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Une dissociation au service de la valorisation économique

Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

A- Une dissociation au service de la valorisation économique

L’autonomie actuelle que l’affectation prend par rapport au droit de propriété révèle l’existence d’enjeux cachés qui sont, notamment, d’ordre financier. Paradoxalement, la vision propriétariste du domaine public qui semble dominer depuis l’adoption du CGPPP laisse pourtant subsister des contraintes importantes dans la gestion du domaine public. Certes, il faudra démontrer en deuxième partie quels sont les obstacles qui pourraient être levés si le critère organique de la propriété publique n’était pas systématiquement exigé.

Il est incontestable qu’aujourd’hui le CGPPP apporte des modifications tendant à la simplification de la gestion du domaine public. Il faudra s’attarder sur ces éléments qui favorisent la gestion de leurs biens par les personnes publiques et même entre les personnes publiques et les personnes privées436. Mais cet état du droit est encore insatisfaisant car il empêche des démarches qui pourraient permettre aux personnes publiques de gérer leur domaine plus facilement sans pour autant remettre en cause l’affectation des biens à l’utilité publique.

Longtemps la gestion du domaine public a été perçue comme une mission de police administrative. La protection accordée à ce domaine ainsi que les sanctions prononcées pour

436Voir sur ces points nos développements dans la partie II.

sa protection n’étaient que des manifestations du pouvoir de police administrative.

L’expression « pouvoir » de gestion renvoyant systématiquement au domaine privé des personnes publiques. Aucun acte de gestion ne pouvait avoir lieu sur le domaine public car il était affecté. Par conséquent, seuls des pouvoirs de police pouvaient s’exercer sur ce dernier pour assurer la sécurité des usagers du domaine public.

Désormais, l’activité de gestion du domaine public se différencie de l’activité de police administrative, laissant la liberté à la première activité.

Mais, la surprotection du domaine public entraînée par l’extension du régime de la domanialité publique, les théories jurisprudentielles de l’accessoire ou de la domanialité publique virtuelle ont découragé les investisseurs potentiels de s’engager sur le domaine public. Les agents économiques qui souhaitaient implanter leurs activités sur le domaine public portuaire ou aéroportuaire se sont retrouvés dans des situations très précaires. Cela les a incités à réduire leurs investissements sur le domaine public. Le législateur est venu au secours de cette situation néfaste pour la vie économique. On a progressivement pris conscience de l’enjeu économique que représente le domaine public. Dès lors, ont été mises en place des facilités destinées à permettre l’installation d’entreprises afin que les personnes publiques puissent rentabiliser leurs patrimoines.

On revient aujourd’hui à la conception du domaine royal qui permettait au roi d’utiliser le domaine comme une source unique de revenus. A l’heure actuelle, la comparaison serait vaine mais il est vrai que les personnes publiques ont pris conscience de l’importance de leur patrimoine, de la richesse de leurs biens (et également de leurs meubles même si la question des biens meubles n’est pas en l’occurrence la question la plus préoccupante).

La volonté d’exploiter la richesse économique du patrimoine public s’est traduite en jurisprudence par la tolérance de la constitution de droits réels sur le domaine public. L’octroi de tels droits sur le domaine public de l’Etat et sur celui des collectivités territoriales a permis d’attirer des investisseurs sur le domaine public. Il faudra voir, au cours de la deuxième partie, en quoi le CGPPP a apporté des moyens permettant de faciliter cette valorisation.

L’octroi de droits réels est l’une des techniques permettant la mise en valeur du domaine public des personnes publiques, va révéler que le législateur, en accordant de telles dérogations, continue d’avoir à l’esprit la protection de l’affectation des biens. En effet, si l’on se réfère aux deux principes de la domanialité publique, on remarque que ceux-ci prohibent

cette pratique des droits réels. L’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du domaine public interdisent, en effet, toutes formes d’appropriation du domaine public437. Toutes les activités industrielles, commerciales ou de nature privée étant paralysées sur le domaine public, le législateur est intervenu pour apporter des dérogations à l’interdiction de la constitution de droits réels sur le domaine public.438 Ces dérogations ont été possibles car le principe d’inaliénabilité n’a jamais reçu valeur constitutionnelle. Le Conseil Constitutionnel n’ayant jamais élevé ce principe au rang de principe constitutionnel a participé à l’émancipation des personnes privées souhaitant s’installer sur le domaine public, l’important étant, pour lui, d’assurer le respect des services publics et de leurs continuités.439

Les garanties offertes à ces personnes privées voulant exercer une activité privée sur le domaine public n’étaient pas suffisantes, d’autant plus qu’elles pouvaient perdre à tout moment leurs autorisations d’occuper le domaine public. Nous pouvons rappeler en effet, que pour être autorisé à occuper le domaine public et surtout à l’utiliser de manière privative, il faut être non seulement autorisé par la personne publique propriétaire du domaine public en question mais aussi payer une redevance tout en sachant que cette autorisation sera précaire et révocable à tout moment pour un motif d’intérêt général.

