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Le paiement du créancier titulaire d'un droit de rétention fictif

Paragraphe 1/ Le paiement du créancier rétenteur dans les procédures de sauvetage du droit français

B- Le paiement du créancier titulaire d'un droit de rétention fictif

417. Depuis la loi sur la modernisation de l'économie, il existe désormais deux types de

créanciers titulaires d'un droit de rétention fictif. D'abord, ceux qui détiennent ce droit en vertu des dispositions spéciales. Ensuite, ceux dont le droit de rétention résulte des dispositions de l'article 2286, 4° du Code civil. Cependant, l'ordonnance du 18 décembre 2008, face aux modifications apportées par la loi sur la modernisation de l'économie, a déclaré inopposable le droit de rétention conféré par l'article susvisé. Cette inopposabilité qui n'est pas sans incidence sur le paiement des créanciers rétenteurs (1) s'étend-t-elle aux gagistes sans dépossession qui détiennent leur droit de rétention des législations spéciales (2) ?

1- L'inopposabilité du droit de rétention conféré par l'article 2286, 4° du Code civil : un frein au paiement du créancier rétenteur

418. Après avoir énoncé le principe de l'interdiction des paiements des créances antérieures et

postérieures non éligibles au traitement préférentiel, l'article L. 622-7-I en pose un autre : celui de l'inopposabilité du droit de rétention conféré par l'article 2286, 4° du Code civil. Ce droit de

586

C’est la nouvelle appellation de l’antichrèse ; Art. 2391 du Code civil, art. 10, I, 32° à 37° L. n° 2009-526 du 12 mai 2009.

587

F. PÉROCHON, « Les interdictions de paiement et le traitement des sûretés réelles », D. 2009, pp. 651 et s. sp. p. 656.

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rétention étant inopposable pendant toute la période d'observation et celle de l'exécution du plan, le cas des créanciers qui en bénéficient588 est réglé.

Comme l'ensemble des créanciers non-méritants, les titulaires d'un droit de rétention fictif conféré par l'article 2286, 4° du Code civil ne peuvent plus, à compter du jugement d'ouverture, espérer un paiement individuel de leur créance. En cas d'adoption d'un plan de continuation, leur paiement se fera conformément aux délais du plan. Au moment de la répartition du prix, ils devront, en cas de vente du bien grevé d’un gage, subir le concours des autres créanciers. Ils seront, en conséquence, primés par tous les créanciers de meilleur rang, et notamment par le superprivilège des salaires. Par ailleurs, l’inopposabilité du droit de rétention devrait empêcher au créancier de se prévaloir de la technique du retrait contre paiement. Ainsi, logiquement, le bien pourrait être vendu aux cours des périodes d’observation ou d’exécution du plan. Cependant, si le droit de rétention est inopposable, le gage ne l’est pas. Leur statut de créancier gagiste devra être respecté. En application des dispositions de l’article L. 622-8 du Code de commerce, le prix correspondant au montant de la créance garantie sera consigné à la Caisse de dépôts et de consignation. Il est donc possible de vendre un bien faisant l’objet d’un gage sans dépossession, à condition de consigner mais non d’utiliser la quote-part correspondant au montant de la créance garantie par le gage589.

En définitive, la solution est relativement claire pour les titulaires du droit de rétention conféré par l’article 2286, 4° du Code civil. En sera-t-il de même pour les créanciers dont le droit de rétention résulte des législations spéciales ?

2- Le paiement des créanciers titulaires d'un droit de rétention fictif issu de lois spéciales

419. Pour les créanciers dont le droit de rétention fictif résulte d’autres dispositions, en

l’occurrence le titulaire d'un gage sur les véhicules automobiles590 ou encore le bénéficiaire d’un nantissement de compte-titres591, en principe, la question de l’opposabilité du droit de rétention ne

devrait pas se poser. L’article L. 622-7-I, alinéa 2, susvisé ne déclare inopposable que le droit de rétention conféré par l’article 2286, 4° du Code civil.

On s’interroge, en revanche, sur la possibilité pour ces créanciers de se prévaloir de la technique du retrait contre paiement. La confusion provient sans doute de la rédaction de l'article L. 622-7-II, alinéa 2, qui fait référence à « la chose légitimement retenue ».

