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2. Cadre méthodologique

2.1. Une perspective interactionniste de recherche

Ayant choisi de nous focaliser sur le thème de la collaboration familles-école dans ce mémoire, nous avons pour objectif principal de comprendre quels sens les acteurs – les enseignants et les parents d’élèves – attribuent aux relations qu’ils doivent entretenir et en particulier lors des entretiens individuels permettant aux enseignants de remettre le livret scolaire des élèves aux parents ou de faire le point sur leur scolarité. Notre recherche s’inscrit dès lors dans une perspective interactionniste, attentive au sens donné par les différents acteurs aux situations dans lesquelles ils sont impliqués. Selon Bittner (1973 ; cité par De Queiroz & et Ziolkowski, 1997), elle consiste en « […] un effort de reconstruction des contextes situationnels dans toute leur complexité et, en particulier, tel qu’il est saisi et évalué par des acteurs pour lesquels les situations données sont des circonstances et expériences réelles de leur vie pratique » (p.125). Le point de départ de cette perspective est alors le coefficient humain, c’est-à-dire que « […] tout objet du monde culturel n’existe qu’en rapport avec la conscience, l’expérience et l’activité des sujets […] » (De Queiroz & et Ziolkowski, 1997, p.34). L’expérience que les acteurs ont du monde social et les conceptions, ainsi que les représentations qu’ils en font, sont dans cette perspective, l’objet essentiel de la sociologie.

Cette approche est fondée sur trois idées primordiales de l’interactionnisme symbolique développées dans les travaux de Strauss et reprises par Baszanger (1992). Tout d’abord, la société est perçue comme une production collective, c’est-à-dire comme le produit du commerce des hommes, des rencontres entre groupes et de leurs négociations. Il s’agit donc d’une position antidéterministe dans laquelle l’étude des processus et des actions collectives est centrale. De plus, cette approche a pour but d’étudier les processus de coordination des activités et des interactions que les acteurs réalisent dans un contexte donné permettant d’en expliquer l’ordre social actuel. Finalement, les individus sont perçus comme des êtres

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réflexifs, actifs et créatifs et non simplement passifs. Ils ne sont pas soumis à des forces sociales sans en avoir le contrôle ; au contraire, ils se situent dans une relation dialectique entre réflexion et actions. Cela rejoint l’idée principale de la recherche compréhensive dans laquelle Charmillot et Seferdjeli (2002) expliquent que l’humain n’est pas uniquement passif face aux situations rencontrées au cours de son existence et qu’il a la spécificité d’agir sur le monde qui l’entoure. Il est donc essentiel de ne pas considérer l’humain « […] seulement comme un agent déterminé par des forces extérieures à lui, mais le tenir également comme un acteur qui construit des significations à partir de la place qu’il occupe dans le monde […] » (p.188). Nous intéressant aux attentes et aux représentations des parents et des enseignants vis-à-vis de la collaboration, nous souhaitons avant tout pouvoir comprendre quel sens ils attribuent aux relations qu’ils doivent entretenir et quelles sont les interprétations qu’ils font de ces dernières. L’objet de notre recherche « […] porte [dès lors] sur les significations – données par les acteurs à leurs actes ou à ceux d’autrui. En ce sens il relève principalement de la compréhension comme expérience originaire du monde » (Schurmans, 2006, p.62). Cette auteure explique également que la compréhension permet de saisir toute la dynamique des interrelations de l’identité personnelle des individus, du sens commun créé en société, des structures symboliques et des organisations, et que

considérer la personne sous l’angle de son agir communicationnel signifie en effet l’appréhender en tant que productrice de sens, et affirmer ainsi que chacun d’entre nous dispose d’un pouvoir sur la définition des objets du monde : chacun participe, dans l’échange et la négociation, à cette entreprise collective qu’est la définition sociale de la réalité. (p.84)

De ce fait, il nous a semblé tout à fait pertinent de réaliser une étude s’inscrivant dans ce type de recherche dans le sens où nous nous intéressons aux points de vue des acteurs et à leurs propres vécus dans la collaboration. En effet, aussi bien les enseignants que les parents d’élève attribuent des significations qui leurs sont propres aux différentes situations qu’ils vivent. Dans ce mémoire, nous cherchons alors à comprendre quelles sont leurs propres attentes et les représentations de la collaboration qu’ils se sont forgées, mais également comment ils perçoivent leurs rôles et ceux d’autrui dans ces relations. De plus, nous nous intéressons également à la manière dont ils interprètent les attentes institutionnelles relatives à l’impératif du partenariat et à la mise en œuvre qu’ils en font lors des entretiens individuels.

C’est pourquoi une méthode qualitative nous a paru être appropriée pour réaliser notre recherche puisqu’il s’agit de méthodes « […] qui recherchent, explicitent, analysent des phénomènes (visibles ou cachés). Ces phénomènes, par essence, ne sont pas mesurables […], ils ont les caractéristiques spécifiques des « faits humains » » (Mucchielli, 1994, p.3).