En ce qui concerne l’autorisation, la redevance et les autorisations accordées aux occupants privés, l’adoption du CGPPP n’a rien changé.440

Si d’autres dérogations législatives ont été apportées au principe de l’interdiction de la constitution de droits réels sur le domaine public, il n’en demeure pas moins que ces autorisations sont toujours contraintes par le respect de cette affectation. En effet, les

437CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, Rec. Conseil d’Etat, p. 141; AJDA,1985, p. 620, note de E. Fatôme.

438Loi du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation, n°88-13, JO du 6 janvier 1988, p. 208.

et loi du 25 juillet 1994 complétant le code du domaine de l'Etat et relative à la constitution de droits réels sur le domaine public, n°94-631, JO du 26 juillet 1994, p. 10749.

439G. Gondouin, note sous CC, 21 juillet 1994, n°94-346 DC,AJDA, 20 novembre 1994, p. 786.

440L’article L. 2122-1 du CGPPP énonce : « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous. »

L’article L. 2122-2 du même Code énonce : « L’autorisation ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire. »

L’article L. 2122-3 du même Code énonce: « L’autorisation mentionnée à l’article L. 2122-1 présente un caractère précaire et révocable. »

L’article L. 2125-1 du même Code énonce : « Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L1 donne lieu au paiement d’une redevance sauf lorsque l’occupation ou l’utilisation concerne l’installation par l’Etat des équipements visant à améliorer la sécurité routière. »

occupations délivrées dans un souci de valorisation des dépendances domaniales doivent être conformes ou au moins compatibles avec l’affectation de celles-ci.441

L’idée que l’affectation puisse être indépendante et autonome de la propriété publique est encore une fois prouvée. Le fait que des personnes privées, particuliers ou entreprises privées, investissent et pratiquent leurs activités sur le domaine public montrent bien que la question de la possession privée d’une parcelle n’a pas de conséquence directe sur l’affectation du bien à l’utilité publique. Le législateur, à chaque fois qu’il a apporté des dérogations législatives permettant une meilleure gestion du domaine public, a eu pour principe de protéger l’affectation des dépendances domaniales. Celles-ci sont protégées car les droits réels seront toujours interdits et les autorisations refusées aux personnes privées si l’utilisation privative est non conforme ou incompatible avec l’affectation de la dépendance en question.

La valorisation du domaine public a dû entraîner une conciliation entre plusieurs principes à savoir le souci de protéger l’affectation des dépendances domaniales et celui de pallier l’insécurité des occupants privatifs du domaine public.

Cette conciliation doit permettre d’aller plus loin dans la recherche de la sécurité envers les occupants. Ainsi, certains auteurs, comme par exemple M. Querrien, propose d’accorder davantage de droits à ces occupants privatifs tout en continuant à exiger que les gestionnaires de ces dépendances demeurent vigilants sur la destination de ces dernières442. L’un n’empêche pas l’autre. Pourtant, le recentrage s’opère sur cette notion d’affectation qui est mise en avant et qui ne doit, en aucun cas, être menacée par des intérêts privés.

Le fait d’attirer des investisseurs privés sur le domaine public n’implique pas la mort de la destination de la dépendance publique. Au contraire, l’effet inverse se produit car le législateur et les personnes publiques se recentrent sur l’essentiel, à savoir l’affectation des biens.

Encore une fois, ce mouvement de valorisation du domaine public qui a pris de l’ampleur et ne cesse de se développer tend à montrer que l’important est de préserver l’affectation. Cette notion commande ce que législateur peut et ne peut pas faire.

441L’article L. 2121-1 du même Code énonce : « Les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l’utilité publique. Aucun droit d’aucune ne peut être consenti s’il fait obstacle au respect de cette affectation. »

442 M. Querrien, « intervention au Club des opérateurs fonciers », réuni à Brest le 30 novembre 1993, Etudes foncières, n°62, mars 1994, p. 13.

Cette valorisation du domaine public va aussi se traduire, en pratique par une volonté de faciliter le transfert de propriété ou de gestion entre les personnes publiques. La valorisation passe aussi par l’amélioration de la circulation des biens. Cependant, qui dit circulation des biens améliorée ne signifie pas pour autant négation de la destination du bien. Bien au contraire, c’est dans le respect de cette affectation du bien à l’utilité publique que les choses vont s’opérer.

B-Des transferts de gestion aujourd’hui plus