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Paragraphe 2/ Le traitement de faveur des créanciers munis de sûretés réelles exclusives en cas de cession

152. Quel sort faut-il réserver aux créanciers munis de sûretés réelles exclusives dans

l'hypothèse d'une cession de biens grevés ? Nous avons vu que les sûretés réelles exclusives échappaient à la règle de l'affectation d'une quote-part du prix de cession. Ainsi, lorsqu'elle est prévue, la cession d'un bien grevé ou son insertion dans un plan de cession ne conduira pas à la mise en œuvre du mécanisme d'affectation, mais à l'application d'un régime dérogatoire favorable. Alors que cette solution est clairement consacrée en droit français (A), en droit OHADA, il est difficile d'en dire autant puisque ni le législateur communautaire, ni la jurisprudence ne s'est prononcé sur la question (B).

A- Le traitement de faveur des créanciers munis de sûretés réelles exclusives en

droit français

153. Lorsqu'une cession est envisagée, les créanciers munis de sûretés réelles exclusives

bénéficient, en principe, d'un traitement dérogatoire favorable. Cette affirmation est valable aussi bien pour le créancier rétenteur (1) que pour les créanciers titulaires de propriétés-sûretés (2).

1- La situation du créancier rétenteur face au plan de cession

154. Comme nous l'avons vu, l'existence d'un droit de rétention fait échec à la mise en œuvre

du mécanisme d'affectation d’une quote-part du prix de cession211. Seul le paiement de la créance permet de faire obstacle à l'exercice du droit de rétention212. La cession des biens retenus ou gagés n'est donc possible que si le repreneur procède préalablement au paiement du créancier. Dans le cas contraire, l'opposabilité du droit de rétention permet au créancier de refuser la restitution des biens détenus tant qu'il n'est pas complètement désintéressé213. Ainsi, retenir et céder ne vaut214.

155. L'opposabilité du droit de rétention au cessionnaire est valable pour tous les droits de

rétention réels ou fictifs, et même pour le droit de rétention fictif conféré par l'article 2286, 4° du Code civil. En effet, selon les dispositions de l'article L. 622-7-I du Code de commerce, ce droit de rétention est inopposable pendant la période d'observation et pendant la durée de l'exécution du plan. En revanche, il est opposable dans l'hypothèse d'une cession.

211

Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-12.925, arrêt préc. 212

F.-J. CRÉDOT, « La supériorité irréductible du droit de rétention », art. préc., pp. 25-26. 213

C. POURQUIER, « Faculté de rétention et procédures collectives », D. Aff. 1998, p. 936. 214

P.-M. LE CORRE, « Le gage avec droit de rétention face au plan de cession (rien ne sert de concourir, il faut à point retenir) », art. préc., pp. 6 et s.

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Le créancier gagiste qui tient son droit de rétention de l'article 2286, 4° du Code civil devrait donc pouvoir opposer son droit au cessionnaire215. L'opposabilité de ce droit de rétention devrait aussi, pensons-nous, lui faire bénéficier des prérogatives conférées par le droit de rétention, en l'occurrence le retrait contre paiement ou encore le report du droit de rétention sur le prix de vente216.

156. Tout bien considéré, dans l'hypothèse d'une cession, le droit de rétention est opposable

au repreneur. Cette situation permet au rétenteur de se soustraire à l'affectation d'une quote-part du prix de cession, d'une part, et d'obtenir le paiement intégral de sa créance préalablement à la cession des biens retenus, d’autre part.

Mais alors, qu’en est-il des créanciers munis de propriétés-sûretés ?

2- La situation des créanciers propriétaires face au plan de cession

157. Par principe, le débiteur ne peut céder des biens dont il n’est pas propriétaire. Cependant,

comme pour les biens retenus, il peut arriver que les actifs fiduciaires ou les biens vendus avec clause de réserve de propriété soient inclus dans un plan de cession. Quel traitement faut-il alors réserver aux créanciers-propriétaires ? Nous analyserons d'abord la situation du créancier réservataire (a) puis celle du bénéficiaire de la fiducie-sûreté (b).

a- La situation du créancier réservataire face au plan de cession

158. Jusqu'à l'exécution complète de son obligation, le débiteur n'est pas le propriétaire des

biens faisant l'objet d'une clause de réserve de propriété. Ceux-ci n'entrent donc pas dans son patrimoine. En théorie, le débiteur ne peut procéder à la cession de ces biens.

