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Paragraphe 2/ La protection incertaine du droit de rétention fictif en droit français

267. Le droit de rétention fictif permet au créancier de retenir le bien sans en avoir la

détention. Il s’analyse comme une simple fiction légale dans la mesure où le créancier retient fictivement un bien sur lequel il n’a aucune emprise matérielle. Contrairement au droit de rétention effectif, le droit de rétention fictif existe sans aucun lien de connexité entre la créance garantie et la chose retenue. De plus, le droit de rétention fictif n'a aucune existence autonome. Il est nécessairement attaché à une sûreté, le plus souvent un gage sans dépossession332.

268. Depuis la modification opérée par la LME333, on distingue désormais deux catégories de droit de rétention fictif. D'une part, ceux qui résultent à l’origine de lois spéciales ; c’est notamment le cas du droit de rétention attaché au gage sur véhicule automobile334. D'autre part, celui qui provient des dispositions de l'article 2286, 4° du Code civil. C'est par exemple le cas du droit de rétention attaché au gage sur matériel et outillage, au gage sur stocks sans dépossession335 et, éventuellement, au warrant agricole336.

269. Cependant, en réponse à la modification opérée par LME, l'ordonnance du 18 décembre

2008 a déclaré inopposable le droit de rétention fictif conféré par l'article 2286, 4° du Code civil pendant les périodes d'observation et d'exécution des plans de continuation. En revanche, aucune disposition propre à la liquidation judiciaire ne prévoit une inopposabilité de ce droit. On peut en déduire que le droit de rétention fictif est tout à fait opposable dans la procédure de liquidation judiciaire.

270. Au vu de ce qui précède, deux questions se posent. La première tient à la nature fictive

du droit de rétention. La fictivité du droit de rétention est-elle un obstacle à son protection contre l’arrêt des poursuites individuelles (A) ? Quant à la seconde, elle résulte des conséquences de l’inopposabilité de ce droit rétention relativement à l’arrêt des poursuites individuelles. L’inopposabilité du droit de rétention fictif empêche-t-elle sa protection (B) ?

332

Certains nantissements s’accompagnent d’un droit de rétention, notamment le nantissement de compte-titres (article L. 211-20. III du Code monétaire et financier).

333

Loi sur la modernisation de l’économie. 334

Depuis le décret n° 53-968 du 30 septembre 1953, relatif à la vente à crédit des véhicules automobiles, un droit de rétention fictif est attaché au reçu de la déclaration du gage sur le registre spécialement ouvert à la préfecture à cet effet (article 2, al. 3 du décret de 1953). Par ailleurs, l’article 2352 du Code civil dispose que « par la délivrance du reçu de la déclaration, le créancier gagiste sera réputé avoir conservé le bien remis en gage en sa possession ».

335

E. LE CORRE-BROLY, « Le gage sur stocks et le Code de commerce : un mariage forcé ? », art. préc. 336

E. LE CORRE-BROLY, « La situation du porteur d'un warrant agricole après l'ordonnance du 23 mars 2006 et la LME », art. préc.

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A- La fictivité droit de rétention et l’arrêt des poursuites individuelles

271. Il convient de raisonner par analogie au droit de rétention effectif.

Comme nous l’avons vu, c’est le fait de retenir le bien qui assure la protection du droit de rétention fictif contre l’arrêt des poursuites individuelles. Contraint de demeurer dans une situation passive, le créancier, bien qu’étant en principe visé par l’interdiction d’engager des poursuites individuelles, va pouvoir l’éviter puisque le jugement d’ouverture ne paralyse pas l’exercice du droit de rétention qui n’est ni une action en justice, ni une mesure d’exécution. De cette situation découle la protection du droit de rétention.

