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Paragraphe 1/ L'absence de réduction de l’assiette des sûretés réelles exclusives

140. N’entrant pas dans le domaine de la règle de l’affectation d’une quote-part, les sûretés

réelles exclusives échappent à toute possibilité de réduction de leur assiette à une simple quote-part. Cette solution est admise aussi bien en droit français (A) qu’en droit OHADA (B).

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A- La situation en droit français

141. Dans sa thèse, le Professeur MACORIG-VENIER198 avait démontré que l'institution d'une quote-part heurte le principe d'indivisibilité des sûretés réelles. L'indivisibilité signifie que le bien grevé est affecté dans son intégralité au paiement de la créance garantie, même si celle-ci est inférieure à la valeur totale du bien. En conséquence, l'exercice du droit de préférence se fait sur l'intégralité du prix de vente. Or, la fixation de la quote-part amène les créanciers à exercer leur droit de préférence, non plus sur la totalité de la valeur du bien affecté en garantie, mais sur une simple quote-part du prix, c'est-à-dire sur une partie du prix du bien lui-même lorsqu'il est vendu seul ou de l'ensemble cédé dans les autres cas. De cette manière, l'affectation d'une quote-part du prix de cession porte atteinte à l'indivisibilité de la sûreté, puisque seule une partie de la valeur du bien grevé répond de la dette garantie. Par conséquent, l'affectation d'une quote-part entraîne la réduction de l'assiette des sûretés réelles199.

142. À ce raisonnement, on pourrait opposer l'idée selon laquelle tout dépend du prix global

de cession. Si le prix de cession est faible, il est certain que les quotes-parts affectées aux créanciers seraient tout aussi réduites, voire insignifiantes200. En revanche, si le prix de cession est suffisamment élevé201, les quotes-parts ne seraient pas réduites. Elles pourraient alors correspondre à la valeur même du bien cédé. Ainsi, l'assiette des sûretés réelles ne serait pas réduite par le biais de l'affectation d'une quote-part du prix de cession. Ce n'est donc pas l'institution de la quote-part qui pose véritablement problème, mais la détermination du prix de cession, d'une part, et la ventilation de ce prix, d'autre part.

143. S'agissant de la détermination du prix de cession, même si les dispositions de l'article

L. 642-12, alinéa 1er, ne le précisent pas, on comprend que l'affectation d'une quote-part à chacun des biens grevés fait suite à la détermination du prix de cession. La fixation d'un prix global de la cession doit précéder l'affectation d'une quote-part de ce prix à chacun des biens grevés compris dans la cession. Si le tribunal ne fixe pas directement le prix de cession, il lui revient d'apprécier souverainement les offres de cession qui lui sont proposées. Il devra alors choisir l'offre qui lui paraît la plus sérieuse, par exemple, opter pour l'offre qui réunit des propositions intéressantes, non seulement en ce qui concerne le paiement des créanciers202, mais aussi pour ce qui est du nombre des emplois à sauver. Une fois que le prix de cession est fixé, le tribunal procède à sa ventilation si la cession comprend des biens grevés de sûretés réelles préférentielles.

198

F. MACORIG-VENIER, Les sûretés sans dépossession dans le redressement et la liquidation judiciaire des

entreprises, op. cit., pp. 167 à 169. 199

Dans le même sens, P.-M. LE CORRE, « Le créancier titulaire d'une sûreté spéciale victime de l'absence d'affectation d'une quote-part du prix de cession », art. préc., pp. 32-33.

200

F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., n° 1286. 201

Même si cette hypothèse risque d’être rare en pratique. 202

66 144. Avant la réforme du 12 mars 2014, le risque provenait de l'arbitraire dont le tribunal

pouvait faire preuve, étant donné que la loi ne prévoyait aucun critère pour la ventilation du prix de cession. La détermination de la quote-part était laissée à l'appréciation souveraine des juges qui agissaient alors au cas par cas, en fonction des éléments en cause.

L'absence de critères légaux pour la ventilation du prix de cession exposait également les créanciers à la spoliation de leurs droits, étant donné que le prix de cession était généralement inférieur à la valeur vénale des actifs cédés203. Cette infériorité pouvait déteindre sur la quote-part affectée aux créanciers. Ainsi, la quote-part affectée aux créanciers était souvent réduite et même dérisoire204. À partir de ce moment, se posait alors la question des voies de recours ouvertes au créancier lésé dans ses droits.

