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Un frein en matière d’utilisation privative du domaine public

Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

B- Un frein en matière d’utilisation privative du domaine public

La confusion entre le droit de propriété et le pouvoir d’affectation engendre également des conséquences quant à l’utilisation privative du domaine public. Cette utilisation, à la différence de l’utilisation collective du domaine public, se définit par une occupation, le plus souvent, par une personne privée d’une dépendance du domaine public. Longtemps considérée comme anormale en raison de son aspect contraire à l’affectation à l’utilité publique, l’utilisation privative est de plus en plus courante. Devenue une utilisation normale du domaine public ces dernières années, l’utilisation privative concoure à la valorisation économique du domaine public. C’est par l’octroi de titres d’occupation du domaine public que les personnes publiques ont pu accueillir des personnes privées sur leurs domaines publics.

413C. Maugüé, « La réforme du droit des propriétés publiques et la gestion du patrimoine public », BJCP, n°53, 2007, p. 258.

L’octroi de ces titres, avec constitution de droits réels, n’allait pas sans poser de problèmes414, puisqu’il était prohibé en raison de l’atteinte portée aux principes de la domanialité publique415. La domanialité publique416, en effet, interdit la constitution de droits réels sur le domaine public au nom de l’inaliénabilité du domaine public. Aucune personne privée ne saurait être titulaire d’une parcelle du domaine public. Une autre personne, et a fortiori, une personne privée, ne saurait être reconnue comme titulaire d’un droit de propriété sur le domaine public.

Cette confusion opérée en France entre le propriétaire et l’affectataire a longtemps été un frein à la reconnaissance de droits réels sur le domaine public. Puis, progressivement, cette interdiction va s’estomper d’abord sous l’impulsion de la loi du 5 janvier 1988417qui reconnaît la possibilité aux collectivités territoriales de constituer des droits réels sur le domaine public en concluant des baux emphytéotiques administratifs. Vient s’ajouter la loi du 25 juillet 1994418qui concerne le domaine public de l’Etat. Le principe suivant est posé : toute personne titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, sauf prescription contraire, bénéficie de droits réels sur les ouvrages réalisés pendant la durée de son titre. Avec la réforme de la propriété des personnes publiques en 2006, la tendance s’est inversée. Si, auparavant, l’octroi d’autorisation d’occupation du domaine public avec droits réels demeurait l’exception, le nouveau Code tend à l’ériger en principe. Les personnes privées, qui vont être autorisées à exercer leurs activités sur le domaine public, vont pouvoir s’approprier leurs ouvrages édifiés pour les besoins de leurs activités. Le Code consacre dans ses articles les principes posés par les lois précitées et tend à harmoniser les régimes juridiques des droits réels entre l’Etat et les collectivités territoriales. Ce lissage, que nous reverrons, tend surtout à considérer les titulaires d’autorisations d’occupation du domaine public comme ayant, par principe, un droit réel sur ses installations. Ce dernier peut jouir des prérogatives et obligations du propriétaire.

414Le droit réel se définit ainsi : « Droit qui porte directement sur une chose et procure à son titulaire tout ou partie de l’utilité économique de cette chose. Exemple : la propriété est le droit réel le plus complet. » in G.

Cornu, Vocabulaire Juridique, Association Henri Capitant, PUF, édition n°9, 2011 : entrée droit réel.

415CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, Rec. Conseil d’Etat, p. 141 ; en l’espèce, sont déclarées nulles les clauses interdisant la résiliation d’un contrat, dans le cadre d’une autorisation d’occupation du domaine public, AJDA, 1985, p. 620, note de E. Fatôme.

416La domanialité publique est le régime juridique s’appliquant aux biens du domaine public. Ce régime, sur lequel nous reviendrons dans la Partie II, se compose de deux règles : l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du domaine public.

417Loi du 5 janvier 1988 relative à l’amélioration de la décentralisation, n°88-13, JOdu 6 janvier 1988, p. 208.

418Loi du 25 juillet 1994 complétant le Code du domaine de l’Etat et relative à la constitution de droits réels sur le domaine public, n°94-631, JOdu 26 juillet 1994, p. 10749.