Cependant, il peut arriver que des biens vendus avec une clause de réserve de propriété fassent l'objet d'une cession. Dans cette situation, le créancier réservataire ne reçoit pas une quote-part du prix de cession pour l'exercice de son droit de propriété. Il bénéficie plutôt d'un régime dérogatoire favorable. En effet, il a été jugé que si des biens vendus avec clause de réserve de propriété sont incorporés dans un plan de cession, le vendeur réservataire pourra se prévaloir de son droit de propriété sur le prix de la cession, en faisant valoir une créance postérieure privilégiée au sens de l'ancien article 40 de la loi du 25 janvier 1985217. Aujourd'hui, il faudrait considérer que le créancier bénéficie d'une créance postérieure éligible au traitement préférentiel, au sens de l'article L. 622-17 du Code de commerce. Dans tous les cas, le créancier réservataire tire avantage, sur le prix de

215

O. BUISINE, « L'opposabilité du droit de rétention « fictif » dans le cadre du plan de cession », art. préc., ns° 6 à 9. 216

Cf. ns° 410 et s. 217

Cass. com., 9 juin 1992, n° 90-16.804, arrêt préc; JCP E, 1992, I. 195, n°10, obs. M. CABRILLAC; RTD com. 1994, p. 126, obs. A. MARTIN-SERF ; B. SOINNE, Traité des procédures collectives, op. cit., n° 910.

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cession des marchandises, d'une créance postérieure privilégiée et payée par priorité aux autres créances.

159. Le professeur PÉROCHON218 avait considéré que cette solution n'était pas une réelle victoire pour le réservataire étant donné que c'est le minimum auquel il pouvait prétendre. Cette solution place toute de même l’intéressé dans une position enviable par rapport aux créanciers qui se voient affecter une quote-part souvent dérisoire du prix de cession.

Par ailleurs, dans un arrêt plus récent219, la Cour de cassation a estimé que l'administrateur a l'obligation d'affecter les fonds provenant de la revente des biens vendus sous clause de réserve de propriété au règlement de la créance du vendeur dès l'issue de la revendication. De cette manière, plus qu’une créance éligible au traitement préférentiel, le réservataire bénéficie d’un paiement exclusif sur les sommes provenant de la revente du bien. Cette solution pourrait également s’a ppliquer dans l’hypothèse d’une cession puisqu’elle est aussi un mode de réalisation.

160. En somme, dans l'hypothèse d'une cession de marchandises faisant l'objet d'une clause de

réserve de propriété, le créancier réservataire bénéficie d'un régime dérogatoire assez favorable, car il échappe à l'éventualité d'une réduction de l'assiette de sa sûreté.

Qu'en est-il du bénéficiaire de la fiducie-sûreté ?

b- La situation du bénéficiaire de la fiducie-sûreté face au plan de cession

161. Le contrat de fiducie repose sur le transfert des actifs fiduciaires dans un patrimoine

fiduciaire. Les biens sortent de leur patrimoine d'origine pour intégrer un nouveau patrimoine. Cette opération juridique a des conséquences sur le constituant puisque ce dernier n'a plus la main mise sur les actifs fiduciaires. Les biens ne lui appartenant plus ; ils échappent, par principe, à la procédure collective de ce dernier. Logiquement, ces actifs ne peuvent plus être appréhendés pour les besoins de la procédure. Cette solution devrait être valable même si les biens font l'objet d'une convention de mise à disposition, en vertu de laquelle le débiteur conserve l'usage et la jouissance des biens transférés dans un patrimoine fiduciaire. En effet, peu important qu'il en conserve ou non la possession, le constituant n'est plus le propriétaire des actifs fiduciaires. Il ne peut donc, en principe, les inclure dans un plan de cession220. Ainsi, faute d'appartenir au débiteur, les actifs fiduciaires ne sauraient être appréhendés dans le périmètre d'un plan de cession.

