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Les modalités de paiement du créancier rétenteur en droit OH ADA

Paragraphe 2/ Le paiement du créancier rétenteur dans les procédures de liquidation des deux législations

A- Le paiement en espèces du créancier rétenteur

2- Les modalités de paiement du créancier rétenteur en droit OH ADA

440. Le législateur OHADA n'a pas posé de manière explicite un principe interdisant le

paiement des créances antérieures dans la liquidation des biens. Cependant, dans les dispositions qui régissent cette procédure, on retrouve un texte dont l'interprétation a contrario pourrait conduire à l'admission d'un tel principe. Aux termes des dispositions de l'article 149, alinéa 1er de l'AUPC,

« Le syndic, autorisé par le juge-commissaire peut, en remboursant la dette, retirer au profit de la masse, le gage, le nantissement ou le droit de rétention conventionnel constitué sur un bien du débiteur ».

À notre avis, le remboursement de la dette n'est rien d'autre que le paiement individuel d'un créancier. Le syndic qui souhaite procéder au paiement d'un créancier doit au préalable obtenir l'autorisation du juge-commissaire. Or, soumettre ainsi le paiement d'un créancier à l'autorisation du juge-commissaire laisse penser qu'il s'agit bien d'une mission exceptionnelle qui dépasse l'étendue

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des pouvoirs conférés au syndic633. Sur la base de ce texte, on peut donc supposer qu'à l'image du droit français, le législateur communautaire africain a entendu limiter la perte des actifs du débiteur, de sorte que le paiement individuel des créanciers antérieurs n'intervienne qu'à titre exceptionnel.

441. Par ailleurs, plus que l'admission d'un principe interdisant le paiement des créances

antérieures, ce texte renvoie surtout à l'idée du retrait contre paiement tel que conçu en droit français. Il autorise en effet le syndic à retirer un bien gagé, nanti ou retenu en contrepartie du remboursement de la dette du créancier.

Il convient ainsi d'analyser la portée de ce texte en étudiant, d'une part, son domaine d’application (a) et, d’autre part, les conditions du remboursement de la dette (b).

a- Le domaine d'application du texte

442. Ce qui nous intéresse dans ce texte, c’est notamment son application au droit de

rétention. Ainsi, pour commencer, il nous faut préciser que l’article 149, alinéa 1er, a fait l’objet d’une modification lors de la réforme de l’AUPC. En effet, si le texte vise aujourd’hui les biens gagés, nantis ou retenus, il ne s’appliquait, dans sa rédaction antérieure, qu’au gage et au nantissement. Il ne faisait en revanche aucune mention au droit de rétention. Cette situation avait amené la doctrine à s’interroger sur l’application de ce texte au rétenteur autonome.

En faveur de son extension au rétenteur, un auteur634 avait considéré que le texte devait s'appliquer au simple créancier rétenteur dont la garantie primaire a été élevée, par le législateur communautaire africain, au rang de sûreté à part entière, assimilable au gage.

Une solution contraire était difficilement envisageable. Le droit de rétention ayant longtemps été assimilé au gage, le créancier rétenteur bénéficiait des mêmes prérogatives que le créancier gagiste. C’est donc logiquement que le texte devait s'appliquer au droit de rétention autonome. Par ailleurs, avec la réforme de l’AUS, le législateur avait, en supprimant l’assimilation du droit de rétention au gage, reconnu au rétenteur la faculté de retenir le bien du débiteur jusqu’au complet paiement de créance635. Transposé au droit des procédures collectives, rien ne saurait justifier un dessaisissement du créancier au mépris de son droit de rétention.

Avec la réforme, les choses changent. L’article 149, alinéa 1er, de l’AUPC ajoute le droit de rétention conventionnel à l’énumération des sûretés pour lesquelles le syndic peut être autorisé par le juge-commissaire à payer une créance antérieure pour retirer le bien concerné. Le créancier rétenteur peut désormais se prévaloir de la technique du retrait contre paiement.

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Art. 147, al.1er de l'AUPC, le syndic poursuit seul la vente des marchandises et meubles du débiteur, le recouvrement des créances et le règlement des dettes de celui-ci.

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J.-C, JAMES, « Le droit de rétention en droit uniforme africain », Afrique juridique et politique, La revue du

CERDIP, vol. 1, n° 2, juillet- décembre 2002, p. 3. 635

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Nous nous réjouissons de ce que le législateur ait, par cette innovation, pris en compte la réforme de l’AUS. Un bémol existe cependant car il a limité l’application du texte au seul droit de rétention conventionnel. Limitation qui nous est difficilement explicable car, en pratique, elle risquerait de créer des complications dont on aurait pu se passer si le législateur avait seulement cité le droit de rétention sans aucune distinction. L’avenir nous en dira certainement plus.