272. Toutefois, en présence d’un droit de rétention fictif, ce raisonnement est difficilement

transposable. En effet, si le droit de rétention effectif est bien la faculté donnée à un créancier de retenir le bien de son débiteur jusqu’au complet paiement de la créance, le droit de rétention fictif, en revanche, ne donne pas au créancier la possibilité de retenir le bien physiquement. Il s’agit ici d’une rétention purement fictive. Le créancier n’a aucune mainmise sur le bien. Le droit de rétention fictif ne confère qu’une emprise juridique au créancier. C’est le droit de s’opposer à la réalisation du bien retenu.

Ainsi, quand bien même l‘exercice du droit de rétention fictif ne serait pas paralysé par le prononcé du jugement d’ouverture, l’absence de rétention effective du bien ne permet pas efficacement au créancier d’éviter ou de contourner l’interdiction législative. A priori, le créancier ne peut du seul fait de la rétention fictive obtenir le paiement de sa créance337.

L’intérêt de la fictivité du droit de rétention se fera surtout ressentir si le débiteur ou son représentant veut procéder à la vente du bien. Dans cette hypothèse, le créancier pourrait valablement s’opposer à ladite vente, pour autant que son droit de rétention soit opposable. Nous pouvons donc considérer que la fictivité du droit de rétention n’a aucun réel intérêt au regard de l’arrêt des poursuites individuelles.

Cette assertion nous amène à répondre à la seconde interrogation relative aux conséquences de l’inopposabilité du droit de rétention fictif pour ce qui est de l’arrêt des poursuites individuelles.

B- L'inopposabilité du droit de rétention et l’arrêt des poursuites individuelles

273. Selon les dispositions de l'article L. 622-7- I, alinéa 2, du Code de commerce, le droit de

rétention conféré par l'article 2286, 4° du Code civil est inopposable en période d'observation et durant toute la durée de l'exécution du plan de sauvegarde. Cette disposition est applicable par renvoi en redressement judiciaire en vertu de l'article L. 631-14, alinéa 1er. L’inopposabilité neutralise les effets du droit de rétention fictif. Pendant toute la durée de l’inopposabilité, les organes de la procédure sont fondés à ignorer le droit du créancier. En pratique, tout se passera

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comme si le créancier n’était pas un rétenteur. Il ne peut donc opposer au débiteur ou à l’administrateur judiciaire les prérogatives traditionnellement reconnues au droit de rétention, en l’occurrence la rétention du bien.

En raisonnant par analogie au droit de rétention effectif, on pourrait conclure que l’inopposabilité du droit de rétention fictif, en neutralisant les prérogatives attachées à ce droit, constitue un obstacle à la protection du droit de rétention contre l’arrêt des poursuites individuelles.

274. Cependant, en présence d’un droit de rétention fictif, la logique est tout autre. Le droit de

rétention fictif ne confère pas au créancier la faculté de retenir matériellement le bien jusqu’au complet paiement de sa créance. Que le droit de rétention fictif soit inopposable ou pas, le créancier ne retient pas le bien. Or, c’est la rétention, pensons-nous, qui permet de soustraire le créancier de l’arrêt des poursuites individuelles et qui, de ce fait, garantie la protection du droit de rétention. Nous émettons donc quelques réserves sur l’efficacité de la protection du droit de rétention fictif contre l’arrêt des poursuites individuelles. Plus que l’inopposabilité du droit de rétention, c’est son caractère fictif qui pose ici problème.

275. Pourtant, il convient de noter que l’inopposabilité du droit de rétention fictif a quand

même des effets néfastes au regard de la règle de la suspension et de l'interdiction des poursuites individuelles. En neutralisant les effets du droit de rétention, l’inopposabilité permet de considérer le créancier comme un simple gagiste-non rétenteur. En conséquence, pendant toute la période d’observation et celle d’exécution du plan, le créancier va subir l’arrêt des poursuites individuelles. Ne pouvant plus solliciter la réalisation forcée du bien, son droit de préférence se trouve aussi quelque peu neutralisé.