Comme l'a souligné un auteur221, l'efficacité de la fiducie face au plan de cession place le bénéficiaire dans une situation d'exclusivité éminemment sécurisante, car il se trouve à l'abri de tout

218

F. PÉROCHON, obs. sous Cass. com., 9 juin 1992, n° 90-16.804, arrêt préc., D. 1993, p. 296. 219

Cass. com., 4 janvier 2000, n° 96-18.638, Bull. civ. IV, n° 5; D. 2000, p. 56; JCP E, 2000, 298, n° 8, obs. M. CABRILLAC.

220

CA Paris, 4 novembre 2010; JurisData, n° 2010-025412; JCP G, 2011, 71, n°4, comm. M. RUIZ; Rev. Proc. Coll. mars 2011/2, p.54, note J.-J. FRAIMOUT.

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concours avec d'autres créanciers sur les actifs en cause, et le prémunit par principe contre une opération de restructuration attentatoire à ses intérêts.

162. Par ailleurs, l'article L. 642-7, alinéa 5, du Code de commerce exclut la possibilité

d'intégrer une convention de mise à disposition dans un plan de cession, sauf accord des bénéficiaires du contrat de fiducie. Tout comme les actifs fiduciaires, la convention de mise à disposition ne peut être judiciairement cédée, quand bien même elle serait nécessaire à la poursuite de l'activité.

163. Finalement, à l’instar du créancier rétenteur, les créanciers bénéficiaires de

propriétés-sûretés échappent à la règle de l'affectation d'une quote-part du prix de cession. Ils bénéficient également d'un régime dérogatoire qui leur permet d'obtenir un paiement prioritaire de leur créance. Si le bénéfice d’un traitement de faveur au profit des créanciers munis de sûretés réelles exclusives est admis en doit français, qu'en est-il en droit OHADA ?

B- Quel traitement pour les créanciers munis de sûretés réelles exclusives en

droit OHADA ?

164. En droit OHADA, il n'existe aucune solution législative ou jurisprudentielle permettant

d'établir le sort réservé aux créanciers munis de sûretés réelles exclusives dans l'hypothèse d'une cession globale d'actif. Il est donc difficile d'affirmer que, comme en droit français, les créanciers africains titulaires de sûretés réelles exclusives bénéficient d'un traitement de faveur, en cas de cession globale d'actif.

Cependant, nous pensons que le législateur africain s’inscrit, en consacrant ces garanties comme de véritables sûretés (article 50 du nouvel AUS), dans la logique du droit français puisqu'il accorde aux bénéficiaires de ces sûretés des droits efficaces (droit de propriété et droit de rétention), qui sont par nature incompatibles avec le mécanisme d'affectation d'une quote-part.

De la sorte, si la jurisprudence africaine avait, en cas de cession d’un bien grevé d’une sûreté réelle exclusive, à se prononcer sur la question du bénéfice au profit des créanciers exclusifs d'un traitement de faveur, on pourrait penser à une transposition des solutions prévues en droit français. Pour l'heure, la question ne s'étant jamais posée en jurisprudence et la loi n'ayant pas comblé ce vide juridique, le débat reste ouvert. Là encore, nous exprimons notre déception par rapport à la réforme de l'AUPC récemment intervenue, puisque le législateur communautaire africain a encore brillé par son mutisme sur ce sujet.

165. En définitive, qu'il s'agisse du droit français ou du droit OHADA, l'absence d'affectation

d'une quote-part du prix de cession, pour l’exercice de droits exclusifs, place les sûretés réelles exclusives à l'abri d'une éventuelle réduction de leur l'assiette. En outre, même si le bien affecté en

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garantie fait l'objet d'une cession, les créanciers munis de ces sûretés devraient bénéficier d'un régime dérogatoire favorable.

Conclusion du chapitre

166. La mise en œuvre de la règle de l'affectation d'une quote-part du prix de cession ne

permet pas de réduire l'assiette des sûretés réelles exclusives. Plusieurs fondements justifient en effet cette situation. L'analyse du sort des sûretés réelles exclusives au regard de la règle de l'affectation d'une quote-part permet ainsi d’affirmer que l'ouverture d'une procédure collective n'a aucune incidence sur l'étendue de l’assiette de ces sûretés.

Toutefois, la préservation de l’assiette des sûretés réelles exclusives se vérifie encore au regard de la règle de la substitution de garantie, laquelle permet de changer l’identité de l’assiette des sûretés.

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CHAPITRE 2/ LA PROTECTION DES SÛRETÉS

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