Dans tous les cas, cette disposition qui s’applique désormais au droit de rétention conventionnel devrait permettre au créancier rétenteur d’obtenir le paiement individuel de sa créance, dès lors que le bien retenu présente un intérêt pour la masse. De cette manière, le créancier va pouvoir échapper à la loi du concours et bénéficier d’un paiement exclusif, indépendamment des dispositions des articles 166 et 167 de l'AUPC. Le retrait contre paiement permet en outre d'éviter la paralysie qui pourrait découler de la rétention du bien par un créancier.

443. Le texte s’applique par ailleurs au gage et au nantissement. Son application au gage nous

semble tout à fait logique puisque le gage, du moins avec dépossession, est assorti d’un droit de rétention réel. Le créancier exerce donc une emprise matérielle sur le bien. En revanche, l’application de ce texte au nantissement nous paraît surprenante. Les bénéficiaires d'un nantissement n'ont en effet aucune emprise matérielle sur le bien grevé. De plus, la grande majorité des créanciers nantis ne sont pas assortis d’un droit de rétention, à l'exception du créancier nanti sur un compte de titres financiers636. Quoi qu’il en soit, c’est la solution admise par le législateur.

444. L’examen du domaine de l’article 149, alinéa 1er, de l’AUPC étant déterminé, il convient à présent d’étudier les conditions du remboursement de la dette du créancier.

b- Les conditions du remboursement de la dette

À l'analyse des dispositions de l'article 149, alinéa 1er, de l'AUPC, deux conditions se dégagent ; d’une part, l'autorisation du juge-commissaire et, d’autre part, le retrait effectué au profit de la masse.

b-1) L'autorisation du juge-commissaire

445. Comme en droit français, le paiement des créanciers est subordonné à l'autorisation du

juge-commissaire. La demande en remboursement de la dette est introduite sur requête par le syndic qui joue ici le rôle du liquidateur. Le juge-commissaire qui estime que la demande est justifiée, autorise alors le syndic à payer le créancier pour retirer le bien concerné. Le texte ne précise pas le délai dans lequel la demande doit être présentée.

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191 b-2) Un retrait au profit de la masse

446. Pour autoriser le syndic à payer un créancier, le juge-commissaire apprécie l'opportunité

du retrait. Celui-ci doit s'effectuer au profit de la masse. Que faut-il entendre par la masse ?

L’alinéa 1er de l’article 72 de l’AUPC dispose que « la décision d’ouverture de la procédure de

redressement judiciaire ou de liquidation des biens constitue les créanciers en une masse représentée par le syndic qui, seul, agit en son nom et dans l’intérêt collectif et peut l’engager ».

La masse est donc constituée par les créanciers du débiteur. L’alinéa 3 de l’article précité précise que « La masse est constituée par tous les créanciers dont la créance est antérieure à la décision

d'ouverture, même si l'exigibilité de cette créance était fixée à une date postérieure à cette décision à condition que cette créance ne soit pas inopposable en vertu des articles 68 et 69 ci-dessus ».

Les créanciers formant la masse sont donc ceux dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture et qui devront accomplir toutes les formalités résultant de l’ouverture d’une procédure collective.

En droit OHADA, la masse est le critère de distinction entre les créanciers637. Il y a d’une part les créanciers antérieurs au jugement d’ouverture qui sont les créanciers formant la masse ou créanciers dans la masse. En principe, les créanciers subissent toutes les règles de la discipline collective. Aux créanciers dans la masse on oppose les créanciers contre la masse ou créanciers de la masse. Il s’agit des créanciers postérieurs soumis à un régime plus favorable. Une troisième catégorie est composée des créanciers hors de la masse. Il s’agit des créanciers antérieurs mais dont la créance n’est pas régulièrement constituée.

Quoi qu’il en soit, il est admis que la masse des créanciers est une personne morale dotée d’un patrimoine propre638. Ce patrimoine est constitué par les biens du débiteur.

447. Pour revenir au paiement du débiteur, le retrait doit être fait au profit de la masse ;

c’est-à-dire au profit des créanciers antérieurs réguliers. À l’instar du droit français, le texte ne prévoit pas que le retrait doit être justifié par la poursuite de l'activité. Cette solution est logique, puisque l’ouverture d’une procédure de liquidation suppose que l’entreprise n’a pu être redressée entre les mains du débiteur. Le retrait peut donc être justifié par plusieurs raisons, par exemple pour inclure le bien dans une cession d'actifs ou encore pour favoriser les opérations de liquidation.

Mais, dans tous les cas, le retrait doit profiter à la masse. Pour cela, le juge-commissaire doit s'assurer que le montant de la dette du créancier est inférieur à la valeur du bien à retirer, de sorte que la vente dudit bien permette un meilleur désintéressement des créanciers formant la masse.

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C’était également le cas en France sous l’empire des législations antérieures à 1985. 638

H. SALEY SIDIBÉ, Le sort des créances postérieures en droit français et en droit de l’Organisation pour

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Le retrait doit en effet présenter un réel intérêt pour les créanciers de la masse. Nous pensons que la seule justification au retrait réside dans la différence entre la valeur du bien et le montant de la dette. En cas de différence considérable, le juge-commissaire a tout intérêt à donner son approbation. Dans le cas contraire, il devrait refuser l'autorisation au syndic.

