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Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

A- Un frein à la circulation des biens publics

La confusion entre le droit de propriété et le pouvoir d’affectation empêche les biens de

« circuler ». Ceux-ci stagnent, en quelque sorte, dans le domaine public des personnes publiques. On peut regretter cette conception étroite du droit public des biens français.

Aujourd’hui encore, avec l’adoption du CGPPP, on a tendance à croire que pour protéger un bien et garder son affectation à une utilité publique, il est nécessaire que le bien en question appartienne à son propriétaire et que lui seul décide de son existence. Sachant que dans ce domaine la réalité n’est pas aussi tranchée, il faudra nuancer ce propos. L’amalgame entre le droit de propriété et le pouvoir d’affectation nuit ainsi à la possible circulation des biens publics qui pourrait avoir lieu entre les personnes publiques ou entre les personnes publiques et les personnes privées.

Sous prétexte que le propriétaire aurait tous les droits sur son bien, sous réserve de quelques contraintes expliquées auparavant, y compris celui de l’affectation, le bien lui serait consacré.

Des changements de propriétaires sont désormais envisageables, alors qu’ils demeuraient compliqués, voire impossibles avant l’entrée en vigueur du CGPPP.

Il convient de préciser ce que l’on entend par « circulation des biens publics ». Cette expression désigne soit le transfert de propriété de biens entre personnes publiques, soit un transfert de gestion. Ici, il sera question d’étudier la gestion volontaire des biens par les personnes publiques. La question traite de la circulation des biens entre les personnes publiques de manière volontaire et non du cas des mutations domaniales étudiée précédemment. Ce sont les personnes publiques, elles-mêmes, qui décident du sort de leurs biens, contrairement aux transferts forcés que nous verrons ultérieurement en traitant des mutations domaniales.

Une précision d’ampleur doit être donnée. En effet, il ne s’agit pas d’opérer une confusion totale entre le pouvoir de gestion ou du gestionnaire et le pouvoir d’affectation ou de l’affectataire. Cela n’implique pas les mêmes pouvoirs, ne recouvre pas les mêmes situations mais il est indéniable que le pouvoir d’affectation fait partie du pouvoir de gestion. Il est important de rappeler que l’affectation de biens à un service public ou à une personne constitue un transfert domanial. Celui-ci porte sur l’usage ou la jouissance d’un bien qui va bénéficier à une autre personne. Le pouvoir de gestion emporte, en revanche, plus que cela.

En effet, le gestionnaire possède, comme l’affectataire, non seulement l’usus et le fructus du bien.

En l’espèce, il faut nous intéresser aux personnes publiques qui vont consentir à l’amiable des conventions permettant ces mouvements. Ce sont des ententes entre les personnes publiques.

Depuis l’entrée en vigueur du CGPPP, ces mouvements sont plus faciles à exécuter.408

Auparavant, ces transferts de propriété étaient moins fréquents. Le nombre de personnes publiques n’a cessé d’augmenter ces dernières années. En effet, si l’Etat a d’abord été le premier à être reconnu titulaire d’un patrimoine et à détenir un droit de propriété sur ses biens appartenant au domaine public, il a été suivi par les collectivités territoriales et les

408C’est notamment ce que la doctrine a constaté après l’adoption de ce code et lors de colloques consacrés au thème de la circulation des propriétés publiques. Voir G. Bachelier, « Les transferts de propriétés entre personnes publiques », colloque CSN, la Circulation des propriétés publiques, JCP N, n°43-44, 27 octobre 2006, p. 1898.

établissements publics. Aujourd’hui, les personnes publiques susceptibles de détenir un domaine public sont nombreuses. Le CGPPP consacre d’ailleurs cette diversification. Les rapports que les personnes publiques sont susceptibles d’avoir entre elles sont donc plus importants.

Le CGPPP a apporté plus de souplesse dans des rapports jugés auparavant trop complexes et trop restrictifs. Cet inconvénient empêchant tout mouvement au sein des différents patrimoines immobiliers des personnes publiques. Toutefois, il faut garder à l’esprit la différence entre les rapports domaniaux qui emporteront un transfert de propriété et ceux qui n’en emporteront pas.

Le Code offre plus de souplesse aux transferts domaniaux qui sont accompagnées d’un transfert de propriété qu’à ceux qui n’en sont pas accompagnés.