588

Il s'agit du gagiste sans dépossession de droit commun, du gagiste sur stocks, du gagiste sur l'outillage et le matériel d'équipement professionnel, et éventuellement, les créanciers titulaires d'un warrant agricole (sur cette question v. E. LE CORRE-BROLY, « La situation du porteur d’un warrant agricole après l’ordonnance du 23 mars 2006 et la LME », art. préc.

589

Sur la vente d’un bien gagé ; cf. ns° 1015 à 1018. 590

Art. 2352 du Code civil. 591

179 420. Sur cette question, la position de la jurisprudence n’est pas tout à fait claire. Si, dans un

arrêt du 9 avril 1991592, la Cour de cassation avait refusé de faire application de la technique du retrait contre paiement au profit du créancier titulaire d'un droit de rétention fictif issu d'un warrant agricole et dont le statut est discuté en doctrine593, elle a, quelques années plus tard, dans un arrêt du 31 mai 1994594, reconnu l'opposabilité à la procédure collective d'un droit de rétention sur les documents administratifs inhérents à la circulation, tels que des cartes grises de véhicules automobiles, des certificats de jauge ou encore des actes de francisation de bateaux. Cette solution a ensuite été confirmée dans un arrêt du 22 mars 2005595.

Peut-on sur la base de ces décisions conclure à la reconnaissance de la technique du retrait contre paiement au profit des rétenteurs fictifs ? Le doute est permis. En effet, conformément à la solution législative596, l’opposabilité d’un droit de rétention fictif ne résultant pas de l’article 2286, 4° du Code civil ne devrait plus poser problème597. La difficulté ici est de savoir si le créancier titulaire d’un droit de rétention fictif opposable peut efficacement se prévaloir du retrait contre paiement.

421. L’incertitude est encore plus grande en doctrine. Cette question a en effet provoqué des

vives controverses doctrinales.

D'une part, il y a ceux qui sont attachés à la lettre du texte. Ils considèrent que le terme "retrait" implique nécessairement la détention matérielle du bien. Pour retenir il faut au préalable détenir. Ainsi, le titulaire d'un droit de rétention fictif, fut-il opposable, ne peut se prévaloir de la technique du retrait contre paiement dans la mesure où, le bien se trouvant entre les mains du débiteur, il n'exerce aucun pouvoir de blocage sur ce dernier. Dans ce courant doctrinal, on retrouve les professeurs POURQUIER598, COQUELET599, AYNÈS600, JEANTIN et LE CANNU601.

Madame BOUGEROL-PRUD'HOMME a récemment rejoint ce courant de doctrine. Dans sa thèse, elle défend l'idée que le bien gagé se trouvant entre les mains du débiteur, la poursuite de l'activité

592

Cass. com., 9 avril 1991, n° 89-14.942, Bull. civ. IV, n° 131; JCP E, 1991, I, 102, n° 19, obs. M. CABRILLAC ;

JCP E, 1991, II, 232, note P.- M. LE CORRE.

593

V. E. LE CORRE-BROLY, « La situation du porteur d’un warrant agricole après l’ordonnance du 23 mars 2006 et la LME », art. préc ; Ch. JUILLET, « Le warrant agricole, les sûretés mobilières spéciales et le droit commun du gage »,

D. 2016, p. 178 594

Cass. com., 31 mai 1994, n° 91-20.677, Bull. civ. IV, n° 196; JCP E, 1995, I, 417, n° 18, obs. M. CABRILLAC. 595

Cass. com., 22 mars 2005, n° 02-12.881, Inédit, D. 2005, somm. p. 2089 ; JCP G, 2005, I. 135, n° 17, obs. Ph. DELEBECQUE.

596

Art. 622-7-I, al. 1er du Code de commerce. 597

F. PÉROCHON, « Les interdictions de paiement et le traitement des sûretés réelles », art. préc., p. 656. 598

C. POURQUIER, « Faculté de rétention et procédures collectives », art. préc., p. 937; « La rétention du gagiste ou la supériorité du fait sur le droit », RTD com. 2000, p. 573. Pour l'auteur le texte (ancien article 33 al. 3, de la loi du 25 janvier 1985, ne s'applique qu'au créancier d'un gage avec dépossession).

599

M.-L. COQUELET, Entreprises en difficulté. Instruments de paiement et de crédit, HyperCours Dalloz, 4 éd., 2011, n° 188.

600

A. AYNÈS, « Précisions sur le sort du gage sans dépossession en cas de procédure collective », JCP G, 2009, I, 119, ns° 4 et 5.