448. Au demeurant, l’alinéa 2 de l’article 149 précise que « Si, dans le délai de trois mois suivant la décision de liquidation des biens, le syndic n'a pas retiré le gage ou le nantissement ou entrepris la procédure de réalisation du gage ou du nantissement, le créancier gagiste ou nanti peut exercer ou reprendre son droit de poursuite individuelle à charge d'en rendre compte au syndic ».

Ce texte amène à formuler quelques observations.

D’abord, il en résulte que le législateur autorise la vente de biens gagés ou nantis au cours de la procédure de liquidation. En revanche, il n’est nullement fait mention du droit de rétention. Cela peut laisser supposer qu’il est impossible de vendre un bien retenu au cours de ladite procédure. Ensuite, à la différence du législateur français, le législateur OHADA n’envisage pas la possibilité d’un report du droit de rétention sur le prix en cas de vente d’un bien gagé.

449. Ce vide juridique est susceptible de paralyser le déroulement des opérations de liquidation. En effet, le bien retenu ne pouvant être vendu, que faut-il décider lorsque le syndic ne dispose pas de fonds suffisants pour retirer le bien en contrepartie du paiement du créancier rétenteur ?

Pour pallier au silence de l’AUPC, on pourrait éventuellement faire application des dispositions de l’article 70 de l’AUS qui, d’une part, autorise la vente de bien retenu à certaines conditions et, d’autre part, prévoit que dans ce cas le droit de rétention se reporte sur le prix de vente qui doit être consigné. Ainsi, même si le texte n’envisage la possibilité de vendre un bien retenu que lorsque l’état ou la nature périssable dudit bien le justifie, ou encore si les frais occasionnés par sa garde son hors de proportion avec sa valeur, on pourrait décider que, dans le cadre de la liquidation des biens la vente du bien retenu est possible lorsqu’il s’agit d’éviter la paralysie de la procédure. De cette manière, il y a respect des différents intérêts en présence. En effet, on évite le blocage des opérations de liquidation et on préserve les droits du créancier rétenteur.

En tout état de cause, malgré la réforme de l’AUPC, le législateur OHADA ne s’est pas aligné au droit français en posant, dans le cadre de la liquidation des biens, l'application du principe du report du droit de rétention sur le prix. Il ne reste plus qu’à espérer que la jurisprudence se prononce sur la question. Comme l’indique un auteur639, « Elle peut soit confirmer une fragilisation évidente de la situation du créancier rétenteur, soit alors s'incliner devant sa supériorité naturelle découlant de l'emprise matérielle qu'il exerce sur le bien, et qui devrait conduire le syndic à le désintéresser en

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J.-C. JAMES, « Liquidation des biens dans le droit OHADA des procédures collectives », in Encyclopédie du droit

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priorité s'il souhaite réaliser sa sûreté au profit de la masse des créanciers ». En l'état actuel du droit commun, nous pensons que si les juges avaient à se prononcer sur cette question, ils pencheraient en faveur de la reconnaissance de la supériorité du droit de rétention.

450. Enfin, l’alinéa 2 de l’article 149 de l’AUPC prévoit que si dans un délai de trois mois à

compter de la liquidation des biens, le syndic n'a pas retiré le bien gagé ou nanti ou procédé à sa réalisation, les créanciers gagistes ou nantis peuvent reprendre leur droit de poursuite individuelle à charge d'en rendre compte au syndic. Si, pour les créanciers nantis et gagistes dépourvus d’un droit de rétention, ce texte peut avoir un intérêt dans la mesure où ils vont pouvoir faire jouer leur droit de préférence sur le prix de réalisation du bien, pour les créanciers gagistes avec dépossession, l’intérêt de ce texte est beaucoup moindre. En effet, s’ils peuvent, eux aussi, se prévaloir d’un droit de préférence sur le prix de vente, la réalisation du bien gagé s'apparente néanmoins à un dessaisissement volontaire et, donc, à une perte de leur droit de rétention. De cette manière, ils renoncent à leur statut de créanciers exclusifs et s’exposent au paiement préférentiel.

451. Nous venons de voir les moyens par lesquels le créancier rétenteur peut obtenir le

paiement en espèces de sa créance, et cela, en dépit de l'interdiction législative de payer les créances antérieures au jugement d'ouverture. Le désintéressement du créancier se fait donc, qu’il s’agisse du retrait contre paiement ou du report du droit de rétention sur le prix, par le versement d’une somme d’argent correspondant au montant de sa créance.

Il existe toutefois un autre moyen permettant au rétenteur d'échapper à l'interdiction législative. Le créancier peut, en effet, introduire auprès d'un juge-commissaire une demande en attribution du bien. En cas d’accord, l'attribution judiciaire s'analyse alors comme un paiement en nature, puisque le créancier sera payé à hauteur de la valeur du bien.

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