En outre, l’approche de l’interactionnisme symbolique est congruente avec une méthode dite

« ethnométhodologique », puisque cette dernière a pour caractéristique principale de s’intéresser au savoir quotidien de la société, et plus particulièrement spécifique à une communauté, considéré comme la connaissance à disposition de tout membre (Garfinkel, 1985 ; cité par Le Breton, 2016). L’ethnométhodologie se demande ainsi de manière continue comment les activités sociales se produisent, comment l’ordre social se maintient et comment

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les acteurs produisent du sens ensemble. Il s’agit d’une méthode axée sur « l’étude des connaissances et des activités de la vie ordinaire des individus dans leurs interactions et leur rapport à la société. Elle se demande comment la réalité se reproduit inlassablement dans leur collaboration toujours renouvelée » (Le Breton, 2016, p.143). Il nous a semblé dès lors pertinent de nous inscrire dans ce type de recherche du fait que le sens donné par les acteurs dans les situations de collaboration vécues, dans notre cas lors des entretiens individuels réalisés entre les enseignants et les parents d’élèves, représente notre matériau central. En effet, « l’ethnométhodologie s’éloigne de la rupture épistémologique durkheimienne rejetant le sens commun à cause de ses préjugés ou de son incapacité à rendre compte de la totalité des données d’une situation » (idem, p.144). Contrairement à la rupture épistémologique durkheimienne, nous souhaitons partir du vécu des acteurs, de leurs expériences et de leurs discours afin de pouvoir comprendre comment ils attribuent du sens à la situation vécue en fonction de leurs capacités pratiques et réflexives. Garfinkel et Sacks (1970 ; cités par Le Breton, 2016) expliquent également que « les faits sociaux sont les accomplissements des membres » (p.146) ; il est alors possible de comprendre ce qui se joue dans la collaboration entre les enseignants et les parents d’élèves qu’en partant de leurs propres ressentis, vécus et représentations.

Dans cette recherche, nous avons également le souhait de nous appuyer sur les capacités d’interprétation de la situation qu’ont les acteurs qui influencent réciproquement leurs attentes et leurs représentations vis-à-vis de la collaboration, et donc leurs actions en fonction des situations vécues. En effet, les entretiens individuels représentent des situations de face à face.

Il s’agit donc de moments particuliers d’interaction pouvant empêcher leurs attentes de se réaliser étant donné la part d’imprévus liée aux interprétations des uns et des autres selon la situation vécue. Les acteurs agissent dès lors en interprétant leurs propres actions, mais également celles des autres, ce qui correspond à un champ mutuel d’influences. De ce fait, il nous a paru pertinent dans le cadre de ce mémoire de nous inscrire dans une perspective interactionniste nous permettant d’observer les mécanismes interactionnels en jeu lors de ces relations et d’essayer de comprendre à travers les observations des entretiens individuels et les entretiens de recherche post-observation si les attentes des acteurs se sont réalisées ou non et pourquoi. En effet, ils peuvent interpréter la situation différemment, ce qui rend difficile la négociation du sens et la définition de la situation. Cela peut donc créer des malentendus, des tensions et des ambivalences dans leurs pratiques et dans leurs discours. Nous cherchons alors également à mieux comprendre la complexité à laquelle sont confrontées les acteurs dans les interactions de face à face.

Basée sur une démarche inductive, s’éloignant ainsi des démarches hypothético-déductives traditionnelles, l’ethnométhodologie a pour objectif principal de se mettre « […] à l’écoute des activités de pensée et d’action courantes sans préjuger de leur signification » (Le Breton, 2016, p.145). Corbin et Strauss (1990) expliquent qu’« une théorie fondée est une théorie qui découle inductivement de l’étude du phénomène qu’elle présente : « […] elle est découverte, développée et vérifiée à travers une collecte systématique de données et une analyse des données relatives à ce phénomène » (p. 23 ; cités par Baszanger, 1992, p.53). Cela signifie que la collecte des données, l’analyse de ces dernières et la théorie sont étroitement liées. La

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recherche est considérée comme un processus dans lequel le chercheur effectue un va-et-vient constant entre le travail empirique et le travail théorique (Baszanger, 1992 ; Charmillot &

Seferdjeli, 2002). Il ne s’agit donc pas de partir d’un modèle théorique afin de le prouver, mais bien de partir d’un domaine d’études et de laisser émerger ce qui en est pertinent sur le terrain. Nous situer dans une telle démarche nous a permis de construire notre objet d’étude de manière progressive en effectuant sans cesse des allers et retours entre ce que nous observons sur le terrain et ce que nous lisons dans la théorie. Cela nous a semblé être le plus judicieux puisque le vécu des acteurs ne peut être compris que dans l’observation des situations dans lesquelles ils se situent et le témoignage qu’ils en font. Nos hypothèses interprétatives se sont dès lors construites et renforcées au fur et à mesure de l’avancée de notre recherche, c’est pourquoi elles n’ont pas été explicitées avant l’analyse des données récoltées.

Dépelteau (2011) ajoute que « selon plusieurs empiristes, l’induction est donc la démarche scientifique qui nous permet de connaître la réalité grâce à nos sens » (p.129) et d’induire des faits généraux, tels que des concepts, des hypothèses ou des théories, à partir de l’observation d’expériences particulières, c’est-à-dire de la réalité du terrain. Dans ce cas, le chercheur se pose une question qui le dirige vers l’observation de situations multiples et particulières sans avoir réellement d’idées préconçues. Cela lui permet d’établir certaines récurrences dans les situations à partir desquelles il a la possibilité de formuler des énoncés généraux. Cela correspond au choix effectué pour notre recherche. En effet, nous nous sommes demandés quelles sont les attentes et les représentations des enseignants et des parents vis-à-vis de la collaboration, ce qui nous a permis d’orienter nos observations de la réalité vers les entretiens individuels réalisés en cours d’année scolaire entre ces deux acteurs et de choisir de nous entretenir avec chacun de ces deux acteurs. L’analyse des récurrences présentes dans les observations effectuées et dans leurs discours nous a finalement permis d’énoncer des hypothèses interprétatives concernant le sens donné à la réalité vécue par ces derniers en effectuant continuellement des va-et-vient entre théorie et terrain.

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