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L’éclatement de la propriété et de l’affectation

Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

A- L’éclatement de la propriété et de l’affectation

Si la dissociation entre le droit de propriété et le pouvoir d’affectation a déjà été abordée dans le chapitre précédent, elle l’a été sous un angle différent de celui que nous allons présenter ici. Elle a été vu sous celui de la gestion volontaire des biens publics. Or, dans ces nouveaux développements, nous traiterons de la gestion autoritaire des biens publics. Au sein même de cette gestion autoritaire, le même constat s’impose.

Le droit du propriétaire de la dépendance domaniale des personnes publiques autres que l’Etat va, certes, rester intact mais privé de son contenu. Le pouvoir d’affectation prend tout son sens lorsqu’il s’exprime au travers de la mutation autoritaire imposée à la personne publique.

La manifestation de ce pouvoir autoritaire qu’exerce l’Etat, transcrit l’idée d’un pouvoir affectataire dominant sur un droit de propriété qui subit davantage la situation. Ce propriétaire public, souvent local, se voit non seulement dépossédé de l’utilisation de sa parcelle, mais également des fruits que celle-ci peut lui rapporter. A propos des mutations domaniales D. Capitant491 énonce que: « le propriétaire ne maîtrisant plus l’affectation du bien ne peut plus le désaffecter et ne peut donc en disposer. La mutation domaniale entraîne ainsi une dépossession non seulement de l’usus, éventuellement du fructus, mais également d’un abususqui a une véritable consistance. »

Le propriétaire reste certes titulaire de son droit de propriété, mais ce dernier est en quelque sorte une « coquille vide ». Pendant la durée de cette dépossession, le propriétaire ne peut plus ni profiter de son bien, ni en retirer les fruits. Il ne peut pas non plus l’aliéner car son utilité est toujours présente, ailleurs. L’affectation apparaît supérieure, paralysant l’action du propriétaire au moins pendant la durée de la nouvelle affectation. Cela prouve une nouvelle fois que les deux prérogatives fonctionnent séparément, sans que l’une n’ait besoin de l’autre pour perdurer.

Si certains ont présenté le CGPPP comme réaffirmant la propriété publique, la théorie des mutations domaniales ancrée dans ce code vient contredire ou du moins fortement nuancer cette affirmation. Si la tendance en France, contrairement au régime allemand, est d’associer le propriétaire à l’affectataire du domaine, les nouveautés introduites dans le CGPPP en

491Réflexions sur le Code général de la propriété des personnes publiques, actes du colloque, université de Lille II du 29 novembre 2006, présidé par Jacqueline Morand-Deviller, sous la direction de Stéphane Guerard, LITEC, 2007 : 3èmeintervention : D. Capitant : « Les mutations domaniales et les superpositions d’affectation », p. 33.

matière de gestion des biens viennent contrebalancer cette idée. D’une part, on a vu dans le chapitre précédent que les prérogatives du propriétaire et de l’affectataire pouvaient facilement être dissociées lors d’acte de gestion purement volontaire. Ces actes prévus par le Code permettent légalement une dissociation de ces deux prérogatives sans que l’affectation du bien ne soit remise en cause. D’autre part, s’agissant de la gestion autoritaire des biens où s’illustre la théorie des mutations domaniales, il est encore possible de distinguer les deux, même si au départ, ce n’est pas un acte de volonté de la part du propriétaire de la dépendance domaniale. Les deux mécanismes ne touchent pas au droit de propriété mais seulement à l’affectation de la dépendance. Toutefois, l’affectation commande ce qui se passe par la suite à savoir le changement de gestionnaire, la nouvelle utilité, le nouveau bénéficiaire et surtout la fin de cette nouvelle affectation. Ce constat est mis en évidence par D. Capitant492. Il explique le caractère surprenant de cet état des lieux en France par le fait que cette théorie des mutations domaniales dérange cette association trop hâtive entre le droit de propriété et le pouvoir d’affectation. Cette théorie remet indiscutablement en question ce postulat. Bien que l’Etat ne soit pas propriétaire de tous les biens publics, il peut pourtant pour un motif d’utilité publique, modifier l’affectation de certains biens.

