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1. Construction de l’objet de recherche

1.3.2. Les rapports des familles à l’école

De leur côté, les parents ont également des attentes et des représentations de la collaboration qui leur sont propres et qui se traduisent par des rapports différents avec l’école. Dans une deuxième enquête réalisée à nouveau dans le contexte scolaire genevois, mais cette fois-ci auprès de parents d’élèves, Montandon (1991) a réalisé un modèle comprenant quatre styles de rapport des parents avec l’école en croisant le rôle large ou étroit qu’ils lui attribuent et leur implication forte ou faible dans la vie scolaire de leur enfant.

Le premier style de rapport présenté correspond à la collaboration. Les parents attribuent dès lors un large rôle à l’école et s’impliquent dans la vie scolaire de leur enfant. Ils sont d’avis que l’école a non seulement la tâche d’instruire les enfants, mais également de les éduquer. La contribution représente le deuxième style de rapport à l’école de certains parents. Il s’agit de parents qui estiment que l’école possède un rôle étroit, spécifique et qui sont prêts à participer

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dans ce cadre bien défini. Le troisième style de rapport correspond quant à lui à la délégation.

Les parents qui y sont représentés attribuent à l’école un rôle large et ne souhaitent pas s’y engager ; ils adoptent une attitude de repli. Finalement, le mandat représente le quatrième style de rapport à l’école des familles. Il s’agit de parents qui estiment que l’école a un rôle étroit, bien qu’ils ne s’y engagent pas.

Comme déclaré précédemment, les parents ont des attentes et des représentations de la collaboration qui peuvent être très diverses. Selon Montandon (1994a), ces différences sont liées aux caractéristiques individuelles et socioculturelles des familles. De ce fait, les représentations que les familles ont du rôle de l’école et de la division des tâches varient en fonction de leur appartenance sociale, ainsi que leur participation et leur implication dans l’école. Les familles de milieux favorisés considèrent plus souvent que la majeure partie de l’éducation des enfants se fait dans le milieu familial, alors que les familles de milieux défavorisés ont plus tendance à laisser une certaine partie de l’éducation de leur enfant à l’école. De plus, cette étude relève que les familles issues de quartiers favorisés et donc aux ressources culturelles plus élevées s’investissent plus dans les activités scolaires que les familles de milieux populaires. Ces différences de représentations et de participation amènent donc les parents à adopter des attitudes différentes lorsqu’ils sont en relation avec l’école :

« le style délégation est plus fort dans les familles d’ouvriers que dans les familles de cadres ; inversement, le style contribution est plus fréquent parmi ces derniers » (Montandon, 1994a, p.161). Il apparaît donc que, tout comme cela est également le cas du côté des enseignants, les parents ne soient pas unanimes quant à l’articulation des missions éducatives de la famille et de l’école. Cela démontre alors l’importance de tenir compte de la diversité culturelle des parents présente au sein de l’école actuellement afin d’identifier les raisons qui pourraient expliquer un certain décalage des attentes entre les enseignants et les familles.

Cependant, Favre et al. (2004) ont réalisé une enquête uniquement centrée sur les familles de milieu populaire à Genève et ont démontré qu’à l’intérieur de cette même classe sociale, ces familles développent elles aussi différents types de rapports à l’école en fonction de leurs propres ressources et de leurs expériences personnelles. Il serait dès lors faux de considérer que toutes les familles issues de milieu populaire se situent dans un rapport de délégation envers l’école. La typologie des rapports réalisée par ces auteurs comprend deux dimensions : la nature plus ou moins positive de l’image de l’école que les parents ont, c’est-à-dire leurs représentations de cette dernière et leur degré d’implication ou de retrait de la vie scolaire de leur enfant.

Le premier type de rapport est le « partenariat » et se caractérise par un rapport actif des familles à l’école. Elles assistent de manière générale aux réunions et rencontrent régulièrement les enseignants afin de s’assurer que leur enfant aille bien à l’école, de leur demander des conseils ou de leur faire part de leurs éventuelles préoccupations. Elles s’impliquent dès lors dans le suivi scolaire de leur enfant et l’encouragent dans ses apprentissages. Cependant, plus la scolarité avance, plus ces parents risquent d’être démunis en raison de la complexification des apprentissages et de l’organisation scolaire.

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La « délégation » constitue le deuxième type de rapport et concerne les parents qui comptent entièrement et exclusivement sur l’école et les enseignants pour assurer les apprentissages de leur enfant, sa motivation et donc garantir sa réussite scolaire. Ils ont pour la plupart une vision très positive de l’école par rapport à celle qu’ils ont connue et estiment qu’ils n’ont pas à intervenir puisque l’institution possède déjà tous les moyens nécessaires pour que leur enfant réussisse. En outre, ces familles ne parlent pas toutes le français et ne peuvent donc pas forcément l’aider dans son travail scolaire, tout comme il leur est difficile de comprendre ce qu’il se passe lors des réunions par exemple. Cela explique pourquoi ils n’y participent plus.

