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Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

A- La notion de bien

Le cœur du sujet repose moins sur des personnes que sur des biens. Par le terme d’affectation des biens à l’utilité publique, ce sont des biens avant tout qui sont visés. Ils sont le support de l’affectation et conditionnent l’application d’un régime juridique.

Il convient alors de se demander quels sont les biens concernés. Peut-il s’agir de n’importe quels biens, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels ? A qui appartiennent-ils ? Font-ils tous partie du domaine public ou bien l’affectation peut-elle s’étendre au-delà du domaine public ?

C’est à toutes ces questions qu’il faut répondre afin de mesurer le champ d’application de la notion d’affectation des biens. L’enjeu est de comprendre que la notion de bien est vaste et ne se limite pas aux biens du domaine public bien qu’ils soient les premiers affectés à l’utilité publique.

Au singulier, le bien se définit comme « toute chose matérielle susceptible d’appropriation ».

Au pluriel, la définition est la suivante : « Relativement à toute personne, tous les éléments mobiliers ou immobiliers qui composent son patrimoine, à savoir les choses matérielles (biens corporels) qui lui appartiennent et les droits (autre que la propriété) dont elle est titulaire (biens incorporels). »63

Ces biens, à la fois immobiliers et mobiliers, sont ainsi la propriété de personnes et les droits qui lui sont associés.

Or, si l’on se réfère à la définition du terme domaine, on peut lire la chose suivante, au sens général : « ensemble de droits et de biens » et au sens administratif, « ensemble des biens et droits, immobiliers ou mobiliers, appartenant aux personnes publiques »64Par conséquent, les biens réunis constituent donc un domaine, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers, avec tous les droits associés à ces biens. Cet ensemble de biens qui compose un domaine est indifférent quant à la nature du propriétaire en question. Le critère organique, à savoir la présence d’une personne publique, n’est exigé qu’à partir du moment où on se réfère au domaine au sens administratif, qui se dédouble en domaine privé et domaine public.

63G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, édition, n°9, 2011 : entrée Bien.

64G. Cornu,Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, édition, n°9, 2011 : entrée Domaine.

Ces notions de bien et de domaine doivent être rapprochées de celle de patrimoine. Pour les civilistes, le patrimoine se définit comme : «l’ensemble des biens et des obligations d’une personne envisagé comme formant une universalité de droits, un tout comprenant non seulement ses biens présents mais aussi ses biens à venir »65. Cette notion de patrimoine est bénéfique pour les créanciers qui sont en droit de saisir des éléments du patrimoine de la personne physique ou morale pour se faire rembourser leurs dettes. Toutes les personnes physiques sont dotées d’un patrimoine et les personnes morales peuvent aussi l’être. Mais elles ne peuvent disposer que d’un seul patrimoine car ce dernier est le prolongement de la personnalité juridique. Au sein de ce patrimoine se trouvent alors tous les biens de la personne ainsi que ses créances et ses dettes. Cet ensemble forme un tout indivisible, une universalité.

Aussi, est-il possible de considérer l’ensemble des biens des personnes publiques comme formant un patrimoine ? Si tel était le cas, cette notion pourrait s’appliquer pour les biens des personnes publiques, il semblerait plus aisé de faire fructifier ce patrimoine comme le fait n’importe quelle personne privée. L’application de cette notion aux biens des personnes publiques a cependant posé différents problèmes. En effet, plusieurs obstacles s’y sont opposés. D’une part, l’Etat n’a pas toujours été considéré comme une personne morale de droit public. En effet, il se confondait au Moyen Age avec la personne physique du Roi66. D’autre part, l’Etat n’était pas reconnu comme un propriétaire unique de son domaine. L’idée même de propriété à cette époque n’avait pas de sens. Avec la Révolution française, l’Etat va devenir de plus en plus autonome, la souveraineté étant transférée à la Nation. Puis, l’Etat devient une entité juridique et acquiert la personnalité morale. Cependant, en tant que puissance publique, il n’est pas considéré comme une personne morale de droit privé. Avec l’apparition de la distinction entre le domaine public et le domaine privé, l’Etat ne sera véritablement propriétaire que de son domaine privé uniquement. Sur le domaine public, l’Etat n’était pas considéré comme un propriétaire mais plutôt comme un gardien67. La situation change à partir du début du 20èmesiècle, où l’Etat acquiert le statut de propriétaire à l’égard également des biens du domaine public. Les autres personnes publiques vont également être reconnues comme titulaires d’un droit de propriété, de même nature que celui des personnes privées. Tous les obstacles semblent donc levés pour pourvoir considérer que tous les biens des personnes publiques forment un patrimoine. Cependant, il semble qu’il n’y ait pas un seul patrimoine, comme la définition l’exige, formant une universalité, mais bien

