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La protection du droit de rétention effectif en droit français

Paragraphe 1/ La protection efficace du droit de rétention effectif dans les deux législations

A- La protection du droit de rétention effectif en droit français

246. L'article L. 622-21 précité dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit à

tous créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du Code de commerce, d’entreprendre, contre le débiteur, des actions en justice qui tendent au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent. Sont également arrêtées ou interdites, toutes les procédures d'exécution intentées par ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles, ainsi que toutes les procédures de distribution qui n'ont pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.

Sur le fondement de ce texte, il est possible de penser que seuls les créanciers dont la créance est mentionnée à l'article L. 622-17-I échappent à l'arrêt des poursuites individuelles. Il s'agit des créanciers titulaires de créances postérieures éligibles au traitement préférentiel. Les autres, en

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N. CATALA-FRANJOU, « De la nature juridique du droit de rétention », art. préc., p. 10 ; F. DERRIDA, « La dématérialisation du droit de rétention », art. préc., p. 178 ; A. AYNÈS, Le droit de rétention, Unité ou pluralité, op. cit.

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l'occurrence les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs non privilégiés, vont être soumis à l'arrêt des poursuites individuelles. Ainsi, dès le jugement d'ouverture de la procédure, les actions en justice visant à obtenir le paiement d'une somme d'argent ne pourront plus être entreprises par les créanciers non privilégiés. Il en sera de même pour les procédures d'exécution.

247. Vu sous cet angle, le créancier rétenteur qui se prévaut d'une créance antérieure ou

postérieure non privilégiée n'échappe pas à l'arrêt des poursuites individuelles. Qu’il soit rétenteur autonome ou titulaire de sûreté préférentielle, il ne peut plus, à partir jugement d'ouverture, poursuivre le débiteur pour obtenir le paiement d'une somme d'argent. Cependant, eu égard aux prérogatives conférées par le droit de rétention, le créancier rétenteur ne peut engager des poursuites individuelles contre le débiteur ; bien plus, il n'a en réalité aucun intérêt à le faire. L'effectivité du droit de rétention peut, lorsque le bien retenu est utile à la poursuite de l’activité, lui permettre d'obtenir satisfaction, sans qu'il n'engage des poursuites contre le débiteur.

Reste donc à voir comment se manifeste la protection du droit de rétention contre l’arrêt des poursuites individuelles.

248. Aux termes des dispositions de l’article L. 622-21 précité, sont suspendues ou

interrompues, les actions en justice et les procédures d'exécutions ayant pour objectif de contraindre le débiteur à payer une somme d'argent. Or, le droit de rétention n'est pas une action en justice. Il n'est pas d'avantage une voie d'exécution. C'est le droit dont dispose le créancier pour opposer la rétention du bien au débiteur, et cela, jusqu'au paiement complet de sa créance. De la sorte, le débiteur ne peut récupérer le bien tant qu'il n'a pas exécuté son obligation à l'égard du titulaire d’un droit de rétention. Ainsi, quand bien même l'arrêt des poursuites individuelles s'impose à tous, elle n’aura aucun effet sur le droit de rétention. Faute d'action, l'exercice du droit de rétention n'est pas paralysé par l'effet du jugement d'ouverture. Contre l’arrêt des poursuites individuelles, la protection du droit de rétention est donc certaine. Il convient toutefois de distinguer le droit de rétention autonome du droit de rétention attaché à l’existence d’un gage.

249. S’agissant du droit de rétention autonome, n’étant pas assorti d’un droit d’action, il ne

permet pas à son titulaire d’engager des poursuites individuelles. Ce dernier ne peut donc pas solliciter la réalisation du bien retenu. L’absence d’un droit de préférence le contraint, de toute évidence, à demeurer dans une situation passive. Le droit de rétention étant une arme purement défensive, sa force réside dans l'attitude passive du créancier. En outre, l'effet de garantie du droit de rétention se produira indépendamment de toute voie d'exécution puisqu'il n'a qu'un effet coercitif319.

250. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un droit de rétention attaché au gage, l'arrêt des poursuites

individuelles aura des conséquences sur le gagiste-rétenteur. En effet, le droit de rétention n’est

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qu’une prérogative en plus du gage. Avant d’être un rétenteur, il est d’abord un créancier gagiste. De la sorte, il devrait pouvoir engager des poursuites individuelles contre le débiteur. Il peut donc solliciter la réalisation du bien gagé et faire jouer son droit de préférence sur le prix de vente. Or, étant visé par l’arrêt des poursuites individuelles, ses prérogatives de créancier gagiste se trouvent neutralisées. Ainsi, dès le jugement d’ouverture, il ne peut plus poursuivre le débiteur en paiement. Pour contourner l’arrêt des poursuites individuelles, le gagiste-rétenteur est contraint de se prévaloir uniquement de son droit de rétention et d’adopter une attitude passive.

251. Dans tous les cas, même si le rétenteur est, en théorie, visé par l'arrêt des poursuites

individuelles, en pratique, il va pouvoir y échapper. En effet, la nature particulière du droit de rétention impose d'adopter une position passive et de se contenter de la force d'inertie de la rétention. Aussi, l’exercice du droit de rétention n’est pas affecté nonobstant l’arrêt des poursuites individuelles.

Dans le même sens, il avait été soutenu que si, en réalité, le jugement d'ouverture ne fait rien perdre de ses prérogatives au créancier rétenteur, c'est qu'à la différence des créanciers munis de sûretés, il n’est investi d'aucun droit qui, en l'état actuel de la législation, soit susceptible d'être atteint par les principes régissant les procédures collectives et, en particulier, par la règle de l'interdiction des poursuites individuelles et des voies d'exécution320.

252. La jurisprudence a également rendu quelques arrêts en faveur du maintien du droit de

rétention.

Ce fut d'abord le cas dans un arrêt du 27 février 1997 de la cour d’appel de Versailles321. Les juges du fond avaient reconnu à un expert-comptable la possibilité d'exercer son droit de rétention face à la procédure collective de l'un de ses clients. Dans cette décision, la cour d’appel avait dérogé aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article D.46 de la loi du 25 janvier 1985. Ce texte précisait que dès le jugement d'ouverture, tout tiers détenteur est tenu de remettre à l'administrateur ou, à défaut, au représentant des créanciers, à la demande de celui-ci, les documents et livres comptables en vue de leur examen.

Bien que la règle de l'arrêt des poursuites individuelles ne soit pas traitée de manière spécifique dans ce cas d'espèce, l'intérêt de l’arrêt réside dans le fait qu'il démontre l'efficacité du droit de rétention dans la procédure collective. Ainsi, l'ouverture de la procédure et, partant, la mise en œuvre de l'interdiction d'engager des poursuites individuelles, n'auront aucun effet sur le créancier rétenteur.

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P.-M. LE CORRE, « L'invincibilité du droit de rétention dans les procédures collectives de paiement », art. préc., p. 2816 ; P. LE MAIGAT, « L'efficacité du droit de rétention du créancier gagiste dans les procédures collectives », LPA, 1999, n° 242, p. 10.

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Ce fut ensuite le cas dans un arrêt rendu le 3 novembre 1999 par la cour d'appel de Toulouse322. En l'espèce, les juges du fond avaient à connaître du droit de rétention d'un commissaire de transport sur des marchandises remises avant et après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Dans leur décision, les juges toulousains avaient reconnu ce droit au commissaire sur l’ensemble des marchandises, mais uniquement pour les créances antérieures au jugement d’ouverture et non pas aux créances postérieures non encore exigibles. La cour d’appel de Toulouse avait considéré que le droit de rétention ne pouvant s'analyser ni comme une action, ni comme un voie d'exécution, le commissaire de transport devait continuer d'exercer son droit de rétention, à condition que la créance fût exigible. Les juges du fond avaient donc soumis l'exercice du droit de rétention à la seule exigibilité de la créance323.

253. En définitive, même si en application des dispositions de l’article L. 622-21, le créancier

rétenteur français non privilégié, est visé par l'arrêt des poursuites individuelles. En réalité, il va y échapper puisque le droit de rétention effectif ne se trouve à aucun moment paralysé du fait de l'interdiction d'engager des poursuites individuelles.

De cette situation résulte une protection efficace du droit de rétention effectif contre l’arrêt des poursuites individuelles. Il se pose, dans cette perspective, la question du sort du droit de rétention au regard de l'arrêt des poursuites individuelles en droit OHADA.

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