Ainsi, durant toute la période où le sauvetage de l'entreprise est envisageable, le droit de rétention du gagiste sans dépossession demeure inopposable. De plus, le créancier ne peut faire jouer les prérogatives découlant de son statut de gagiste. À l’égard du créancier dont le droit de rétention fictif provient des dispositions de l’article 2286, 4° du Code civil, la règle de l'arrêt des poursuites individuelles s'impose donc dans les deux sens : aussi bien en tant que rétenteur, que gagiste sans dépossession.

276. Cependant, cette différence entre les bénéficiaires d’un droit de rétention fictif nous

semble purement théorique. En pratique, la différence pourrait bien ne pas se ressentir. En effet, même lorsque le droit de rétention est opposable, le caractère fictif qui suppose l’absence de rétention matérielle du bien, empêche véritablement au créancier d’échapper à l’arrêt des poursuites individuelles. Pour cette raison, il ne nous semble pas opportun d’analyser les effets d’un droit de rétention fictif opposable eu égard à l’arrêt des poursuites individuelles. L’absence de rétention du bien par le créancier fonde véritablement la faiblesse du droit de rétention fictif par rapport à la règle de l’arrêt des poursuites individuelles.

118 277. Notons que le législateur permet à certains créanciers de recouvrer leur droit de poursuite

individuelle au cours de la liquidation judiciaire. Aux termes des dispositions de l'article L. 643-2, alinéa 1er, « Les créanciers titulaires d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une

hypothèque (...) peuvent, dès lors qu'ils ont déclaré leurs créances même s'ils ne sont pas encore admis, exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de trois mois à compter du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire ». La reprise des poursuites est donc subordonnée à une double condition : la

déclaration de la créance, d'une part, et l'absence d'initiative du liquidateur quant à la réalisation des biens, d'autre part.

La loi ne précise pas quels sont les gagistes visés par la mesure. Il y a donc lieu de considérer qu'elle s'applique à tous les créanciers gagistes avec ou sans dépossession.

Cette mesure peut se révéler d'une importance non négligeable pour le gagiste-rétenteur, puisqu’elle lui permet de sortir de l'inertie dans laquelle il serait contraint de demeurer s’il n’était qu’un créancier rétenteur. En effet, comme gagiste, il peut solliciter la réalisation forcée du bien afin de mettre en œuvre son droit de préférence et bénéficier ainsi d'un paiement prioritaire sur le prix de la réalisation. En contrepartie, il perd le bénéficie du droit de rétention et doit se soumettre à la loi du concours. À notre avis, cette situation n'interviendra que dans des cas d'extrême attente de la part du créancier car il s'agit tout de même de renoncer au droit de rétention et, donc, au statut de créancier exclusif.

À l’opposé, cette mesure ne bénéficie pas au titulaire d’un droit de rétention autonome. De surcroit, elle ne présente aucun intérêt pour lui. Ne bénéficiant pas d'un droit de préférence, il ne peut solliciter la réalisation forcée du bien. À défaut, non seulement il outrepasse ses prérogatives, mais en plus, cette situation s’analyse comme un dessaisissement volontaire, avec pour conséquence la perte du droit de rétention.

278. En définitive, la prérogative attachée au droit de rétention effectif, en l’occurrence la

rétention du bien, permet à ce droit d’être efficacement protégé contre l’arrêt des poursuites individuelles. Inversement, n’étant pas assorti de la rétention effective du bien, le droit de rétention fictif semble ne présenter aucun intérêt au regard de l’arrêt des poursuites individuelles. Il s’ensuit donc une protection incertaine pour le droit de rétention fictif. Ainsi, seule la protection du droit de rétention effectif reste certaine et efficace. Sur cette question, le retard du droit OHADA envers le droit français n’est pas de nature à pénaliser le rétenteur africain.

279. Toutefois, l’exercice du droit de rétention n’est pas la seule manifestation de la

protection du droit de poursuite des créanciers munis de sûretés réelles exclusives. Il existe un autre moyen réservé, cette fois, aux créanciers propriétaires qui démontre aussi cette protection : c’est l’exercice de l’action en revendication.

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Section 2/ La protection de la revendication contre l’arrêt des

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