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La protection du droit de rétention effectif en droit OHADA

Paragraphe 1/ La protection efficace du droit de rétention effectif dans les deux législations

B- La protection du droit de rétention effectif en droit OHADA

254. D’après les dispositions des articles 9 et 75 de l'AUPC, sont visées par la suspension et

l'interdiction des poursuites individuelles, les demandes tendant à obtenir le paiement des créances antérieures, les procédures d'exécution, les mesures conservatoires et les procédures de distribution n’ayant pas produit d’effet à la date de la décision d’ouverture.

Cependant, s’agissant des créanciers concernés, l’article 75 de l’AUPC adopte une formule large qui vise de manière générale tous les créanciers composant la masse. À l’inverse, l’article 9 procède à une énumération des créances visées. Il en résulte que dans le règlement préventif, la règle s’applique à toutes les créances chirographaires et à celles garanties par un privilège général, un privilège mobilier spécial, un gage, un nantissement ou une hypothèque, à l’exception des créances de salaires et d’aliments.

255. L’analyse de ces deux articles pourrait amener à penser que lorsqu’il fait partie de la

masse, le créancier rétenteur serait visé par l’interdiction législative dans les procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens. Par contre, il y échapperait dans le règlement préventif puisqu’il n’est pas expressément cité par l’article 9.

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CA Toulouse, 3 novembre 1999, Rev. Proc. Coll. 2001/4, p. 248, obs. F. MACORIG-VENIER. 323

Cette solution a été réaffirmée par la jurisprudence, v. Cass. com., 8 juillet 1997, n° 95-14.518, Bull. civ. IV, n° 221;

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Cette approche nous semble néanmoins discutable.

D’une part, il nous est difficile d’expliquer cette soudaine différence de traitement. En effet, les anciens articles 9 et 75 de l’AUPC324 s’appliquaient indifféremment à tous les créanciers : créanciers chirographaires et ceux munis de privilèges généraux ou de sûretés réelles spéciales tels qu’un privilège mobilier spécial, un gage, un nantissement ou une hypothèque, à l'exception des créanciers de salaires.

Ainsi, le créancier rétenteur n’était pas visé par l’arrêt des poursuites individuelles, peu important que le débiteur fasse l’objet d’un règlement préventif, d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation des biens. D’autre part, comme en droit français, le droit de rétention n’étant ni une voie d’exécution, ni une demande en paiement, le créancier rétenteur devrait échapper à l’arrêt des poursuites individuelles. Mais, la transposition de cette solution en droit OHADA nécessite tout de même quelques précisions.

256. Bien que la rédaction des articles 9 et 75 de l’AUPC ne soit pas identique (rédaction

issue de la réforme de septembre 2015), cette différence ne devrait en réalité avoir aucun impact sur le droit de rétention. En effet, compte tenu de sa nature325 mais aussi des prérogatives qu'il confère à son bénéficiaire, le droit de rétention devrait être protégé contre l’arrêt des poursuites individuelles. À l’instar du droit français, l’ouverture d’une procédure collective, quelle qu’elle soit, ne saurait empêcher l’exercice de ce droit. Le créancier qui se contente de retenir le bien devrait ainsi éviter l’interdiction législative et pourra même, dans certaines circonstances, obtenir satisfaction personnelle, nonobstant l’ouverture d’une procédure collective.

257. Toutefois, la confusion naît du fait que, comme l’avait à juste titre fait remarquer un

auteur326, avant la réforme – et la situation n’a pas beaucoup changé après la réforme – l'AUPC, dans son intégralité, ne fait aucune référence au droit de rétention. Aussi, peut-on se poser la question suivante : l'absence du droit de rétention dans l'AUPC doit-elle s'analyser comme une exclusion totale de ce droit face aux effets de la procédure collective ? Ou doit-on voir en cela les conséquences de son ancienne assimilation au gage ?

En se référant aux dispositions de l'ancien AUS (articles 40 à 43), l'absence du droit de rétention dans l'AUPC s'explique par son assimilation au gage dans sa phase de réalisation327.

Cependant, si le droit de rétention a pendant longtemps été assimilé au gage, tel n'est plus le cas depuis la réforme de l'AUS intervenue en décembre 2010. Celle-ci ayant considérablement revalorisé le droit de rétention qui s'entend désormais comme la seule faculté donnée à un créancier de retenir un bien de son débiteur jusqu'au complet paiement de ce qui lui est dû, sans aucun droit

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Avant la réforme de l’AUPC intervenue en septembre 2015. 325

Le droit de rétention n'est ni une demande en paiement, ni une voie d'exécution. 326

G. JIOGUE, « Le droit de rétention conventionnel, Étude de droit français et de droit OHADA », Revue de la

Recherche Juridique Droit Prospectif, 2007-4, n° 38, p. 1791. 327

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de préférence ni droit de suite ( article 67). Comme en droit français, les effets du droit de rétention ne sont plus alignés sur ceux du gage.