601

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ne saurait justifier un quelconque retrait. En conséquence, « l'absence d'utilité du retrait doit conduire à priver tout rétenteur fictif du bénéfice de l'exception à l'interdiction des paiements »602. D'autre part, il y a ceux qui dépassent la lettre du texte. Ils estiment que le retrait contre paiement d'un bien fictivement retenu peut intervenir lorsque le débiteur entend disposer du bien (au cours de la période d'observation ou de l’exécution du plan). Ainsi, le créancier titulaire d'un droit de rétention fictif autre que celui conféré par l'article 2286, 4° du Code civil, doit pouvoir bénéficier de la technique du retrait contre paiement. Les principaux défenseurs de cette thèse sont les professeurs LE CORRE603 et PÉROCHON604.

422. Cette dernière solution605 nous paraît la plus convaincante. En effet, l'utilité d'un bien à la procédure collective ne résulte plus uniquement de son utilisation matérielle, mais aussi des liquidités qu'il peut procurer du fait de sa vente. Aussi, le créancier qui exerce son droit de rétention, fût-il fictif, sur un bien nécessaire à la poursuite de l'activité, devrait, en cas de réalisation dudit bien, pouvoir se prévaloir de la technique du retrait contre paiement. En conséquence, aucune vente ne devrait intervenir sans que le créancier ne soit préalablement désintéressé.

Cette analyse suppose alors qu'il faille dépasser la simple lettre du texte qui fait référence au retrait de la chose. Face à ces créanciers, l'objectif n'est pas d'obtenir la restitution matérielle du bien, puisqu'il se trouve déjà entre les mains du débiteur. Le but ici est de libérer juridiquement le bien contre tout obstacle à sa réalisation. Par analogie à la technique du retrait contre paiement, le législateur pourrait ainsi instituer, pour les rétenteurs fictifs, la technique de "la vente contre paiement". Toutefois, cette vente n'a d'intérêt que si le prix du bien est supérieur au montant de la créance du rétenteur.

Nous sommes confortés dans cette analyse par l'article L.622-7, I alinéa 2, qui précise que l'inopposabilité ne s'applique qu'au seul droit de rétention fictif conféré par les dispositions du Code civil. A contrario, le droit de rétention fictif issu des dispositions spéciales reste parfaitement opposable. Le créancier qui en bénéficie peut donc faire valoir ses droits. Il devrait pouvoir s'opposer à la réalisation du bien, si aucun paiement n'a préalablement été effectué.

En pratique, cette solution ne devrait pas poser trop de difficulté, car même si le créancier n’est pas en possession du bien, il bénéficie néanmoins d’un pouvoir de blocage. C’est notamment le cas du gagiste automobile qui, du fait du reçu de la déclaration du gage, est réputé avoir conservé le bien

602

L. BOUGEROL-PRUD'HOMME, Exclusivité et garanties de paiement, op. cit., n° 496. 603

P.- M. LE CORRE, Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, op. cit., n° 633.31; « Un exemple d'exclusivité : le droit de rétention fictif du gagiste sans dépossession », LPA, 11 février 2011, n° 30, pp. 68.

604

F. PÉROCHON, « Les interdictions de paiement et le traitement des sûretés réelles », art. préc., p. 656 ; Entreprises

en difficulté, op. cit., n° 614. 605

D'autres auteurs considèrent que les titulaires d'un droit de rétention fictif peuvent bénéficier du retrait contre paiement, v. S. PIÉDELIÈVRE, « La mise en œuvre des sûretés réelles dans les procédures collectives », LPA, 20 septembre 2000, n° 188, p. 12 ; E. LE CORRE-BROLY, « Le droit de rétention sur documents d’immatriculation », D.

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en sa possession606. Il en sera de même pour le créancier nanti sur un compte-titres. En effet, dès lors que la déclaration du nantissement est adressée à l’établissement teneur du compte-titre, le constituant perd la libre disposition des titres financiers607.

