du dix-neuvième siècle, sans qu’aucune solution de rationalisation ne puisse y remédier. La théorie classique considère que la petitesse des périmètres communaux est à l’origine de ce défaut administratif et que seules des mesures de rationalisation organiques pourraient y remédier.

c) Les mesures prises pour remédier à cette situation

138.Dès lors, de nombreux projets sont portés par le législateur, afin de pallier cette situation. A l’image des résultats de la loi Marcellin, ils n’ont pas su réduire durablement le nombre de communes. Cette impossibilité tient notamment au fait que les périmètres communaux sont considérés comme des périmètres communautaires naturels, préfigurant le choix des constituants.

La Constitution de 1791 établit ainsi, dans son Article 8, que « Les citoyens français

considérés sous le rapport des relations locales qui naissent de leurs réunions dans les villes et dans certains arrondissements du territoire des campagnes, forment les Communes »380.

La rédaction de l’article sous-entend que le constituant ne crée pas de nouvelles entités, mais choisit de transcrire l’état préexistant des relations entre citoyens à l’échelle locale. 139.Plusieurs projets d’importance ont tenté de remédier à la crise organique des communes françaises. Le premier a été consacré par la Constitution de l’An III. Il crée trois catégories de communes, les communes de moins de 5 000 habitants, regroupées dans des municipalités de canton381, les communes de plus de 5 000 habitants qui conservent une existence propre382et les communes de plus de 100 000 habitants, qui se décomposent en

379

Hyppolite TAINE, Les origines de la France contemporaine, Broché, 13 octobre 2011

380

Constitution du 3 septembre 1791, Article 8

381

Constitution du 5 fructidor An III (22 août 1795), Article 179 et 180

96 trois municipalités distinctes383. Ce projet impose donc un seuil minimum de regroupement de 5 000 habitants à toutes les communes françaises. Cette Constitution s’inscrit dans une démarche de rationalisation matérielle comparable à celle du rapport Thouret. La différence notable est qu’elle privilégie une rationalisation des communes selon leur nombre d’habitants et non selon leurs périmètres, ce qui semble plus respectueux des répartitions démographiques.

La loi du 28 Pluviôse An VIII (17 février 1800), met finalement un terme à cette nouvelle approche. Elle renoue avec la doctrine d’origine, tout en supprimant une partie des 44 000 communes initialement créées. Elle ne reconstitue en effet que 38 000 unités, faisant disparaître les municipalités dont la population n’excède pas 300 habitants384.

Les procédés « autoritaires » de la Constitution de l’An III ont généré un traumatisme au sein de la population à tel point que les préfets dans le contexte de la loi du 28 Pluviôse An VIII, n’ont pas pu opérer la suppression de communes plus amples, initialement espérée385.

Ce traumatisme a aussi très largement conditionné les échecs des nombreuses tentatives de la Troisième République de rationaliser l’administration municipale386.

140.Parmi les quelques projets émergeant au cours du dix-neuvième siècle, le projet Gambetta est certainement le plus explicite. Il précède le vote de la grande loi communale du 5 avril 1884 qui confère aux communes de plus larges responsabilités. Certains se demandent alors si les petites communes auront la capacité d’assumer les nouvelles prérogatives qu’on leur promet. Au cours des débats avant les élections municipales de 1881, Léon Gambetta se prononce pour la création d’une collectivité cantonale. « Je pense

que nos communes de France que je trouve trop petites, devraient être groupées de manière à porter leur existence et leur développement au canton. Le canton, voilà pour moi le point de départ d’une réorganisation du pays »387. Le projet est finalement rejeté.

383 Ibid, Article 183

384 Henry ROUSSILLON, Op. Ct, p 298

385

Ibid, p 298

386 Gérard GOUZES, Rapport n°1356 Assemblée nationale, 28 janvier 1999, fait au nom de la commission

des lois, de la l gislatio et de l ad i ist atio g ale de la ‘ pu li ue, P ojet de loi elatif l o ga isatio urbaine et la simplification de la coopération intercommunale

387

Compte rendu des débats, Chambre des députés, session extraordinaire de 1883, séance du 29 octobre 1883, p 2157

97 Le principal grief fait à ce projet, est qu’il propose de constituer des communes sur des périmètres n’ayant aucune existence sociologique et historique388. Le député républicain du

Nord Emile de Macère résume en ces termes l’opposition parlementaire à ce projet : « La

commune n’est pas une création de la loi mais elle est née de la nature des choses »389. Il

confirme ainsi le constat d’un caractère propre du périmètre communal, qui rend politiquement illégitime toute tentative d’évolution de ce dernier.

141.L’impuissance de certaines communes et l’incapacité des autorités à remédier à l’émiettement communal rendent finalement probante l’analyse classique de la crise communale. Or le professeur Henri Roussillon, dans sa thèse sur les structures territoriales des communes, analyse au contraire que la théorie classique ne permet pas d’expliquer les échecs successifs des tentatives de rationalisation de l’émiettement communal. Il considère en effet, que l’avènement des grandes communes sous le Directoire n’a par exemple pas eu de résultats probants sur la capacité des communes à s’administrer390. Pour lui, le véritable

enjeu de la viabilité communale réside plutôt dans le respect de l’équilibre entre démographie urbaine et démographie rurale391.

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