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Paragraphe 1/ L'exclusion progressive du droit de rétention

B- Une exclusion consacrée par la jurisprudence

187. L'exclusion du droit de rétention du domaine de la substitution de garantie a été

consacrée par la jurisprudence dans un arrêt de la Cour de cassation rendu le 4 juillet 2000257. La Haute juridiction n’a fait que confirmer les motifs retenus par la cour d’appel de Toulouse à propos d’une affaire précédemment évoquée258 et ayant donné lieu à l’arrêt du 1er décembre 1997.

En l’espèce, des créanciers gagistes (un pool bancaire et le Crédit agricole) avaient saisi les tribunaux d’une action en contestation d'une substitution de sûreté ordonnée par le juge-commissaire, en application des dispositions de l'article 34 in fine de la loi du 25 janvier 1985. La cour d'appel fit droit à leur demande.

Dans les motifs de sa décision, la cour d’appel estima que « le créancier gagiste, du fait de la

possession, que celle-ci soit directe ou exercée par l’intermédiaire d’un tiers pour son compte, bénéficie d’un droit de rétention sur le bien, objet du gage. Ainsi, la loi du 25 janvier 1985 accorde au créancier gagiste une supériorité sur tous les autres créanciers puisqu’elle lui permet d'une part, d'avoir vocation à un règlement prioritaire pendant la période d'observation (article 33,

vol. 33, n° 472 ; B. SOINNE, Traité des procédures collectives, op. cit., n°1324; P.-M. LE CORRE, « Retenir et substituer ne vaut (la substitution de garantie de l'article 34, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985) », art. préc., p. 1246 ; C. POURQUIER, « Faculté de rétention et procédures collectives », art. préc., p. 936 ; A. LIÉNHARD « Le créancier rétenteur ne peut se voir imposer une substitution judiciaire de garantie », D. 2000, p. 361; S. PIÉDELIÈVRE, « Domaine et efficacité du droit de rétention en cas de procédure collective », D. 2001, p. 465; H. NARAYAN-FOURMET, « Le droit de rétention dans le gage: l'arme absolu du créancier », LPA, 8 juin 2001, n° 114, p. 20. 256

P.-M. LE CORRE, Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, op. cit., n° 484.12 257

Cass. com., 4 juillet 2000, n° 98-11.803, Bull.civ. IV, n°136; D. 2000, AJ, p. 361, obs. A. LIÉNHARD ; D. 2001, p.465, note S. PIÉDELIÈVRE; LPA, 8 juin 2001, n° 114, p. 20, note H. NARAYAN- FOURMET; RTD com. 2000, p. 1009, note A. MARTIN-SERF ; JCP G, 2001, I, 298, n° 13, obs. M. CABRILLAC.

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85 alinéa 3) et d'autre part, d'obtenir, du liquidateur, un règlement spontané (article 159, alinéa 1er.) ou encore une attribution judiciaire du bien gagé (article 159, alinéa 3) ». Ensuite, elle considéra

que « le droit du créancier gagiste à ne délivrer la chose que contre paiement, consacré par

l'article 33, alinéa 3 de la loi susvisée, ne peut être compris comme trouvant sa limite dans le pouvoir du juge-commissaire d'imposer une substitution de gage. En effet, raisonner ainsi reviendrait à enlever toute portée à l'article 33, alinéa 3 et à considérer que les dispositions des articles 33 et 34 sont simplement alternatives alors pourtant que le législateur ayant pris le soin de prévoir des dispositions distinctes, et surtout d'utiliser une sémantique différente puisque l'article 33 vise expressément le gage et la chose légitimement retenue, tandis qu'il mentionne dans l'article 34 le bien grevé d'un privilège spécial, d'un nantissement ou d'une hypothèque ». Ainsi, la cour

d’appel conclut à la recevabilité et au bien fondé l’appel des créanciers gagistes. Elle avait donc débouté le débiteur et l’administrateur de leur demande de substitution de gage. Par cette décision, les juges toulousains avaient écarté la possibilité d’une substitution de garantie en présence d’un droit de rétention.

188. Faisant grief aux juges d’appel d’avoir statué ainsi, la société Majeste, la débitrice, dont

la situation est passée du redressement à la liquidation judiciaire, a, par l’intermédiaire du liquidateur, formé un pourvoi en cassation contre leur décision.