423. Il résulte que dans les procédures de sauvetage, le paiement exceptionnel du créancier

rétenteur doit nécessairement être justifié par la poursuite de l'activité. Lorsque le bien retenu ne favorise pas la poursuite de l'activité, peu important alors que le créancier soit titulaire d'un droit de rétention réel ou fictif, il ne peut prétendre au paiement individuel de sa créance. La situation est plus grave encore pour le titulaire d'un droit de rétention fictif issu de l'article 2286, 4° du Code civil. Son droit de rétention étant inopposable pendant toute la période d'observation et celle de l'exécution du plan, il ne peut plus, à compter du jugement d’ouverture, obtenir le paiement individuel de sa créance. Si le bien gagé se révèle par la suite nécessaire à la poursuite de l'activité, il pourrait être vendu sans que le créancier ne soit payé immédiatement. L'inopposabilité du droit de rétention place le rétenteur dans la position précaire de simple créancier gagiste. En conséquence, il n’échappe pas à la règle de l'interdiction des paiements des créances.

424. Cependant, il existe un bémol lorsque le bien objet de la garantie est compris dans une

cession d'activité décidée dans la procédure de sauvegarde, en application de l'article L. 626-1 du Code de commerce, ou dans la procédure de redressement, en application de l'article L. 631-22 dudit Code. Dans ces conditions, le droit de rétention qui était inopposable au débiteur devient opposable au repreneur. Ainsi, le repreneur qui souhaite acquérir un bien fictivement retenu doit préalablement payer le rétenteur608. En principe, tant qu’il n’est pas totalement désintéressé, le créancier va pouvoir faire obstacle à la cession du bien gagé. Dans l’hypothèse d’un plan de cession, le créancier peut donc se prévaloir de la technique du retrait contre paiement. Cependant, compte tenu de l’absence du pouvoir de blocage du droit de rétention fictif, un auteur émet quelques réserves à ce sujet609.

425. En définitive, en instituant le mécanisme du retrait contre paiement, le législateur

français a prévu un moyen pour le créancier rétenteur de se faire payer au cours des procédures de

sauvetage, en dépit de la règle de l'interdiction de paiement des créances non-méritantes. Ce mécanisme qui joue fortement en faveur du rétenteur n'est toutefois possible que lorsque le bien

dont on veut obtenir le retrait est utile à la poursuite de l'activité. Le paiement exceptionnel du créancier rétenteur est donc subordonné à l'utilité du bien retenu.

606

Art. 2352 du Code civil 607

Art. L. 211-20 du Code monétaire et financier 608

Posée par la jurisprudence v. Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-12.925, arrêt préc. D. 1997. Somm. p. 312, obs. A. HONORAT ; D. 1998. Somm. p. 102, obs. S. PIÉDELIÈVRE; la solution a été confirmée par le législateur dans l'ordonnance du 18 décembre 2008 le législateur (article L. 622-7, I, al. 2 et article L. 642-12, al. 5 - dans l'hypothèse ou le plan de cession est envisagé en liquidation judiciaire-).

609

182 426. En revanche, le législateur communautaire africain n'ayant pas prévu de technique

similaire au retrait contre paiement, le créancier rétenteur africain ne peut, en théorie et à ce jour, espérer un paiement exceptionnel de sa créance au cours du règlement préventif ou du redressement judiciaire. Sur cette base, le rétenteur devrait être soumis à la règle de l'interdiction des paiements des créances antérieures.

Ce vide juridique est susceptible de causer de nombreuses difficultés pratiques. En effet, que faut-il décider si un bien retenu par un créancier se révèle nécessaire à la poursuite de l'activité ? La question se pose d’autant plus que le droit de rétention n’étant plus assimilé au gage, le créancier ne peut plus être contraint de s’en dessaisir notamment par une substitution de garantie. Doit-on alors laisser un seul créancier compromettre le sauvetage de toute une entreprise ? Autant d'interrogations qui demeurent malheureusement sans réponse à ce jour.

427. En tenant compte des finalités du droit des entreprises en difficulté, et notamment de

l’objectif de sauvetage des entreprises, on pourrait hésiter à admettre une réponse positive. Il faudrait, en revanche, envisager l'application des solutions prévues en droit français. Une fois de plus, nous exprimons notre déception au regard de la réforme de l’AUPC. Nous espérions que celle-ci apporterait des solutions à ce sujet.

Quoi qu'il en soit, lorsqu'il est question du paiement exceptionnel du créancier rétenteur dans les procédures de sauvetage, le législateur français conserve une longueur d'avance sur le législateur communautaire africain. Le constat est-il le même dans le cadre de la procédure de liquidation ?

Paragraphe 2/ Le paiement du créancier rétenteur dans les

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