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Paragraphe 2/ Le paiement du créancier rétenteur dans les procédures de liquidation des deux législations

B- Le paiement en nature du créancier rétenteur

452. Dans la procédure de liquidation, le créancier, à défaut du paiement en espèces, a la

possibilité d’obtenir un paiement en nature. Nous verrons d'abord la situation en droit français (1) avant de nous pencher sur le droit OHADA (2).

1- Le paiement en nature du créancier rétenteur en droit français

Le paiement en nature s’effectue au moyen d'une demande en attribution judiciaire dont il nous faut déterminer les bénéficiaires (a) ainsi que les modalités d’attribution (b).

a- Les bénéficiaires de l’attribution judiciaire

453. Il convient au préalable de noter que, contrairement au paiement en espèces qui se fait à

la demande du liquidateur ou de l'administrateur judiciaire lorsqu'il en a été désigné un, le paiement en nature s'effectue sur demande du créancier.

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En droit commun, le créancier gagiste impayé peut solliciter l’attribution judiciaire du bien gagé. Cette prérogative lui est offerte par l’article 2347 du Code civil qui précise que « Le créancier peut

aussi faire ordonner en justice que le bien lui demeurera en paiement ». Sauf exclusion expresse

par un texte spéciale, l’attribution judiciaire s’applique à toutes les sûretés classiques, y compris les hypothèques640 et le gage immobilier641.

En droit des procédures collectives, contrairement au pacte commissoire dont la mise en œuvre est impossible, l’attribution judiciaire du bien est ouverte au créancier mais uniquement dans la liquidation judiciaire. L'alinéa 2 de l'article L. 642-20-1 du Code de commerce précise que le créancier gagiste, même s'il n'est pas encore admis, peut demander au juge-commissaire, avant la réalisation, l'attribution judiciaire du bien.

454. Ce texte qui fait référence au seul créancier gagiste peut-il s'étendre au rétenteur

autonome ?

Un fort courant doctrinal avait lié l'attribution judiciaire au droit de rétention642. Pour les partisans de cette thèse, cette dation en paiement qui assure au créancier l'exclusivité du bien ne se justifie que par la mainmise effective de son bénéficiaire sur la chose. Aussi, la primauté du droit de rétention étant admise, l'attribution judiciaire constitue le prolongement naturel qui permet de sortir de la situation de blocage qu'il engendre.

Un autre courant de doctrine lie, en revanche, l'attribution judiciaire au gage et non au droit de rétention643. L'attribution n'est pas liée au droit de rétention puisqu'elle peut bénéficier aux créanciers non titulaires d'un droit de rétention. Les défenseurs de cette thèse soutiennent que ce n'est pas l'attribution judiciaire qui constitue le prolongement du droit de rétention, mais bien l'inverse étant donné que la rétention est une des techniques qui facilitent l'attribution.

Quant à la jurisprudence, elle s’est prononcée dans un arrêt du 5 avril 1994644. Dans cette décision, le pourvoi reprochait à la cour d'appel d'avoir subordonné la possibilité d'une attribution judiciaire à l'existence d'un droit de rétention. Ainsi, même pour la Cour de cassation, les créanciers rétenteurs non-gagistes ne peuvent solliciter l'attribution judiciaire du bien645.

Nous rejoignons cette dernière position qui consiste à lier l'attribution judiciaire au gage. En effet, si le législateur – qui jusque-là a toujours pris soin de mentionner le gage et la chose légitimement retenue – supprime cette dernière précision lorsqu'il est question de l'attribution judiciaire, on

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Sauf si l'immeuble constitue la résidence principale du débiteur (art. 2458 du Code civil) 641

Art. 2388, al. 2 du Code civil. 642

V. notes F. DERRIDA, diverses notes: D. 1979, p. 354; D. 1985, p. 36; D. 1990, p. 311; G. MARTY, P. RAYNAUD, Droit civil, Les sûretés, la publicité foncière, 2e édition, par Ph. JESTAZ, Sirey, 1987, n° 98.

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V. note. MESTRE, Rev. Proc. Coll. 1979, p. 298 ; CHARTIER, note JCP G, 1979, II, 19316 ; Gaz. Pal. 1985, p. 236.

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Cass. com., 5 avril 1994, n° 90-11.559, Bull. civ. IV, n° 146, p. 116. 645

Cass. com., 9 juin 1998, n° 96-12.719, Bull. civ. IV, n° 181; D. Aff. 1998, p. 1323, obs. A. LIÉNHARD ; JCP E, 1998, 618, n° 12, obs. M. CABRILLAC ; RTD com., 1999, p. 751, obs. A. MARTIN-SERF.

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pourrait voir dans cette suppression la manifestation d'une réelle volonté d'exclure les rétenteurs autonomes du bénéfice de l'attribution judiciaire. Nous sommes confortés dans cette analyse par le droit commun des sûretés qui reconnaît la possibilité de faire une demande en attribution à l'ensemble des créanciers titulaires d'une sûreté classique, même dépourvue d'un droit de rétention646. Il faudrait donc considérer que les créanciers rétenteurs non-titulaires d’un gage ne peuvent demander que le bien leur soit attribué en propriété.