Si ces réformes ont permis une amélioration de la situation, elles n’ont cependant pas reconnu le droit de propriété à des personnes autres que les personnes publiques. Certes, les titulaires de droits réels sur le domaine public agissent « comme des propriétaires », mais E. Pourcel419 différencie clairement les deux types de droit. Il expose que le législateur consacre certes la possibilité que deux droits de propriété coexistent tant que dure l’autorisation d’occupation du domaine public. Cependant, remarque-t-il, « ces deux droits de propriété sont profondément inégaux : -le premier est un droit de propriété plein et entier, absolu sous réserve naturellement des règles régissant la sortie de biens du domaine public (CGPPP, art. L. 2141-1 et S), de la personne publique concernant les biens immobiliers existants, bâtis et non bâtis (…) du domaine public objet de l’autorisation. -Le second est en réalité une forme relative du droit de propriété, quoique plus profonde que l’usufruit tel que défini à l’article 578 du Code Civil, au bénéfice de l’occupant du domaine public concernant certains ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier que l’occupant aura réalisés, puisqu’à l’instar de l’autorisation, cette appropriation sera toujours précaire, conditionnée et limitée. » Cette différence marquée entre les deux sortes de pouvoir prouve, à nouveau, la confusion opérée entre le droit de propriété et le pouvoir d’affectation. Les opposants de la reconnaissance des droits réels sur le domaine public dénoncent une éventuelle possibilité d’aliéner la propriété du bien en question. Or, ceci est faux car ce qui reste inaliénable, c’est l’affectation du bien. Les lois relatives à l’octroi des droits réels ainsi que les articles du CGPPP420précisent que ces titres sont précaires. Aussi, à la fin de l’autorisation, les ouvrages détenus par la personne privée retournent dans le patrimoine de la personne publique, le plus souvent au sein du domaine public. Cela prouve que l’inaliénabilité ne porte pas sur la propriété mais sur l’affectation. Par conséquent, interdire purement et simplement les droits réels sur le domaine public, revient à se tromper de cible. Ce ne sont pas la propriété publique ou le droit de propriété des personnes publiques qui sont menacés. D’une part, l’octroi de droits réels ne confère pas aux titulaires un véritable droit de propriété mais plutôt des obligations et des prérogatives de propriétaires. D’autre part, les droits réels sont tout à fait

419E. Pourcel, « A qui appartiennent les biens immobiliers construits par les titulaires de titre d’occupation sur le domaine public constitutifs de droits réels ? », JCP N, n°24, 15 juin 2007, p. 20.

420 L’article L. 2122-3 du CGPPP énonce : « L’autorisation mentionnée à l’article L. 2122-1 présente un caractère précaire et révocable. »

conciliables avec l’affectation. D’ailleurs, les conditions de leurs délivrances sont soumises au respect de l’affectation421.

L’opération de délivrance d’un droit réel ne procède donc pas à une aliénation totale de la dépendance domaniale, mais seulement à une aliénation patrimoniale. Le bien en question pourra notamment faire l’objet d’une hypothèque. Mais, l’affectation de la dépendance domaniale perdure et « le propriétaire privé » ne peut rien faire contre cela. S’il venait à modifier l’affectation, son autorisation serait résiliée.

Ces explications montrent, encore une fois, l’actualité de la thèse de R. Capitant qui défend l’inaliénabilité de l’affectation et non celle de la propriété. C’est ce que souligne M. Ubaud-Bergeron422à propos des droits réels.

L’autonomie entre le droit de propriété et le pouvoir d’affectation est encore prouvée. Cette dissociation, de plus en plus admise, inconsciemment sans doute, permet alors de réaliser des opérations financières jusque là interdites.

Après avoir souligné les problèmes soulevés par la négation de toute autonomie de l’affectation, il s’agit désormais de s’intéresser aux pistes de réflexion qui permettraient de sortir de cette vision. Peut-on envisager une conception renouvelée des biens publics dans laquelle la notion d’affectation serait indépendante de celle de la propriété ? Il faut prendre en effet le temps de revenir sur ces difficultés pour comprendre qu’il ne s’agit parfois que de problèmes d’interprétation. Or, si le constat de base était différent, les conséquences en droit positif pourraient également changer.

421 L’article L. 2121-1 du CGPPP énonce : « Les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l’utilité publique. Aucun droit de toute nature ne peut être consenti s’il fait obstacle au respect de cette affectation. »

422 M. Ubaud-Bergeron, « Les contradictions du régime du financement privé des ouvrages publics sur le domaine public de l’Etat », AJDA, 28 juillet 2003, p. 1365.

Section II : Le pouvoir d’affectation : un pouvoir détachable de la qualité du propriétaire du bien.

Nous démontrerons dans le chapitre à suivre, que le pouvoir d’affectation, qui est autonome par rapport au droit de propriété et qu’il repose sur une conception dualiste de la propriété. Cette conception est fondamentale car elle explique le fondement de la théorie des mutations domaniales (§2). Mais avant cela, nous allons étudier un point important pour la suite de notre démonstration à savoir la question de la relative indépendance du pouvoir d’affectation. (§1)

§1- Une vision émergente : le détachement du pouvoir de l’affectataire.

Le droit de propriété est, aujourd’hui encore, indispensable en droit positif français pour permettre à un bien de faire partie du domaine public. Toutefois, il peut ne pas être nécessaire. (A) Il s’agit d’insister sur le fait que le pouvoir d’affectation se détache de cette propriété et peut suffire à satisfaire aux exigences requises. (B)