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Le droit de revendiquer du fiduciaire : une source d’interrogations

Paragraphe 2 : Le droit de renvendiquer du fiduciaire en droit français

A- Le droit de revendiquer du fiduciaire : une source d’interrogations

381. Par principe, s’il n’est pas un ccréancier éligible au traitement préférentiel, le

bénéficiaire d’une fiducie-sûreté, comme tous les autres créanciers, est soumis à l'arrêt des poursuites individuelles dès lors que leur débiteur fait l'objet d'une procédure collective. Toutefois, à l’instar du réservataire, le bénéficiaire de la fiducie se trouve dans une situation particulière. Les biens objets de la garantie étant sortis du patrimoine du débiteur, du moins à titre temporaire, les effets réels de la procédure, en l'occurrence la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, ne devraient avoir aucune conséquence sur le créancier bénéficiaire.

Il existe cependant une différence selon qu’il s’agit de fiducies avec ou sans dépossession. La revendication n’est admise que pour les secondes. Nous verrons donc les fiducies sans dépossession (1) puis les fiducies avec dépossession du constituant (2).

1- L’admission de la revendication pour les fiducies sans dépossession

382. Les contrats de fiducie sont, pour certains, assortis d'une convention en vertu de laquelle

le débiteur constituant conserve l'usage ou la jouissance des actifs fiduciaires. Dans cette hypothèse, le législateur autorise la revendication des biens. En effet, aux termes des dispositions de l'article L. 624-16, alinéa 1er, du Code de commerce, peuvent être revendiqués, les biens meubles transférés dans un patrimoine fiduciaire dont le débiteur conserve l'usage ou la jouissance en qualité de constituant. Il en résulte que l’existence d’une convention de mise à disposition implique l'obligation de revendiquer pour tous les propriétaires de meubles qui souhaitent faire reconnaître leur droit à la procédure collective. Le débiteur ayant les biens en sa possession, il faut éviter toute apparence de solvabilité de nature à tromper les tiers532.

En l’absence de précision législative, il y a lieu de considérer que ce texte s’applique aussi bien à la fiducie-sûreté qu’à la fiducie-gestion. Seule l’existence d’une convention de mise à disposition est exigée pour revendiquer. Par ailleurs, le texte ne précise pas à qui incombe la revendication. Logiquement, en tant que propriétaire même temporaire, la revendication devrait être effectuée par le fiduciaire533.

383. De prime abord, on pourrait penser que les dispositions de l'article L. 624-16, alinéa 1er, précité s’opposent à celles de l'article L. 622-23-1 du Code commerce, desquelles il résulte que lorsque les biens ou droits présents dans un patrimoine fiduciaire font l'objet d'une convention en exécution de laquelle le débiteur constituant en conserve l'usage ou la jouissance, aucune cession de transfert de ces biens ou droits ne peut intervenir au profit du fiduciaire ou d'un tiers du seul fait de

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S. FARHI, « Le banquier garanti par une fiducie-sûreté et la procédure collective », in Contentieux bancaire des

procédures collectives, l’établissement de crédit et l’entreprise en difficulté, sous la dir. de E. LE CORRE-BROLY,

Bruylant, 2014, p. 109 et s, sp. p. 113. 533

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l'ouverture de la procédure. En effet, pour un auteur534, la neutralisation des effets de la fiducie qui découle de cet article constitue l'équivalent, pour les fiduciaires ou les bénéficiaires de la fiducie, de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles. L’article L. 622-23-1 paralyse les effets de la fiducie dès lors que celle-ci est assortie d'une convention de mise à disposition au profit du débiteur. De la sorte, le bénéficiaire de la fiducie-sûreté ne peut plus réaliser sa sûreté pendant toute la période d'observation et d'exécution du plan de continuation535.

384. Comment alors concilier ces deux articles ? La neutralisation des effets de la fiducie

fait-t-elle obstacle au droit de revendiquer des fiduciaires ? La question se pose d'autant plus que l'article L. 624-16, alinéa 1er, vise les biens dont le débiteur-constituant conserve l'usage ou la jouissance en vertu d'une convention de mise à disposition. Or, c'est l'existence même d'une telle convention qui neutralise les effets de la fiducie.

Une première approche aurait consisté à considérer que la paralysie de la fiducie empêche la revendication du fiduciaire. En effet, la sûreté elle-même étant paralysée, il paraît logique que les avantages qui en découlent soient eux aussi neutralisés. Aussi, pendant tout le temps que dure la paralysie, le fiduciaire ne pourrait pas revendiquer. Cela aurait pour conséquence de soumettre le créancier bénéficiaire à l'arrêt des poursuites individuelles.

À cette analyse, on pourrait opposer que le droit de revendiquer visant simplement à faire reconnaître le droit de propriété d'un créancier sur un bien, il est tout à fait normal que ce droit soit reconnu à tout propriétaire. Ainsi, malgré la neutralisation des effets de la fiducie, le fiduciaire ne perd pas sa qualité de propriétaire. Par ailleurs, les biens étant laissés aux mains du débiteur-constituant, les tiers auraient pu lui consentir des crédits sur la base de ces biens, alors même qu'il n'en est plus le propriétaire. Le droit de revendiquer constitue, par conséquent, un excellent moyen d'éviter toute apparence de solvabilité de nature à tromper les tiers.