La demande en attribution judiciaire est donc réservée aux seuls créanciers gagistes, rétenteurs ou non. Au demeurant, cette précision n'a plus lieu d'être depuis que la loi sur la modernisation de l'économie a conféré un droit de rétention à tous les créanciers gagistes sans dépossession. Désormais, tous les titulaires d'un gage avec ou sans dépossession bénéficient d'un droit de rétention au moins fictif647. L'attribution judiciaire est donc liée à la qualité de gagiste et non de rétenteur d'un créancier.

455. S'agissant des créanciers gagistes, un auteur considère que cette prérogative bénéficie à

tous les titulaires d'un gage quelconque de meubles corporels avec ou sans dépossession et au titulaire d'un gage immobilier648, puisque le texte ne distingue pas.

Les précisions sur les personnes habilitées à solliciter une attribution judiciaire étant apportées, analysons maintenant les modalités de cette attribution.

b- Les modalités de l'attribution judiciaire

456. La demande en attribution du bien doit être présentée par le créancier lui-même, avant la

réalisation du bien gagé. La jurisprudence précise que cette demande doit avoir lieu avant que l'ordonnance du juge-commissaire autorisant le liquidateur à vendre le bien soit passée en force de chose jugée649. Le créancier qui souhaite éviter la réalisation forcée du bien gagé peut en demander au juge-commissaire l'attribution en pleine propriété.

457. Le juge-commissaire doit en outre déterminer la valeur du bien. Pour ce faire, il serait

souhaitable de procéder à une expertise. Une fois que le jugement d'attribution judiciaire est rendu, trois possibilités peuvent se présenter.

D'abord, la valeur du bien est supérieure au montant de la créance. Le créancier doit alors restituer le surplus au liquidateur. Ensuite, la valeur du bien est inférieure au montant de la créance. Dans ce cas, le créancier devient chirographaire pour le reliquat. Il va ainsi concourir avec les autres créanciers au moment du paiement. Enfin, si la créance du gagiste est finalement rejetée en tout ou

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Cass. ass. plén., 26 octobre 1984, n° 83-10.055, Bull. Ass. plén. n° 6 ; D. 1985, p. 33, conclusion CABANNES, note F. DERRIDA. Dans cet arrêt la Cour cassait une décision des juges de fond ayant lié l'exercice de l'attribution au droit de rétention.

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On peut avoir des créanciers gagistes non rétenteurs, lorsque ceux-ci ont abandonné leur droit, par un dessaisissement volontaire par exemple.

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F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., n°1209. 649

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partie, celui-ci doit restituer le bien au liquidateur. Lorsque le bien a été vendu, c'est sa valeur qui est restituée, déduction faite du montant de l'admission de la créance.

458. En somme, le créancier qui obtient le bien en propriété suite à une attribution judiciaire

reçoit un paiement exclusif. Il échappe ainsi à la concurrence des autres créanciers, y compris à ceux qui l'auraient primé sur le prix tels que les supersprivilégiés. En effet, l'attribution judiciaire est « indépendante des règles concernant l'ordre dans lequel s'exercent sur le prix les divers privilèges

en cas de vente du bien nanti »650.

L'intérêt de l'attribution judiciaire réside en outre dans la libre disposition du bien. En effet, le créancier qui se voit attribuer la propriété du bien peut ensuite le vendre librement. Il peut donc éventuellement en tirer un meilleur parti que le liquidateur651. Par ailleurs, il a été jugé que l'attribution judiciaire du gage ne fait pas perdre au créancier son droit de rétention652, contrairement au cas d'une réalisation entreprise à l'initiative du créancier.

Nous venons de voir comment le rétenteur peut, en droit français, obtenir un paiement en nature. Mais qu'en est-il en droit OHADA ?

2- Le paiement en nature du créancier rétenteur en droit OHADA

459. L'attribution judiciaire du gage n'est pas réglementée dans l'AUPC. Cependant, elle est

prévue en droit commun des sûretés. L'alinéa 2 de l’article 104 de l’AUS précise que « Le créancier

peut aussi faire ordonner par la juridiction compétente que le bien gagé lui sera attribué en paiement jusqu'à due concurrence du solde de sa créance et d'après estimation suivant les cours et à dire d'expert ». A priori, rien ne semble s'opposer à l'application de ce texte au droit des

procédures collectives. Aussi, un auteur a estimé que les créanciers gagistes ou nantis ne retrouvent leur droit de poursuite individuelle que lorsque le syndic n'a pas, dans les trois mois qui suivent le jugement de liquidation des biens, retiré le gage ou le nantissement, ou entrepris de réaliser la sûreté. Ce n'est que dans cette hypothèse que le créancier rétenteur, gagiste ou nanti pourrait éventuellement profiter de l'inertie du syndic, en sollicitant soit la réalisation forcée du bien, soit l'attribution judiciaire à due concurrence653. Ainsi, le créancier qui sollicite l'attribution judiciaire du bien devrait s'adresser au tribunal compétent, en l’occurrence celui qui a ouvert la procédure collective.