145. Selon les dispositions de l'article L. 661-6, III à V du Code de commerce, les créanciers

ne peuvent former appel contre les jugements arrêtant ou modifiant un plan de cession. Il en est de même pour le jugement statuant sur la résolution du plan de cession. Aussi, dans un arrêt du 3 mars 1992205, la Cour de cassation avait affirmé qu'un créancier ne peut interjeter appel d'un jugement statuant en matière de plan de cession de l'entreprise. Cette décision a ensuite été réaffirmée dans un arrêt du 15 décembre 2009206. La haute Cour rappela que l'appel-nullité ne peut être formé que par une partie au procès. Or, le créancier qui prétend à une quote-part du prix de cession, n'est pas une partie au jugement arrêtant le plan de cession. En conséquence, il ne peut former appel.

Compte tenu de cette situation, il fallait déterminer le moyen dont dispose le créancier lésé pour se faire entendre.

146. La doctrine207 considère que la voie de recours ouverte au créancier pour contester les décisions relatives à l'affectation de la quote-part du prix de cession est la tierce-opposition nullité. Elle doit être formée dans un délai de dix jours à compter de l'avis d'insertion au BODDAC du jugement arrêtant le plan de cession.

Cependant, l'ordonnance du 12 mars 2014 réformant le droit des entreprises en difficulté a procédé à une modification de l'article L. 642-12, alinéa 1er. Le texte précise que la quote-part du prix de cession affectée à chacun des biens cédés pour la répartition du prix et l'exercice du droit de

203

C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Rapport de synthèse », LPA, 20 septembre 2000, n° 188, pp. 40 et s., sp. p. 42. 204

F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, 9e éd., L.G.D.J, Lextenso éditions, 2012, n° 1208; Pour l'auteur, « il en résulte dans les faits le quasi-anéantissement de ces sûretés, réduites à l'exercice d'un médiocre droit de préférence sur une quote-part plus ou moins arbitraire d'un prix de cession souvent très faible ».

205

Cass. com., 3 mars 1992, n° 89-15. 336, Bull. civ. IV, n° 100 ; RJDA, juin 1992, p. 510, n° 642; Rev. Proc. Coll., 1992, p. 412, obs. B. SOINNE ; Rev. Proc. Coll., 1993, p. 522, obs. B. SOINNE.

206

Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-21. 553, Bull. civ. IV, n° 167; D. 2010, AJ. p. 11, note A. LIÉNHARD ; D. 2010, pan. comm. p. 1827, note P.-M. LE CORRE ; Rev. Proc. Coll. 2010/2, p. 58, note F. PÉROCHON.

207

P.-M. LE CORRE, Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, op.cit, n° 582.34; F. PÉROCHON,

Entreprises en difficulté, op. cit., n° 1286, infra 519. Ces auteurs considèrent que la tierce-opposition réformation étant,

conformément aux dispositions de l'article L. 661-7 du Code de commerce, fermée au créancier, la seule issue qui lui reste est la tierce-opposition nullité, notamment en cas d’excès de pouvoir. C'est également la tierce-opposition nullité que le créancier pourrait former si le tribunal oublie de lui affecter une quote-part du prix de cession pour l'exercice de son droit de préférence.

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préférence, correspond au rapport entre la valeur de ce bien et la valeur totale des actifs. Elle est déterminée au vu de l'inventaire et de la prisée des actifs.

Cette modification pourrait bien mettre fin à la spoliation des créanciers ou, du moins, à l'arbitraire du tribunal. En effet, la ventilation du prix de cession n'est plus laissée à l'appréciation souveraine des juges. Il existe désormais des critères pour la détermination de la quote-part. Le tribunal devra fixer les fractions du prix de cession en tenant compte des valeurs respectives des biens grevés de sûretés208. La situation des créanciers visés par l'article L. 642-12, alinéa 1er, pourrait donc s'améliorer puisque la ventilation du prix de cession est désormais encadrée.

Le Professeur LE CORRE209 considère que cette modification pourrait également avoir des conséquences sur la recevabilité des voies de recours. Selon lui, puisqu'il existe des critères pour la ventilation du prix de cession, la fixation des quotes-parts arbitraires totalement déconnectées des exigences légales devrait ouvrir au créancier le recours nullité pour excès de pouvoir.

