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L’analyse du critère de l’affectation par la jurisprudence administrative

Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

A- L’analyse du critère de l’affectation par la jurisprudence administrative

Le critère de l’affectation du bien à utilité publique est déterminant pour la composition du domaine public et tend à prendre de plus en plus de place. Cependant, la jurisprudence, même la plus récente, ne renie pas le premier critère qui doit toujours être satisfait, à savoir l’appartenance du bien à une personne publique. Il y a une confirmation jurisprudentielle récente de cet état du droit positif.228 En l’espèce, il s’agissait d’un organisme de droit privé sui generis qui ne pouvait revendiquer la propriété d’un domaine public. Il n’est pas question de s’attarder sur cet état de fait qui fera l’objet d’une analyse plus approfondie ultérieurement. Il s’agira de voir en quoi le critère de la propriété publique semble, aujourd’hui, susceptible d’être évincé ou à tout le moins de n’être plus systématiquement exigé pour définir le domaine public.

228CE, avis, 10 juin 2004, Agence-France-Presse, n°370.252, Conseil d’Etat, Rapport public 2005, jurisprudence et avis, 2004, études et documentsn°56, Responsabilité et socialisation du risque, la Documentation Française, 2005, p. 184.

En revanche, depuis longtemps, la jurisprudence exige que le bien en question soit affecté, peu importe que cela soit à l’usage direct du public ou à un service public.229La mise en avant du critère de l’affectation en jurisprudence est ancienne. L’émergence de ce critère en jurisprudence est en partie due à la doctrine de l’époque. Ce critère commence à apparaître autour de 1830. Il s’agit davantage d’opérer une différenciation entre le domaine public et le domaine privé de l’Etat, car la référence au critère de l’affectation n’est pas encore très nette.

Il est encore question de savoir si le bien est ou non susceptible d’appropriation privative. Un exemple jurisprudentiel illustre cela : l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 mai 1864, Commune d’Hautemonte230, qui montre que le juge recherche si le bien est susceptible d’une appropriation privative.231 Il faut attendre le dernier tiers du 19ème siècle pour voir le critère d’affectation considéré comme critère nécessaire à l’incorporation du bien dans le domaine public par le juge administratif. Ce dernier y fait constamment référence. Les exemples sont multiples, comme dans l’arrêt du 12 juillet 1878 rendu par le Conseil d’Etat, Bruel232où nous pouvons lire que « la destination de l’immeuble était l’affectation à un service départemental.» Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat en déduit que si ces immeubles sont biens affectés à un service départemental, la notion de service public actuelle n’est cependant pas employée. Dans cette affaire, les immeubles en question sont d’ailleurs affectés à des services locaux alors que c’est l’Etat qui, finalement, va intégrer le domaine de l’Etat. En effet, ce dernier les avait acquis bien avant qu’ils ne soient affectés à des services départementaux, en l’espèce, le département de l’Allier.

L’arrêt du 22 décembre 1880, De Dreux Brézé233 concerne l’affectation à une école secondaire ecclésiastique. Celui du 27 avril 1888, Evêque d’Autun234 également rendu par le Conseil d’Etat. Enfin celui du 12 avril 1889, Evêque de Marseille235traite de la question de la désaffectation d’une église.

Outre la propriété publique, le critère de l’affectation est devenu l’autre critère de référence permettant de déterminer si un bien peut ou non être incorporé au domaine public. La décision

229Sur la question de l’apparition en doctrine et en jurisprudence du critère de l’affectation : voir le paragraphe précédent.

230CE, 5 mai 1864, Commune d’Hautemonte, Rec. Conseil d’Etat, 1864, p. 430.

231Le juge administratif traduit notamment les thèses de J-B Proudhon et H. