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Le recul récent du critère organique en droit public des biens et au sein du domaine public

Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

B- Le recul récent du critère organique en droit public des biens et au sein du domaine public

Cette idée du recul déjà croissant du critère organique sur le domaine public a déjà été observé dans les développements précédents. En effet, le critère matériel à savoir l’affectation du bien à l’utilité publique, est mis en avant, tant par la jurisprudence et la doctrine. Le législateur joue également un grand rôle, orienté par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Un regain d’intérêt pour les biens affectés et plus généralement pour le domaine public se ressent dans l’activité législative et la jurisprudence constitutionnelle.

Nous avons constaté qu’après sa mise en avant dans la définition du domaine public, le critère de l’affectation était devenu incontournable pour la définition du domaine public. De plus, l’affectation est aujourd’hui reconnue comme un critère autonome du critère organique à savoir la propriété publique.

Certes, il n’y a pas de disparition radicale du critère organique car un bien doit toujours appartenir à une personne publique pour être intégré au domaine public. Le CGPPP opte toujours pour une vision propriétariste du droit des biens administratif. Cependant, il semble que le critère matériel, pour le domaine public, prenne de l’importance. Il préoccupe davantage le législateur et le juge constitutionnel. Préserver la propriété publique à tout prix semble moins important aux yeux du législateur et même du Conseil constitutionnel que de préserver l’affectation du bien au service public.

Le législateur, les collectivités territoriales et les établissements publics se débarrassent d’un certain nombre de biens immeubles. Ces biens, une fois déclassés, vont rejoindre le patrimoine de personnes privées. Or, certains de ces biens vont continuer d’être affectés à une utilité publique. Le critère matériel qui caractérisait les biens appartenant au domaine public

est donc toujours présent. Or, le Conseil Constitutionnel et le législateur ont mis au point d’autres méthodes tendant à la préservation de cette affectation pour pouvoir toujours avoir un contrôle sur elle, capitale pour le bon fonctionnement des services publics ou de la sécurité comme pour certains biens d’Aéroport de Paris. Ces techniques existent et feront l’objet de nos développements ultérieurs366.

L’avantage de la mise en avant du critère matériel permet alors de s’intéresser à l’activité concernée, au but que cherche à atteindre la personne publique ou privée. Dans le cas de l’affectation des biens, la personne cherche à satisfaire une utilité publique. Par conséquent, peu importe qui cherche à atteindre cet objectif à partir du moment où le respect de cette finalité est exercé. La mise en avant du critère matériel dans la théorie générale du domaine public, sans totalement perdre de vue le critère organique qui joue encore son rôle, permettrait de s’attacher davantage aux missions dont sont investies les personnes ou les autorités sans pour autant alourdir passer systématiquement par la présence d’une personne publique.

Le législateur semble prendre cette direction depuis plus de dix ans. Pourtant, la détermination du domaine public, sa définition et même sa consistance, a d’abord été faite par la pratique, la doctrine et la jurisprudence367. Pendant très longtemps, le législateur a longtemps ignoré la définition du domaine public. On a certes eu quelques textes importants comme des Lois Fondamentales du Royaume, l’Edit de Moulins de 1566. Le Code Civil s’est intéressé partiellement au domaine public368. En 1957, le Code du domaine de l’Etat a partiellement codifié des dispositions concernant le domaine public de L’Etat. L’ensemble ne formait pas un ensemble homogène. Ce Code ne concernait que les dépendances du domaine de l’Etat. Il n’y avait donc rien concernant le patrimoine des collectivités territoriales369 et encore moins s’agissant des établissements publics. De plus, les dispositions de ce code étaient hétérogènes, sans aucune mise à jour des différents textes, concernant le domaine public, les droits réels administratifs par exemple.

C’est majoritairement la jurisprudence, à la fois administrative et judiciaire, qui a contribué à définir le domaine public et son régime juridique. En effet, en l’absence de dispositions législatives, et a fortiori de définition précise de la composition du domaine public, le juge administratif et le juge judiciaire ont dû régler les litiges opposants des particuliers à des

366 Voir dans la partie II les développements sur ces contrôles mis en place par le législateur et le Conseil Constitutionnel.

367Voir sur ce sujet les développements qui précèdent.

368Voir les articles 538 à 541 du Code Civil.

369Quelques dispositions dans le Code Général des Collectivités Territoriales.

problèmes de propriété avec les personnes publiques. Le juge a dû se substituer au législateur en l’absence de dispositions claires. Il a ainsi établi les critères permettant de reconnaître à partir de quand un bien entre dans le domaine public et construit la définition des biens immobiliers et mêmes mobiliers faisant partie du domaine public. Le législateur n’est intervenu dans ce domaine que de manières très épars.

L’intérêt du législateur pour cette question n’est finalement pas très ancien et elle est due à une large partie de la doctrine qui a dénoncé la « politique jurisprudentielle » établie jusque là à savoir un domaine public beaucoup trop étendu370. En doctrine germait l’idée d’une réforme de ce domaine public. Beaucoup de propositions ont été faites371mais il a fallu attendre 2006, pour que le CGPPP se préoccupe sérieusement du patrimoine des personnes publiques.

Ce mouvement de détachement du législateur vis-à-vis du patrimoine de l’Etat change depuis un certain nombre d’années. La naissance d’un code a demandé énormément de temps du fait de la réforme à droit non constant. Ce n’est qu’en 2003 que le gouvernement a, par une loi d’habilitation, demandé au législateur d’intervenir dans ce domaine372. Le CGPPP apparaît et le législateur semble se réapproprier la question de la définition et de la consistance du domaine public. Il y a de multiples raisons à ce retour en force du législateur et à ce regain d’intérêt pour les dépendances domaniales. L’aspect purement financier est à prendre en considération lancé par la réforme de l’Etat et la valorisation du patrimoine des personnes publiques. Le législateur veut se séparer d’un certain nombre de biens devenus trop coûteux dans le budget de l’Etat373. D’autres motivations comme la réduction de consistance du domaine public mais aussi le souci d’une simplification de la gestion des biens publics, ont contribué à l’élaboration du CGPPP qui certes, présente un aspect propriétariste des dépendances domaniales, mais qui se concentre énormément sur l’affectation du bien. La présence effective de cette affectation dans le Code est due en partie à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, qui depuis le début de ce mouvement législatif, ne cesse de répéter l’importance de la protection des missions de service public et donc de l’affectation du bien

370 Voir sur ce point les développements précédents concernant le phénomène de l’hypertrophie du domaine public.

371Voir notamment sur la question : Y. Gaudemet et L. Deruy, « Les travaux de la législation privée. Le rapport de l’Institut de la gestion déléguée », LPA, n°147, 23 juillet 2004, p. 9 ; M-A. Latournerie , « Pour un nouveau concept du domaine public », CJEG, n°617, février 2005, p. 47 ; J. Morand-Deviller, « La crise du domaine public ; à la recherche d’une institution perdue », Le Droit administratif, permanences et convergences, Mélanges en l’honneur de J-F. Lachaume, Dalloz, 2007, p. 737 et s ; M. Querrien, « La nouvelle gestion du domaine public immobilier de l’Etat », RFAP, n°76, octobre-décembre 1995, p. 675.

372Voir pour de plus amples détails sur cette loi, les développements au sein de la Partie II.

373Voir les développements concernant la valorisation des dépendances domaniales dans le titre II de la partie II.

plutôt que de la propriété publique. C’est la continuité du service public qui est directement en jeu pour le Conseil Constitutionnel. 374

Il apparaît dans le CGPPP que le critère de l’affectation est mis en avant de façon évidente.

C’est une notion clef du code, guidant majoritairement l’ensemble des dispositions nouvelles.

Il met en avant le critère de l’affectation même s’il a une approche fortement fondée sur la propriété publique, élément toujours capital et primordial pour qu’un bien puisse incorporer le domaine public. On peut se référer aux articles L. 1 et L. 2 du CGPPP et article L. 2111-1 du CGPPP.375 Il n’est aujourd’hui pas possible en France qu’une personne privée soit propriétaire d’un domaine public. C’est une jurisprudence constante que le législateur vient de confirmer et n’a semble-t-il pas l’intention de la modifier.