65G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, édition, n°9, 2011 : entrée Patrimoine.

66 Voir pour davantages de précisions sur ce point nos développements dans le chapitre suivant. Voir aussi P. Yolka, Personnalité publique et patrimoine, Paris, Lexisnexis, 2007.

67Voir sur ce point nos développements et nos références doctrinales dans le chapitre suivant.

deux patrimoines, correspondant au domaine public et au domaine privé. De plus, ces deux domaines, nous le verrons dans les développements ultérieurs, sont soumis à des régimes juridiques différents, puisque celui de la domanialité publique s’applique au domaine public.

Ce dernier se structure autour de deux principes, à savoir le principe de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité des biens. En outre, à l’ensemble des biens, qu’ils appartiennent au domaine public ou au domaine privé, s’appliquent les règles de l’insaisissabilité et de l’incessibilité des biens à vil prix68. Or, l’insaisissabilité, selon laquelle les biens des personnes publiques ne peuvent pas être saisis par les créanciers éventuels des personnes publiques, entre en contradiction directe avec la définition du patrimoine. En effet, la notion de patrimoine permet justement aux créanciers de saisir les biens afin d’éponger les dettes de la personne en question. Toute idée de patrimoine semblait donc proscrite s’agissant des personnes publiques. Le juge a cependant surmonté cette difficulté. Même en appliquant le principe de l’insaisissabilité aux biens publics, la reconnaissance de patrimoine est possible.

C’est pourquoi, on décèle dans la jurisprudence du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, une volonté de reconnaître cette notion. Les prémices se font avec la jurisprudence instaurant la théorie des mutations domaniales, où la question posée se place directement dans cette problématique69. C’est le Conseil constitutionnel qui consacre, en 1986, la notion de patrimoine public70. C’est notamment dans cette décision que les juges constitutionnels érigent au rang de principe à valeur constitutionnelle, la prohibition des cessions des biens publics à vil prix, jurisprudence suivie par la Haute juridiction administrative.71

Aujourd’hui, la notion de patrimoine est admise et ancrée en droit positif72. L’ensemble des biens des personnes publiques constitue un patrimoine mais il faut noter une certaine

68Voir sur ces règles nos développements de seconde partie.

69CE, 16 juillet 1909, Ville de Paris et chemin de fer d’Orléans, Rec. Conseil d’Etat, p. 707, concl. G. Teissier ; S.1909, III, p. 97 note M. Hauriou. Voir plus particulièrement sur les mutations domaniales, le chapitre 2, titre II, Partie I. rémunération correspondant à l'investissement est celle indiquée dans les clauses du contrat prévues à l'article L. 1414-12. L'éligibilité au fonds de compensation pour la TVA est subordonnée à l'appartenance du bien au patrimoine de la personne publique ou à la décision de la personne publique d'intégrer le bien dans son patrimoine conformément aux clauses du contrat. A la fin anticipée ou non du contrat, si l'ouvrage, l'équipement ou le bien immatériel n'appartient pas au patrimoine de la personne publique, celle-ci reverse à l'Etat la totalité