385. En réalité, aucune difficulté ne se pose pour la conciliation des articles sus cités. L'article

L. 624-16, alinéa 1er, admet de manière expresse la revendication des biens transférés dans un patrimoine fiduciaire, nonobstant l'existence d'une convention de mise à disposition paralysant la fiducie. Bien plus, l’existence d’une telle convention justifie la revendication. La neutralisation des effets de la fiducie ne constitue donc pas un obstacle à la revendication du fiduciaire. Comme le créancier réservataire, le fiduciaire est en droit de revendiquer les biens mobiliers dont il est devenu propriétaire, fut-il temporairement.

Cette revendication est admise dans toutes les phases de la procédure collective. Aussi, même lorsque la convention de mise à disposition n'a aucune incidence sur les effets de la fiducie, le

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F. MACORIG-VENIER, « L'exclusivité », art. préc., p. 59 et s. sp. p. 65; « Fiducie-sûreté et droit des entreprises en difficulté », in Entreprises en difficulté, Droit 360°, sous la dir. de Ph. ROUSSEL GALLE, Lexisnexis, 2012, p. 405 et s. sp. p. 421.

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propriétaire est tout de même tenu de revendiquer. C'est le cas en liquidation judiciaire mais aussi lorsqu'un redressement judiciaire a été prononcé à la suite d'une résolution du plan de sauvegarde.

386. En somme, la neutralisation de la fiducie sans dépossession interdit au créancier

bénéficiaire de réaliser sa sûreté. On peut alors considérer qu’il est soumis à l’arrêt des poursuites individuelles, puisqu’il ne peut solliciter le transfert de la propriété des actifs fiduciaires pendant toute la durée de la neutralisation de la fiducie. Un auteur considère d’ailleurs que dans cette hypothèse, le bénéficiaire de la fiducie est traité comme un créancier antérieur soumis aux interdictions de la discipline collective536. En revanche, cette neutralisation ne fait pas obstacle à la revendication du fiduciaire. Cependant, la revendication n'est pas autorisée pour toutes les fiducies.

2- L’absence de revendication pour les fiducies avec dépossession

387. En application de l'article L. 624-16, alinéa 1er, seules les fiducies assorties d'une convention de mise à disposition des biens mobiliers au profit du débiteur-constituant doivent faire l'objet d'une revendication. Il n’y a donc pas lieu de revendiquer lorsqu’il est question de fiducies avec dépossession. En effet, les biens se trouvant non seulement dans le patrimoine mais aussi entre les mains du fiduciaire, il n'est pas nécessaire de revendiquer. À défaut de paiement à l'échéance, le bénéficiaire devrait pouvoir mettre en œuvre la sûreté.

388. Mais que faut-il décider si le bénéficiaire de la fiducie et le fiduciaire sont deux

personnes distinctes ? À notre avis, le fiduciaire devrait opérer un transfert des actifs fiduciaires vers le patrimoine personnel du bénéficiaire, sans aucune revendication de la part de ce dernier. La réalisation de la fiducie s'opérant en dehors de toute procédure collective, logiquement, le bénéficiaire de la fiducie n'a pas à faire reconnaître son droit de propriété à l'égard de la procédure collective. Et si le fiduciaire est soumis à une procédure collective, cela ne devrait, en principe, poser aucun problème puisque les actifs transférés sont tenus dans un patrimoine fiduciaire distinct du patrimoine personnel du fiduciaire. Les créanciers du fiduciaire ne devraient donc pas pouvoir appréhender le patrimoine fiduciaire, mais uniquement le patrimoine personnel du fiduciaire. Cependant, la confusion est possible puisque le fiduciaire est tout de même propriétaire des actifs transférés. Aussi, on pourrait envisager la possibilité pour le bénéficiaire de la fiducie de procéder exceptionnellement à la revendication des actifs fiduciaires.

389. Quoi qu’il en soit, le bénéficiaire d’une fiducie avec dépossession échappe à l’arrêt des

poursuites individuelles537 dans toutes les procédures collectives, et cela, en l’absence de toute revendication. Les biens fiduciaires étant sortis du patrimoine du débiteur, d’une part, et n’étant pas soumis à la revendication, d’autre part, il pourrait, nonobstant l’ouverture d’une procédure

536

S. FARHI, La fiducie-sûreté et le droit des entreprises en difficulté, op. cit., pp. 418 et s ; « Le banquier garanti par une fiducie-sûreté et la procédure collective », art. préc., p. 118

537 Ibid.

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collective, réaliser sa sûreté à l’échéance de la créance garantie, et ainsi obtenir le paiement de sa créance. Cette situation est d’autant plus envisageable que les fiducies avec dépossession ne subissent aucune neutralisation de leurs effets538.

Logiquement, il devrait en être de même en cas de résiliation de la convention de mise à disposition. En effet, la convention résiliée, le bénéficiaire de la fiducie devrait pouvoir mettre en œuvre sa sûreté, sous réserve cependant de l’exigibilité de la créance. De cette manière, il pourrait ordonner le transfert des actifs fiduciaires dans son patrimoine. Il échapperait ainsi à l’arrêt des poursuites individuelles.

390. En définitive, contrairement à ce que pourrait laisser à penser la lecture des articles

suscités, c'est l'existence même d'une convention de mise à disposition qui justifie l'exercice de l'action en revendication du fiduciaire. Les biens meubles étant laissés à la disposition du débiteur-constituant, il revient au propriétaire de ces meubles de les revendiquer, peu important que les effets de sa sûreté soient ou non neutralisés. Ces précisions apportées, il convient à présent d'aborder brièvement le régime de la revendication du fiduciaire.

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