P. Delvolvé376considère pourtant que le critère de l’affectation reste un critère déterminant au sein du droit administratif des biens. Il montre et, on verra cette problématique en seconde partie, que le régime s’appliquant aux biens affectés est plus important que la propriété. Pour lui, c’est une sorte de « triomphe » de l’affectation même si l’on demeure dans un code qui impose toujours la condition de la propriété publique pour faire partie du domaine public.

C’est là que réside tout le paradoxe. On ne franchit pas un énorme pas avec le CGPPP mais il y a une volonté affichée de tout faire pour mettre en avant l’affectation et sa protection.

374E. Fatôme, note sous CC, 26 juin 2003, n°2003-473 DC, Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, AJDA, 28 juillet 2003, p. 1404 et s : voir les exigences constitutionnelles relatives aux biens affectés dans la Partie II ; E. Fatôme et L. Richer, note sous CC, 26 juin 2003, n°2003-473 DC, Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, RFDC, n°56, octobre 2003, p. 772 et s ; J-E. Schoettl, note sous CC, 26 juin 2003, décision n°2003-473 DC, Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit,AJDA, 28 juillet 2003, p. 1391 et s.

375L’article L. 1 du CGPPP énonce : « Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu'aux établissements publics » et l’article L. 2 énonce: « Le présent code s'applique également aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant aux autres personnes publiques dans les conditions fixées par les textes qui les régissent. »

L’article L. 2111-1 du CGPPP énonce : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. »

376P. Delvolvé, « La nouvelle définition du domaine public. », RFDA, n°5, septembre-octobre 2006, p. 899 et s.

Après ces larges développements, nous pouvons qu’admettre que la notion d’affectation, en tant que critère, est incontournable. Ce constat provient de multiples raisons notamment celles de son importance au sein de la définition du domaine public et du droit administratif des biens en général.

Cette notion d’affectation à l’utilité publique attire notre curiosité. Nous l’avons démontré, elle est une notion finaliste, matérielle et participe à la renaissance du critère matériel en droit administratif général. Ce critère, trop longtemps dominé par le critère organique, a caché ses richesses et son potentiel. En effet, l’affectation du bien à l’utilité publique permet de concentrer tous les efforts sur ce qui est fondamental, particulièrement au sein de la théorie générale du domaine public, à savoir la satisfaction de l’intérêt général et le besoin de répondre aux différents services publics.

Ce retour du critère matériel de l’affectation du bien au sein du domaine public, permet de se recentrer l’essentiel à savoir satisfaire les besoins publics. Cette affectation, libérée en partie du critère organique, permettra ainsi de résoudre des nouveaux défis actuels du domaine public comme la réduction de sa consistance ou sa valorisation.

Cette relative indifférence du propriétaire est intéressante. La mise en avant du critère matériel, la « redécouverte du critère de l’affectation » n’est pas un pur hasard et entre dans un vaste mouvement de changement au sein de l’Etat et plus particulièrement au sein du droit administratif des biens. En doctrine, on s’est beaucoup interrogé et focalisé sur le premier critère d’indentification d’un bien appartenant au domaine public à savoir le critère de la propriété. Après s’être questionné sur son éventualité et sa possibilité pour le patrimoine de personne publique, on s’est aussi arrêté sur la nature juridique de ce droit de propriété sur le domaine public et enfin sur son régime juridique. Ce critère organique occupait tous les esprits. Une confusion importante en doctrine a été faite entre la propriété publique et le régime juridique s’appliquant aux biens publics affectés à savoir la domanialité publique. On a « noyé » la question de l’affectation du bien et de son régime juridique dans la problématique plus vaste de la propriété publique.

Depuis déjà un peu plus de dix ans, la question de l’affectation du bien et de son régime juridique ressort. On tâche aujourd’hui de dissocier les notions de propriété publique et d’affectation. C’est justement ce qu’il faut arriver à comprendre et à démontrer. L’enjeu est

capital car il s’agit de soutenir que si les deux notions sont indépendantes, l’une peut alors exister sans l’autre.

Titre II : La notion d’affectation : un acte volontaire ou involontaire.