258. Ainsi, au regard de l’arrêt des poursuites individuelles, la protection ou non du droit de

rétention, va dépendre de l’assimilation ou non au gage. Il est donc permis de penser qu'à l'image du créancier gagiste, le créancier rétenteur était soumis à l'arrêt des poursuites individuelles avant la réforme de l'AUS. En conséquence le droit de rétention n’était pas véritablement protégé contre l’arrêt des poursuites individuelles (1). Le nouvel AUS ayant toutefois restauré la nature du droit de rétention, comme en droit français, il devrait désormais être protégé contre l’arrêt des poursuites individuelles (2). C’est pourquoi, nous analyserons le sort du droit de rétention face l'arrêt des poursuites individuelles avant et après la réforme de l'AUS.

1- La situation avant la réforme de 2010

259. Alors même que le droit de rétention s'entendait déjà comme la faculté reconnue à un

créancier de retenir légitimement un bien de son débiteur jusqu'au complet paiement de ce qui lui est dû (article 41 de l'ancien AUS), le législateur communautaire africain avait, en plus de cette prérogative traditionnelle, fait le choix de conférer un droit de préférence et de suite au créancier rétenteur. En effet, conformément aux dispositions de l’article 43 de l'ancien AUS, le créancier qui n'avait reçu ni paiement, ni sûreté, pouvait, après signification faite au débiteur et au propriétaire de la chose, exercer ses droits de suite et de préférence comme en matière de gage.

Le créancier rétenteur avait donc le choix entre adopter une position purement passive ou mettre en œuvre son droit d'agir. Il pouvait ainsi décider de se comporter comme un véritable rétenteur. Dans cette hypothèse, il devait se contenter de retenir le bien jusqu'à ce qu'il soit totalement désintéressé. En revanche, lorsqu'il estimait que cette attitude passive ne lui convenait pas, il pouvait mettre en avant ses prérogatives de créancier gagiste. Dans ce dernier cas, les effets du droit de rétention étaient alors calqués sur ceux du gage. Pour jouir de son droit de préférence, le rétenteur avait tout intérêt à demander la réalisation forcée du bien.

L'exercice de son droit de préférence était cependant subordonné à la réunion de quelques conditions. Le rétenteur ne devait avoir reçu aucun paiement, ni de sûreté réelle équivalente. Il devait, en outre, signifier son droit au débiteur et au propriétaire de la chose. Ainsi, comme le créancier gagiste, le rétenteur pouvait engager des mesures d'exécution forcée en vue de faire jouer son droit de préférence sur le prix de la réalisation.

260. En tout état de cause, la reconnaissance des droits de préférence et de suite au profit du

créancier rétenteur justifiait l'assimilation du droit de rétention au gage. Cette assimilation permettait de considérer que le créancier rétenteur devait subir les mêmes restrictions que celles imposées au créancier gagiste, notamment en cas d'ouverture d'une procédure collective. Aussi, en

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application des anciens articles 9 et 75 de l'AUPC, les créanciers antérieurs dont les créances étaient garanties par une sûreté réelle spéciale telle que le gage, étaient soumis à la règle de la suspension ou de l'interdiction des poursuites individuelles.

Cette règle traditionnelle du droit des entreprises en difficulté visait notamment à empêcher la mise en œuvre des mesures d'exécution forcée contre le débiteur. Or, le droit de préférence reconnu au rétenteur328 pouvait l'inciter à demander la réalisation forcée du bien, lorsqu'il ne voulait pas demeurer dans une attitude passive. Dans cette hypothèse, les effets du droit de rétention s'alignaient alors parfaitement sur ceux du gage. Il n'était donc pas équitable de soumettre le créancier gagiste à l'arrêt des poursuites individuelles, tout en épargnant le créancier rétenteur, alors même que les deux sûretés produisaient des effets identiques. En dépit du silence législatif, il était permis de penser que le rétenteur, comme le créancier gagiste, ne pouvait plus engager des mesures d'exécution forcée dès la décision d'ouverture.

La soumission du rétenteur à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles était donc envisageable aussi bien dans le règlement préventif que dans les procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens.