147. Quoi qu'il en soit, la modification opérée par l'ordonnance du 12 mars 2014 n'a aucune

incidence sur l’assiette des sûretés réelles exclusives. N'étant pas visées par la règle de l'affectation d'une quote-part du prix de cession, elles échappent aux conséquences engendrées par sa mise en œuvre. Ainsi, l'absence d'affectation d'une quote-part permet aux sûretés réelles exclusives d’être à l’abri de toute réduction de leur assiette. Les créanciers vont pouvoir continuer d'exercer leurs droits sur l'intégralité du bien affecté en garantie, et non sur une simple quote-part du prix de cession affecté à ce bien. L’exclusivité assure ainsi l’intangibilité de l’assiette des sûretés, celle-ci ne pouvant être réduite à une quote-part bien souvent inférieure à la valeur du bien grevé. Ainsi en présence des sûretés réelles exclusives, le principe de l'indivisibilité des sûretés est strictement respecté.

En définitive, l'exclusion des sûretés réelles exclusives du domaine de la règle de l'affectation d'une quote-part assure leur protection contre toute réduction éventuelle de l’étendue de leur assiette. Cette solution admise en droit français est-elle applicable en droit OHADA ?

B- La situation en droit OHADA

148. Conformément aux dispositions de l'article 162, alinéa 1er, de l'AUPC, « Le juge

commissaire ordonne la cession en affectant une quote-part du prix de cession à chacun des biens cédés ». Cet article suppose que le prix de cession a déjà été fixé avant que le juge-commissaire ne

procède à sa ventilation. Il ne pourrait en être autrement puisque pour ordonner la cession, encore faudrait-il qu'une offre ait été acceptée. Or, une offre ne peut être acceptée si le prix de cession n’est

208

P.-M. LE CORRE, Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, op.cit, n° 582.33; « Lecteurs choyés de la Gazette... », Gaz. Pal., 08 avril 2014, n° 98, p.5; F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., ns° 1280 et 1286.

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pas au préalable fixé. Ainsi, comme en droit français, la mise en œuvre du mécanisme d'affectation d'une quote-part suppose la détermination du prix de cession, et cela, préalablement à sa ventilation.

149. À l'image de la législation française antérieure à l'ordonnance de mars 2014, le

législateur communautaire africain n'a pas prévu de critères pour la détermination de la quote-part du prix de cession. Dans ce cas, les mêmes difficultés, et notamment celles liées à la spoliation des créanciers et l’exercice des voies de recours qui leur sont ouvertes, sont susceptibles de se poser. En effet, le prix de cession étant généralement un prix global, il est possible que la quote-part affectée aux créanciers soit inférieure à la valeur du bien, d'autant plus que le législateur OHADA n'a pas, comme pour la cession intervenant dans le cadre d'un concordat de redressement, soumis l'homologation de la cession globale à la condition du total désintéressement des créanciers munis sûretés réelles sur les actifs cédés. Les créanciers seront, pour cette raison, limités à exercer leur droit de préférence sur une simple quote-part du prix de cession et non plus sur l'intégralité de la valeur du bien donné en garantie210.

En tout état de cause, si le prix de cession globale est faible, il peut en résulter une réduction de l’assiette des sûretés grevant les biens cédés. Ne pouvant contrôler le montant de la quote-part qui leur sera affectée, les créanciers sont exposés au risque de spoliation dans la mesure où c'est cette quote-part qui va déterminer l'étendue de leurs droits. L'absence de solutions africaines nous amène à considérer que les solutions avancées en droit français devraient pouvoir s'appliquer en droit OHADA. Ainsi, s'agissant des voies de recours, seule la tierce-opposition nullité serait ouverte aux créanciers pour contester toute décision relative à l'affectation d'une quote-part du prix de cession.

150. Les sûretés réelles exclusives n'étant pas visées par l'affectation d'une quote-part du prix

de cession, comme en droit français, elles sont à l’abri de toute réduction de leur assiette à une simple quote-part du prix de cession.

En somme, les législations française et africaine, en écartant les sûretés réelles exclusives du domaine de la règle de l'affectation d'une quote-part, garantissent, dans l’hypothèse d’un plan de cession, leur protection par la préservation de l’étendue de leur assiette. En effet, ces sûretés ne courent pas le risque d’une réduction de leur assiette pouvant résulter de la mise en œuvre de la règle de l’affectation d’une quote-part du prix de cession.

151. Par ailleurs, compte tenu de la nature des droits que les sûretés réelles exclusives

confèrent à leurs bénéficiaires, les biens grevés ne peuvent, par principe, faire l'objet d'une cession. Cependant, pour favoriser la poursuite de l’activité, il peut arriver que les biens fassent l’objet d’une cession. Dans ce cas, les créanciers munis de sûretés réelles exclusives vont pouvoir bénéficier d'un régime dérogatoire favorable.

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Paragraphe 2/ Le traitement de faveur des créanciers munis de

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