460. Lorsque la juridiction autorise l'attribution judiciaire du bien et si la valeur dudit bien

excède le montant de sa créance, le créancier gagiste doit consigner une somme égale à la différence, s'il existe d'autres créanciers bénéficiant d'un gage sur le même bien ou, à défaut, verser

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Cass. com., 12 février 1979, n° 77-12.887, Bull. civ. IV, n° 58; D. 1979, p. 354, note F. DERRIDA ; Cass. com., 6 janvier 1998, n° 95-17.399, Bull. civ. IV, n° 9.

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F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., n° 1208. 652

Cass. com., 18 décembre 1990, n° 89-16.260, Bull. civ. IV, n° 329; RTD civ. 1991, p. 573, obs. M. BANDRAC. 653

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cette somme au constituant654. L'AUS ne précise pas ce qu'il y a lieu de faire si la valeur du bien est inférieure au montant de la créance. Nous pensons, comme en droit français, que le gagiste reste créancier du reliquat.

S’il est certain que l’alinéa 2 de l’article 104 de l’AUS s’applique au gagiste-rétenteur, rien ne permet, au contraire, de l’appliquer au rétenteur autonome, sauf si l’on fait une transposition de la solution admise par une partie de la doctrine française.

461. Quoi qu’il en soit, lorsque l’attribution judiciaire est possible, elle permettra au créancier

d'obtenir un paiement exclusif au détriment des autres créanciers, y compris ceux qui sont privilégiés. De cette manière, le créancier échappe à la loi du concours.

Mais, en réalité, le silence de l'article 149 de l'AUPC laisse place au doute. Il reste, en effet, difficile de définir, dans le cadre d’une procédure collective, les modalités d'une attribution judiciaire, notamment en ce qui concerne les bénéficiaires de la mesure et le moment de l’introduction de la demande. Là encore, le législateur OHADA a manqué, avec la réforme de l’AUPC, une belle opportunité d’apporter des solutions à ce propos.

462. En définitive, il convient de retenir qu'aussi bien en droit français qu'en droit OHADA,

le législateur a prévu la possibilité pour le créancier rétenteur d'être payé au cours de la procédure collective, nonobstant l’interdiction législative de payer les créances antérieures ou postérieures non-méritantes après le jugement d’ouverture. Les moyens d’obtenir le paiement diffèrent cependant selon que le sauvetage de l'entreprise soit encore possible ou non. Lorsque le sauvetage de l'entreprise est envisageable, le paiement des créanciers rétenteurs se fera exclusivement par la technique du retrait contre paiement. En revanche, dans la procédure de liquidation, le paiement se fera soit par la technique du retrait contre paiement, soit après la réalisation du bien ou encore son attribution judiciaire.

463. Il faut ici de remarquer que les récentes réformes intervenues en droit des procédures

collectives aussi bien en droit français qu’en droit OHADA, ont permis aux différents législateurs de réaffirmer le statut particulièrement enviable du créancier rétenteur.

En effet, avec l’ordonnance du 12 mars 2014, le législateur français a modifié le II de l’article L. 641-13 du Code de commerce. Le texte qui organise l’ordre de paiement des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel précise désormais que lorsqu’elles ne sont pas payées à l’échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances, sans préjudice des droits de rétention opposables à la procédure collective. Ce texte, qui vient réparer une maladresse législative, consacre la sortie du rétenteur gagiste ou non du classement des

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créanciers655. Le législateur comprend que l’existence d’un droit de rétention est incompatible avec tout concours. Ainsi, à condition que le droit de rétention soit opposable à la procédure collective, le créancier rétenteur a vocation à être payé en dehors de tout classement sur le prix de vente des biens gagés ou retenus.

Le droit OHADA n’est pas en reste. Avec la réforme de l’AUPC, le législateur communautaire africain, tenant compte de la réforme de l’AUS, consacre l’exclusion du droit de rétention, mais aussi des droits exclusifs, de tout classement. En effet, l’article 167 de l’AUPC précise que « Sans

préjudicie de l’exercice d’un éventuel droit de rétention ou d’un droit exclusif au paiement, les deniers provenant de la réalisation des meubles sont distribués dans l’ordre suivant ». Ainsi, le

législateur, avant d’établir l’ordre de paiement des créanciers, prend soin d’en exclure les créanciers rétenteurs ou munis d’un droit de paiement exclusif.

464. Dans tous les cas, le législateur français conserve cependant une nette longueur d'avance

sur son homologue africain, puisqu'en droit OHADA, le paiement exceptionnel des créanciers rétenteurs n'est expressement prévu que dans le cadre d'une procédure de liquidation des biens. Ce retard n'est pas négligeable. Il risque en effet d’être une source de difficultés pratiques. Mais, en attendant des éclaircissements de la part de la jurisprudence, il faut à présent s’intéresser au paiement des créanciers propriétaires.

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