X. Bioy493 présente cette théorie des mutations domaniales comme un démembrement de la propriété où une possession locale est opposée à une disposition nationale. Il explique notamment que deux thèses s’affrontent pour justifier ou expliquer les mutations domaniales.

Les défenseurs de la propriété font de l’affectation un élément de cette dernière. Pour d’autres, les mutations relèvent exclusivement du droit de la domanialité « dont les impératifs l’emportent sur le droit de propriété ». Ces mutations domaniales sont une manifestation de la souveraineté de l’Etat et non de la propriété de l’Etat.

Il s’agit là d’une vision dualiste du droit de propriété précédemment évoquée. A.Vidal-Naquet494indique que la théorie des mutations domaniales impose une vision dualiste. Elle explique, en effet, que cette théorie montre l’autonomie de l’affectation par rapport au droit de propriété, droit auquel elle ne touche absolument pas. Elle démontre que non seulement la vision dualiste du droit de propriété fait de l’affectation une prérogative, c’est-à-dire qu’elle offre la possibilité de choisir la destination du bien concerné, mais aussi, cela montre le

492Cf. supranote n° 491.

493B. Xavier, « La propriété éminente de l’Etat », RFDA, 2006, p. 963.

494A. Vidal-Naquet, « L’irréductible théorie des mutations domaniales », RFDA, novembre-décembre 2005, p. 1106.

caractère fondamental de l’affectation et que « l’affectation du domaine peut être exclusive, c’est-à-dire qu’elle écarte certaines personnes de sa jouissance ».

La théorie des mutations domaniales corrobore les thèses exposées il y a quelques années par R. Capitant et G. Maroger. R. Capitant, qui a préfacé la thèse de G. Maroger, soutenait la thèse d’une propriété privée y compris pour les biens des personnes publiques. De plus, d’après lui, l’affectation, qui joue un rôle central ici, n’est autre qu’une servitude d’intérêt général qui s’impose d’office au propriétaire, quel qu’il soit. Pour ces auteurs, la propriété du domaine public est de la même nature que celle du domaine privé. C’est donc qu’elle est la propriété privée. Ils dissocient complètement l’aspect propriété et l’aspect affectation. Pour G. Maroger, l’acte d’affectation n’a rien à voir avec la propriété, autrement dit, la compétence pour affecter n’est pas une prérogative de propriétaire495. R. Capitant, soutiendra une analyse plus révolutionnaire encore en considérant « que la propriété domaniale est, abstraction faite de son titulaire, une propriété privée. » Il a livré cette idée dans la préface de la thèse de G. Maroger. R. Capitant assimilant la propriété du domaine public à la propriété privée car son argumentation repose toujours sur la distinction entre la propriété et l’affectation. Il y a un régime mixte à savoir, la propriété qui est analogue à la propriété privée, et l’affectation relevant du seul droit public. Dans sa célèbre note sous l’arrêt Commune de Barran496, R. Capitant a dressé le constat que nous nous efforçons de mettre en lumière : celui d’une affectation qui commande à la fois la propriété et le propriétaire en question. Cette dernière implique que l’on protège le bien par des règles strictes, telles que l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité. Ces règles suivent la notion d’affectation et non le propriétaire du bien en question. C’est cette notion et non pas la propriété, qui commande le régime juridique du bien et qui induit les règles protectrices énoncées. Là encore, comme le rappelle la théorie des mutations domaniales, les notions de propriété et d’affectation sont séparées.

Après avoir analysé les modalités de la théorie des mutations domaniales, il faut désormais envisager ses conséquences.

495 G. Maroger, L’affectation à l’usage public des biens des patrimoines administratifs, préface R. Capitant, Sirey, 1942 ; A. de Laubadère, « Domanialité publique, propriété administrative et affectation », RDP, 1950, tome 70, p. 5.

496R. Capitant, note sous CE, 17 février 1932, Commune de Barran, D. 1933, IIIème partie, p. 49.

B-La mise en lumière de l’éclatement du propriétaire