spécificité de celui-ci. En effet, il comprend des biens publics, pour la plupart affectés à l’utilité publique, et ces biens sont la propriété de personnes publiques. Ces biens sont par ailleurs de plus en plus diversifiés. N. Foulquier73 explique, notamment, qu’en droit administratif, tout comme dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la notion est large. Il fait référence aux civilistes qui considèrent que « les biens sont les choses dont l’utilité justifie l’appropriation.». Cette définition est intéressante et trouve à s’appliquer aux biens publics. Avant l’apparition du critère de l’affectation des biens à l’utilité publique, en doctrine puis en jurisprudence et aujourd’hui consacrée par le législateur, le critère de référence pour savoir si un bien faisait ou non partie du domaine public ou du domaine de la Couronne, était relatif à sa nature. En effet, s’il pouvait faire l’objet d’une appropriation privative, il n’intégrait pas le domaine public. Si, à l’inverse, une telle appropriation privative n’était pas possible, il devait l’intégrer. Ce n’est qu’au début du 20ème siècle que l’on abandonne ce critère relatif à la nature du bien pour lui préférer celui de l’affectation.74

La référence à la nature du bien en question, à savoir s’il est non susceptible de propriété privée, demeure cependant pour les dépendances du domaine public naturel. En effet le rivage de la mer, les fleuves, la mer territoriale ou certains étangs salés, pour ne citer que quelques exemples de dépendances du domaine public naturel, n’obéissent pas au critère de l’affectation à l’utilité publique. Ce sont des phénomènes naturels, prenant en compte la nature, qui sont à l’origine de leur incorporation au sein du domaine public75. On les protège en raison de leur nature, parce qu’ils ne sont pas susceptibles d’appropriation privative. Ce n’est donc pas sur ce domaine public naturel que se concentre notre démonstration, puisque le critère de l’affectation à l’utilité publique est absent76. Il en de même des biens meubles, aujourd’hui codifiés à l’article L. 2112-1 du CGPPP77, la référence au critère de l’affectation

des attributions reçues. Les attributions du fonds de compensation pour la TVA sont versées selon les modalités prévues à l'article L. 1615-6, au fur et à mesure des versements effectués au titulaire du contrat et déduction faite de la part des subventions spécifiques versées toutes taxes comprises par l'Etat à la personne publique. »

73N. Foulquier, Droit administratif des biens, Lexisnexis, 2011, p. 10 et s.

74Voir sur ce point, nos développements complets dans le chapitre suivant.

75Voir pour le domaine public naturel les articles suivants du CGPPP : L. 2122-4 à L. 2122-5 pour le domaine public naturel maritime et les articles L. 2122-7 à L. 2122-9 pour le domaine public naturel fluvial.

76M. Lagrange, « L’évolution du droit de la domanialité publique », RDP, 1974, p. 11 et s.

77L’article L. 2112-1 du CGPPP énonce: « Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : 1° Un exemplaire identifié de chacun des documents dont le dépôt est prescrit aux fins de constitution d'une mémoire nationale par l'article L. 131-2 du code du patrimoine ; 2° Les archives publiques au sens de l'article L. 211-4 du code du patrimoine ; 3° Les archives issues de fonds privés entrées dans les collections publiques par acquisition à titre onéreux, don, dation ou legs ; 4° Les découvertes de caractère

est absente. Ces biens, les œuvres d’art par exemple, nécessitent une protection en tant que tels, sans qu’aucune décision administrative d’affectation ne soit nécessaire. Nous ne traiterons donc pas non plus de ce type de biens dans le cadre de cette étude.

Il s’agira alors de s’intéresser surtout aux biens immeubles, dépendances du domaine public artificiel, mais pas seulement. Ce sont les biens publics immobiliers en général qui retiendront notre attention. A partir du moment où ce n’est plus la nature mais l’utilité publique du bien en question qui compte, peu importe la qualité du propriétaire. Si finalement, les biens faisant partie du domaine public sont assujettis à des règles de droit public et à la puissance publique, cela ne modifie pas leur nature. Avant d’intégrer le domaine privé ou a fortiori le domaine public, les biens appartenaient à des personnes privées. Par conséquent, si la notion de bien consacre indirectement la qualité de propriétaire, elle ne se préoccupe pas de la nature de cette dernière, à savoir qu’elle soit public ou privé.

Cette démonstration est importante pour la suite. Soulignons, en effet, que la notion de biens affectés transcende la question de la propriété. Si la notion de bien est désormais mieux cernée, il semble indispensable de préciser à quelle utilité publique ces biens sont affectés. Au fond, il faut comprendre ce que recouvre ce terme générique d’utilité publique.