La tendance est, dans les deux cas, d’accélérer les transferts, ce qui constitue, pour certains auteurs, une manifestation du droit de propriété des personnes publiques. Selon R. Noguellou409 le fait pour des personnes publiques de pouvoir transférer des biens publics est une manifestation de leur pouvoir de gestion qui n’est autre qu’un prolongement de leur droit de propriété. Même s’il est incontestable que le fait de gérer un bien, de pouvoir le vendre ou seulement de le mettre à la disposition d’une autre personne publique fait partie des prérogatives qui reviennent à un propriétaire classique, il n’en reste pas moins que cette conception tend à délaisser le rôle de l’affectation dans cette étape.

En effet, si le droit de propriété implique automatiquement que le propriétaire de son domaine public puisse sous certaines conditions gérer ses biens comme il l’entend et qu’il décide de la circulation de ses biens, il nous semble cependant que le raisonnement doit aller encore plus loin. Si l’on suit le raisonnement de cet auteur, seuls le droit de propriété et son prolongement à savoir le pouvoir de gestion des biens importent. Mais au-delà de ce pouvoir de gestion se cache aussi le pouvoir d’affectation, qui existe indépendamment de la personne propriétaire du bien. Le pouvoir de gestion, dont parle, ne doit pas se trouver confondu avec le pouvoir d’affectation. Si l’on s’attache à opérer une vraie distinction entre le droit de propriété des personnes publiques et le pouvoir d’affectation des biens à une utilité publique, alors la circulation est facilitée. Peu importe l’identité du propriétaire du bien en question pourvu que l’affectation soit, elle, protégée.

409 R. Noguellou, « Les rapports domaniaux entre personnes publiques », RFDA, septembre-octobre 2006, p. 957.

On peut illustrer ces propos en examinant les différentes hypothèses de circulation des biens publics.

S’agissant des transferts domaniaux dépourvus de transfert de propriété, ce constat est évident et sera confirmé par l’étude des nouvelles techniques de circulation des biens publics par le CGPPP. Ainsi, on peut d’ores et déjà, dire que l’affectation est mise en avant et que l’on veille à la protéger. Certes, celle-ci peut toujours être modifiée mais elle est au cœur de la relation entre les personnes publiques.

S’agissant des transferts domaniaux assortis de transfert de propriété, la question de la vente de biens va se poser. Néanmoins, le CGPPP a innové de manière assez remarquable en permettant le transfert de biens, entre les personnes publiques, sans déclassement préalable du bien affecté.410 Auparavant, cela était impossible. On voit alors que le principe de l’inaliénabilité du domaine public411 ne s’applique pas dans les rapports entre personnes publiques, ce qui n’était pas le cas avant. Or, aujourd’hui si une personne publique veut vendre un bien dépendant du domaine public à une autre personne publique, elle le peut sans avoir besoin de procéder auparavant au déclassement et à la désaffectation du bien. Ces deux conditions doivent être réunies pour qu’un bien puisse sortir du domaine public et être vendu.

Désormais, la condition du déclassement préalable est supprimée ce qui prouve que l’affectation du bien est, contrairement à la propriété du bien, particulièrement importante et donc inaliénable. Une personne publique différente du précédent propriétaire du bien peut ainsi hériter d’un bien qui n’a pas subi de désaffectation, si le nouveau propriétaire souhaite poursuivre la même affectation à l’utilité publique.

La suppression de ce déclassement préalable est aussi réalisée pour les échanges d’immeuble.

Cela facilite la circulation des biens au sein des différents patrimoines des personnes publiques.412 Comme le souligne C. Maugüé, le but est de « faciliter de nombreuses opérations foncières entre l’Etat et les collectivités territoriales, notamment en présence d’un domaine public relevant d’une personne publique autre que celle qui conduit l’opération».

410L’article L. 3111-1 du CGPPP énonce : « Les biens des personnes publiques mentionnés à l’article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles. »

411Cf. infrala section II de ce chapitre.

412L’article L. 3112-1 du CGPPP énonce : « Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L-1, qui relèvent de leur domaine public, peuvent être concédés à l’amiable, sans déclassement préalable, entre ces personnes publiques, lorsqu’ils sont destinés à l’exercice des compétences de la personne publique qui les acquiert et relèveront de son domaine public. »

Elle explique que le but de ces assouplissements est la recherche d’une redistribution des propriétés publiques413.

Les conditions de transfert et de circulation des biens entre les personnes publiques ou avec des personnes privées sont, aujourd’hui, facilitées par l’existence de dérogations prévues dans la loi. Par conséquent, en dehors des possibilités prévues par le nouveau code, il n’y a que très peu de possibilités d’échanges. Le problème vient principalement du fait que le pouvoir du propriétaire et l’affectation sont confondus.

Mais ce ne sont pas les seules conséquences engendrées par cette confusion.

B-Un frein en matière d’utilisation privative du