Devant la Cour de cassation, le liquidateur judiciaire a mis en exergue l'esprit de la loi du 25 janvier 1985 dont la finalité première était d'assurer le redressement de l'entreprise. À cet égard, il arguait que si l'article 33 de ladite loi interdisait de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, les dispositions de son troisième alinéa permettaient le retrait du bien gagé contre paiement du créancier, non pas pour extraire le bien gagé du patrimoine du débiteur pour la satisfaction d'un créancier qui serait supérieur aux autres, mais pour remettre le bien gagé au débiteur, afin de lui permettre de poursuivre l'activité de l'entreprise.

Le liquidateur judiciaire poursuivait en soutenant que c'est dans le même but que l'article 34 permet de proposer aux créanciers la substitution aux garanties qu'ils détiennent de garanties équivalentes. Selon lui, les dispositions des articles 33 et 34 n'ont pas pour finalité de protéger les créanciers gagistes, mais elles permettent au débiteur de poursuivre l’activité de l’entreprise. Ainsi, l'article 33, alinéa 3, ne saurait exclure l'application de l'article 34, alinéa 2. Il affirmait alors que la cour d'appel, en rejetant la demande en substitution, a méconnu la finalité de la loi du 25 janvier 1985 et violé, par fausse interprétation, ses articles 33 et 34.

De cette argumentation, il ressort que le liquidateur judiciaire défend l'idée d'un domaine partagé entre les articles 33 et 34. Ainsi, il serait possible pour les organes de la procédure d'appliquer l'un ou l'autre des textes au créancier rétenteur ; la finalité recherchée étant d'assurer la continuité de l'entreprise et non la supériorité de ce dernier sur les autres créanciers du débiteur.

86 189. Bien qu’attrayant, le pourvoi fut rejeté. La Cour de cassation avait plutôt décidé que « le droit de rétention issu du gage avec dépossession qu'un créancier a régulièrement acquis, confère à son titulaire le droit de refuser la restitution de la chose légitimement retenue jusqu'au complet paiement de sa créance, alors même que le contrat de gage prévoit une faculté de substitution avec l'accord du créancier. Justifie alors sa solution, la Cour d'appel qui retient que le droit de rétention ne peut être limité par le pouvoir conféré au juge-commissaire par l'article 34, alinéa 2 de la loi du 25 janvier 1985, d'imposer au rétenteur une substitution de garantie »259. Cet arrêt de principe consacre clairement l'exclusion du droit de rétention du domaine de la substitution de garantie. Désormais, la règle est nettement posée. Les organes de la procédure collective ne peuvent arguer des dispositions de l'article 34 pour réclamer au juge-commissaire qu'il prononce une substitution de garantie au détriment du créancier rétenteur. En écartant la substitution de garantie en présence d’un droit de rétention, la Haute juridiction n'interdit pas au représentant du débiteur de récupérer le bien retenu s’il se révèle utile à la poursuite de l’activité. Seulement, elle l'oblige à payer préalablement le rétenteur s'il veut récupérer le bien.

190. La doctrine260 a tenté de rechercher des justifications à la solution de la haute Cour. Qu’est-ce qui permet de justifier l’inapplication de l’article 34, alinéa 2, en présence d’un droit de rétention ?

A d’abord été avancée l’explication la plus simple permettant de considérer que la Cour de cassation a fait application d’une solution qu’elle avait elle-même rendu quelques années auparavant, à savoir que le droit de rétention n’est pas une sûreté261. Cet argument ne peut être retenu car s’il est vrai que le droit de rétention n’est pas une sûreté, il est tout aussi vrai que l’article 34, alinéa 2, vise la substitution de garanties et non celles de sûretés. Mais si le droit de rétention n’est pas une sûreté, sa nature de garantie ne peut être contestée. La nature juridique du droit de rétention ne fournit donc pas d’explication à la décision de la Haute juridiction.

Un auteur262 a considéré que la décision de la Cour de cassation se justifie au regard des arguments fondés sur la lettre des textes et sur l’esprit de la loi du 25 janvier 1985. Quant au professeur PIÉDELIÈVRE263 qui a préféré cerner les raisons de la prééminence du droit de rétention en cas d’ouverture d’une procédure collective, il estime que « le rétenteur est en position de force tant qu’il ne demande pas le paiement de sa créance et qu’il reste dans une attitude passive et négative ».