Les parents « délégateurs » ont également « […] conservé l’idée que les enseignants préfèrent qu’ils ne se mêlent pas des choses scolaires, contrairement aux parents de milieux plus aisés qui revendiquent de plus en plus de droit de regard sur l’école » (Favre et al., 2004, p.6).

Certaines de ces familles sacralisent donc l’école et y placent tous leurs espoirs de réussite et d’ascension sociale de leur enfant. Elles se disent également surprises lorsque l’école leur demande une plus grande implication.

Le troisième style de rapport correspond à la « résignation » et s’applique aux parents qui ont eux-mêmes rencontré des difficultés ou un échec scolaire. Face à cela, ils ne peuvent que constater que la même situation se reproduit pour leur enfant. Ils sont dès lors découragés et se sentent incapables de l’aider, car comme pour eux, l’école est trop difficile et il est impossible pour leur enfant de s’en sortir. Cette attitude parentale représente une certaine fatalité transgénérationnelle qui démontre que l’école n’est pas faite pour des gens comme eux et que l’échec scolaire est donc la seule issue possible. C’est pourquoi ils ne cherchent pas à s’impliquer dans la vie scolaire, ni dans les relations avec les enseignants. Leur fort sentiment d’incompétence et leur impression que leurs efforts ne serviront de toute façon à rien poussent ces parents à se résigner et à se désengager totalement de la scolarité de leur enfant.

Finalement, certains parents se situent dans un type de rapport nommé « ambivalence » avec l’école, qui se définit par une attitude contradictoire de leur part. En effet, ils pensent d’une part que l’école est importante, ce qui les pousse à s’impliquer dans la vie scolaire de leur enfant, mais d’autre part, ils critiquent l’école sur plusieurs points (trop grande sollicitation des parents, enseignant laxiste ou injuste, méthodes d’enseignement inadaptés, etc.). Cette attitude place alors l’enfant dans une certaine contradiction, puisque l’école est à la fois importante et mauvaise.

Au travers de ces deux typologies des rapports que les familles entretiennent avec l’école, nous remarquons que leurs attentes et leurs représentations dans et de la collaboration sont diverses et qu’elles sont également liées à leurs caractéristiques et à leurs appartenances sociales. Les enseignants et les parents d’élèves se retrouvent dès lors face à une pluralité des logiques d’action, ce qui peut rendre difficile l’établissement d’un réel partenariat. Cependant, bien que les études présentées ci-dessus nous permettent d’avoir un aperçu des différents rapports entretenus entre les familles et l’école, elles ne nous offrent pas la possibilité de mieux comprendre quels sont les dilemmes et les tensions auxquels les acteurs font face dans leurs pratiques. En effet, l’approche typologique produit des points de vue des enseignants et

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des parents réifiés et déconnectés des enjeux ordinaires, lesquels sont pluriels, réversibles et ambivalents. De plus, ces études sont construites à partir de méthodologies quantitatives (questionnaires fermés, statistiques) qui, au final, rendent peu compte de la complexité du point de vue des acteurs – elles apparaissent produire une connaissance « externe » et

« surplombante » par rapport au discours des acteurs.

Dans cette recherche, nous souhaitons justement mieux comprendre quels sont les dilemmes, les ambivalences et les malentendus qui peuvent s’immiscer dans les relations familles-école.

Nous partons alors du principe que les enseignants et les parents ne se situent pas uniquement dans un type de rapport de manière « figée ». Au contraire, ils agissent en fonction des situations dans lesquelles ils se situent, de leur interprétation de ces dernières et du sens qu’ils leur donnent. De plus, ils mettent en œuvre des stratégies et des logiques d’action selon les ressources dont ils disposent, ce qui crée une pluralité des pratiques enseignantes et parentales. C’est pourquoi, afin de pouvoir identifier ces attitudes et ces comportements pluriels, il nous faut aller sur le terrain observer des situations réelles qui nous permettent de mieux nous rendre compte de la négociation du sens (Strauss, 1978/1992) qui se joue dans les interactions de face à face entre les parents et les enseignants, des pratiques plurielles des acteurs et des ambivalences dans lesquelles ils sont prises. De ce fait, nous nous situons dans une perspective interactionniste qui a pour avantage principal de mieux comprendre ce qu’il se passe dans la situation, dans l’interaction et le sens que les acteurs lui attribuent en nous basant sur des comportements observables et des situations réelles. Pour ce mémoire, nous avons choisi d’observer les entretiens individuels parents-enseignants et de les compléter par la réalisation d’entretiens de recherche semi-directifs avec chacun des acteurs, afin de pouvoir mieux comprendre le sens qu’ils attribuent à la situation vécue.

1.4. Une perspective interactionniste sur les relations enseignants-parents :

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