Ainsi, le législateur OHADA avait, sans le vouloir, en conférant un droit de préférence au créancier rétenteur, considérablement réduit les effets de sa sûreté. Du fait de l’interdiction législative, il ne pouvait donc plus solliciter la réalisation forcée du bien retenu dès l’ouverture d’une procédure collective.

261. Cependant, le créancier rétenteur ne perdait pas sa sûreté, à moins d'y renoncer

expressément329. Il conservait la détention matérielle du bien. Cette détention constituait véritablement la force du droit de rétention. Ainsi, pour garantir la protection du droit de rétention contre l’arrêt des poursuites individuelles, le créancier devait se contenter de retenir le bien. Il devait alors renoncer à ses prérogatives de créancier gagiste, et notamment à son droit d’agir et privilégier sa position de rétenteur. Par ailleurs, il a été soutenu que lorsque que la rétention s'exerçait sur des biens n'ayant aucune valeur monétaire tels que les documents, le créancier n'avait pas d'autre choix ; il devait se contenter de retenir le bien. Il fallait alors espérer que la rétention des documents soit suffisamment pénalisante pour contraindre le débiteur à payer le créancier330.

262. Toutefois, même lorsque le créancier se contentait de retenir le bien, la protection du

droit de rétention n’en était pas pour autant garantie. On pouvait craindre qu'il lui soit imposé une substitution de garantie en application de l’article 42 de l'ancien AUS. Le risque ici était que le rétenteur reçoive une garantie de remplacement moins avantageuse que son droit de rétention initial.

328

Art. 43 de l'ancien AUS. 329

Art. 121 de l'AUPC. 330

Z. ZERBO, « Le droit de rétention dans l'acte uniforme portant organisation des sûretés de l'OHADA : étude comparative », art. préc., n° 836, p. 129.

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En effet, il n'était pas aisé de trouver une garantie qui confère à la fois un droit de préférence, un droit de suite et un droit de retenir la chose331, à moins qu'il ne s'agisse du gage avec dépossession.

263. En définitive, l'assimilation du droit de rétention au gage aboutissait, en pratique, à une

profonde dénaturation de ce droit, entraînant ainsi des conséquences fâcheuses. Le droit de rétention ne pouvait donc efficacement être protégé contre l'arrêt des poursuites individuelles. L'AUS ayant été réformé, le droit de rétention a retrouvé son efficacité traditionnelle. Il est désormais possible de penser qu'à l’instar du droit français, la protection du droit de rétention est efficace en droit OHADA.

2- La situation depuis la réforme de 2010

264. L’article 67 du l’AUS a supprimé l'assimilation du droit de rétention au gage. Le

créancier rétenteur ne bénéficie plus des droits de préférence et de suite. En conséquence, la soumission du créancier rétenteur à l'arrêt des poursuites individuelles ne se justifie plus. La rétention du bien étant désormais la seule prérogative conférée au rétenteur, le droit de rétention est exclu du domaine de l’arrêt des poursuites individuelles. Comme en droit français, l’attitude passive du créancier assure alors la protection du droit de rétention.

265. Cependant, le législateur OHADA donne la possibilité au rétenteur de sortir de l’inertie,

lorsque le bien retenu est menacé de disparition. En effet, l’article 70, alinéa 2 de l’AUS, dispose que « Par dérogation à l’alinéa précédent, il peut faire procéder, sur autorisation de la juridiction

compétente, à la vente de ce bien si l’état ou la nature périssable de ce dernier le justifie ou si les frais occasionnés par sa garde sont hors de proportion avec sa valeur. Dans ce cas, le droit de rétention se reporte sur le prix de vente qui doit être consigné ». Bien que ce texte soit prévu en

droit commun des sûretés, rien ne s’oppose a priori à son application en cas d’ouverture d’une procédure collective. Ainsi, le créancier rétenteur pourrait, en sollicitant la vente du bien, exceptionnellement sortir de l’inertie sans pour autant perdre son droit de rétention.

266. En somme, si avant la réforme de l'AUS, il existait, entre le droit français et le droit

OHADA, des différences de traitement du droit de rétention au regard de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, cette situation a bien évolué depuis la réforme de l’AUS. Désormais, dans les deux législations, le droit de rétention effectif est efficacement protégé contre l’arrêt des poursuites individuelles.

Cependant, le législateur français conserve une longueur d'avance sur son homologue africain, étant donné qu’il existe en droit français, contrairement au droit OHADA, un droit de rétention fictif reconnu à tous les créanciers gagistes sans dépossession. Aussi, les développements suivants seront consacrés à cette spécificité française.

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Paragraphe 2/ La protection incertaine du droit de rétention fictif

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