259

Cass. com., 4 juillet 2000, n° 98-11.803, arrêt préc. 260

S. PIÉDELIÈVRE, « Domaine et efficacité du droit de rétention en cas de procédure collective », art. préc., pp. 467 et s ; H. NARAYAN-FOURMET, « Le droit de rétention dans le gage: l'arme absolu du créancier », art. préc., p. 27. 261

Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-11.915, Bull. civ. IV, n° 141 ; D. Aff. 1997, p. 763 ; JCP G, 1997, IV, 1464 ; RD

bancaire et de la bourse 1997, p. 173, obs. M. CABRILLAC ; RTD civ. 1997, p. 707, obs. P. CROCQ ; RTD com.

1998, p. 202, obs. A. MARTIN-SERF ; D. 1998, p. 102, obs. S. PIÉDELIÈVRE; JCP G, 1998, I, 103, n° 23, obs. Ph. DELEBECQUE.

262

H. NARAYAN-FOURMET, « Le droit de rétention dans le gage: l'arme absolu du créancier », art. préc., p. 27. 263

S. PIÉDELIÈVRE, « Domaine et efficacité du droit de rétention en cas de procédure collective », art. préc., pp. 467 et s.

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Aussi, il affirme que « le droit des procédures collectives empêche le jeu normal des sûretés réelles par voie d’action, mais qu’il ne l’interdit pas par voie d’exception ».

Dans tous les cas, la Cour de cassation a le mérite d'avoir clairement affirmé l'exclusion du droit de rétention du domaine de la substitution de garantie. Mais pour donner une portée générale à la solution jurisprudentielle, il y a lieu de l’élargir. Cet élargissement se fait à deux niveaux.

190. D'abord, concernant la phase de la procédure collective, même si dans les faits de l'arrêt

analysé, il était question de faire application de la substitution de la garantie en période d'observation, il est admis que l'exclusion décidée par la Haute juridiction doit, par analogie, s'appliquer en cas de plan de continuation. En effet, l'article 78, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985 (article L. 626-22, alinéa 3), comme l'article 34, alinéa 2, (article L. 622-8, alinéa 2), envisage l’hypothèse d’une substitution de garantie pouvant être ordonnée cette fois par le tribunal et non par le juge-commissaire. Rien ne saurait donc justifier que le créancier rétenteur ne puisse échapper à la substitution de garantie lorsque celle-ci est décidée dans le cadre d'un plan de continuation. Un auteur264 avait à juste titre affirmé que « tant en période d'observation que lors du jugement d'arrêté du plan, il n'est pas possible à la juridiction d'imposer la restitution des biens légitimement retenus ou bénéficiant d'un gage avec dépossession réelle sans qu'il y ait un règlement de la somme due ou accord avec le créancier concerné ».

191. Ensuite, l'extension de la solution jurisprudentielle doit concerner le domaine

d'application. La Cour de cassation visait expressément « le droit de rétention issu d'un gage avec

dépossession ». Cette précision amène à s’interroger sur l’exclusion du droit de rétention sous

toutes ses formes. La question se pose de savoir si la solution jurisprudentielle devait s’appliquer au seul droit de rétention issu d’un gage avec dépossession ou si elle pouvait également s’appliquer aux autres formes du droit de rétention. Pour y répondre, il convient de faire une distinction entre le droit de rétention effectif ou réel et le droit de rétention fictif.

192. S’agissant du droit de rétention effectif (avec dépossession), la doctrine et la

jurisprudence 265 s'accordent sur son exclusion du domaine de la substitution de garantie. Sont exclus non seulement le droit de rétention autonome, mais aussi, comme en l'espèce, le droit de rétention attaché à une sûreté, sous réserve, dans ce dernier cas, de respecter le régime juridique de la sûreté. Ce qui justifie ici la mise à l'écart du droit de rétention, c'est la possession du bien, sa détention matérielle par le créancier lui-même ou par un tiers.