Il s’agira ici de mettre en évidence la nature et l’impact de la notion d’affectation. Il faut s’attacher davantage au pouvoir d’affectation, reconnu aux personnes publiques. Après avoir explicité la notion d’affectation, son sens précis et son rôle de critère central dans la définition du domaine public, il faut désormais étudier son rôle dans la gestion du domaine public et son poids face au droit de propriété. En effet, si l’on a vu que la condition de la propriété publique était toujours indispensable pour qu’un bien puisse appartenir au domaine public, il n’en demeure pas moins que le pouvoir d’affectation est fondamental et indépendant de la propriété publique.

Le but ultime de la démonstration est de montrer à quel point l’amalgame entre le droit de propriété et l’affectation a contribué à privilégier la vision propriétariste du domaine public.

En effet, en droit des biens on considère le propriétaire et l’affectataire du domaine comme des personnes indissociables. La propriété des dépendances domaniales est, en conséquence, exigée pour pouvoir affecter une dépendance (chapitre 1), sauf en cas de mutations domaniales (chapitre 2). Pourtant, le but est de prouver ici que cela ne devrait pas être le cas.

Chapitre I : L’affectation : un acte de gestion domaniale volontaire.

Dans la gestion normale et volontaire de leurs domaines publics, les personnes publiques sont non seulement propriétaires de leurs biens mais également libres de décider de leur affectation à l’utilité publique. Le pouvoir d’affectation est généralement rattaché au pouvoir du propriétaire et ils fonctionnent souvent de pair, notamment quand la personne publique en question gère de manière totalement libre son patrimoine. (Section I)

Cependant, il faudra nuancer cette vision trop simpliste de la gestion du domaine public, en prenant en considération que ces deux notions, à savoir la propriété et le pouvoir d’affectation sont distinctes, même lorsqu’il s’agit ici de ne considérer que la gestion volontaire des biens publics. (Section II)

Section I : Le pouvoir d’affectation : un pouvoir rattaché en principe au propriétaire du bien.

A l’image du droit de propriété en droit privé, lorsqu’une personne est propriétaire d’un bien, elle est totalement libre de faire ce qu’elle désire avec ce dernier. Elle dispose de l’usus, de l’abusus et du fructus. En droit administratif, les personnes publiques possèdent également un droit de propriété sur leurs biens, tant sur leur domaine privé que sur leur domaine public. Mais, sur le domaine public leur liberté n’est pas aussi grande que celle des personnes privées. Il est très fréquent que ces personnes propriétaires disposent de l’usus de leur dépendance et du fructus mais elles ne peuvent exercer l’abusus car par principe, le domaine public est régi par la règle d’inaliénabilité des biens appartenant au domaine public.

Par conséquent, leur liberté n’est pas inconditionnelle. (§1)

Cependant, il est fréquent que la personne publique propriétaire du bien sur le domaine public soit également en charge de l’affectation de la dépendance domaniale et qu’elle décide ainsi de sa destination. Très souvent, ces deux prérogatives, de propriété et d’affectation, sont détenues par la même personne, à savoir, le propriétaire du bien en question. (§2)

§1- L’affectation : un attribut de principe de la propriété administrative.

On se trouve ici en présence d’une personne publique, titulaire du droit de propriété et, par conséquent, également titulaire du pouvoir d’affectation sur les biens appartenant à son domaine public et privé. Précisons ici encore qu’il ne s’agit pas pour le moment d’étudier les cas où le pouvoir d’affectation est exercé de façon autoritaire mais dans lesquels il est exercé de façon volontaire. Il ne s’agit pas non plus de revenir sur le problème de la nature du droit exercé par les personnes publiques sur leur domaine public. Le traitement de cette question dans nos précédents développements a montré qu’aujourd’hui les personnes publiques exercent sur leurs domaines, un droit de propriété de la même nature que le droit de propriété privée énoncé dans le Code Civil. (A)

Il s’agit ici de souligner ce qu’implique désormais le droit de propriété pour les personnes publiques, ce qu’il recouvre véritablement ainsi que son rapport avec le pouvoir d’affectation.

(B)

A-Le droit de propriété et le pouvoir d’affectation :