264

B. SOINNE, Traité des procédures collectives, op. cit., n° 841. 265

S. PIÉDELIÈVRE, note sous Cass. com., 4 juillet 2000, n° 98-11.803, Bull.civ. IV, n° 126 et Cass. com., 11 juillet 2000, n° 97-12.374, Bull. civ. IV, n° 142; « Domaine et efficacité du droit de rétention en cas de procédure collective », art. préc., p. 465; V. aussi; Cass. com., 8 juin 1999, n° 97-12.233 ; JCP G, 2000, I, 209, n° 18, obs. Ph. DELEBECQUE ; RTD com. 1999, p. 968, obs. A. MARTIN-SERF; RTD com. 2000, p. 167, obs. B. BOULOC ; adde, F. PÉROCHON, « Le droit de rétention, accessoire de la créance », in. Mél. M. CABRILLAC, Dalloz-Litec, 1999, p. 379 ; D. 2000, somm. p. 297, obs. B. MERCADAL.

88 193. En revanche, la doctrine a été divisée au sujet du droit de rétention fictif.

Certains266, en se fondant sur la lettre de l'article 33, alinéa 3, qui visait une « chose gagée » ou « légitimement retenue », avaient considéré qu’il n’était nullement question d'une rétention fictive. En conséquence, le créancier titulaire d'un droit de rétention fictif pouvait être soumis aux dispositions de l'article 34267. Ainsi, un auteur 268 affirma qu’il était possible de soutenir que l'article 33, alinéa 3, ne vise que le gage avec dépossession effective, le gage avec dépossession fictive étant exclu du champ d'application de l'article 33, alinéa 3. Le créancier titulaire d'un droit de rétention fictif ne pouvant se prévaloir du retrait contre paiement, il ne saurait échapper à la substitution de garantie. D'autres, au contraire, voient au-delà de l'argument textuel. Ils considèrent que la substitution de garantie ne peut s’appliquer en présence d’un droit de rétention effectif ou fictif269, dans la mesure où le caractère fictif du droit de rétention ne modifie pas les prérogatives conférées aux créanciers rétenteurs270. La seule faiblesse du droit de rétention fictif résulte du fait que dans le conflit qui oppose le créancier rétenteur effectif au créancier rétenteur fictif, c'est le premier qui l'emporte, puisque la réalité surpasse la fiction271. En dehors de ce conflit, le rétenteur fictif prime tous les autres créanciers. Dès lors, une différence de traitement entre le droit de rétention fictif et le droit de rétention effectif ne se justifie pas272.

Dans le même sens, un auteur273 considère que l'existence du droit de rétention fait échec à la possibilité d'une substitution de garantie, peu important qu'il s'agisse d'un droit de rétention réel ou d'un droit de rétention fictif.

Nous rejoignons la solution qui consiste à faire échec à la substitution de garantie même en présence d’un droit de rétention fictif, pour autant qu’il soit opposable. En effet, en tant qu’exception à la règle de la consignation du prix correspondant aux créances garanties, la substitution de garantie n’est possible qu’en cas de vente de biens grevés. Or, seul le paiement du créancier permet de faire obstacle à l’exercice du droit de rétention. Ainsi, quelle que soit la nature réelle ou fictive de la rétention, les biens retenus ne peuvent être vendus sans que le créancier ne soit préalablement désintéressé274.

194. Cependant, si sous l'empire des législations antérieures à 2008, l'exclusion du droit de

rétention fictif ne posait pas de difficultés majeures, sous réserve de l'argument textuel soutenu par

266

M. JEANTIN et P. LE CANNU, Instruments de paiement et de crédit. Entreprises en difficulté, (5e éd., Dalloz, n° 640; C. SAINT-ALARY HOUIN, Droit des entreprises en difficulté, 3e éd., Montchrestien, n°744. (Anciennes éditions) 267

B. SOINNE, Traité des procédures collectives, op. cit., ns° 1307 et 2464. 268

H. NARAYAN-FOURMET « Le droit de rétention dans le gage: l'arme absolu du créancier », art. préc., p. 27. 269

F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., n° 1027. 270

S. PIÉDELIÈVRE, « Domaine et efficacité du droit de rétention en cas de procédure collective », art. préc., p. 467. 271

S. ZÉPI, Le sort des créanciers titulaires de garanties réelles dans le droit des procédures collectives, op. cit., p. 519. 272

H. NARAYAN-FOURMET « Le droit de rétention dans le gage: l'arme absolu du créancier », art. préc., p. 28. 273

P.-M. LE CORRE, « Retenir et substituer ne vaut (la substitution de garantie de l'article 34, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985) », art. préc., p. 1249.

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quelques-uns, aujourd’hui, au-delà des querelles doctrinales, cette question est désormais une source de confusion en raison des nouvelles législations.

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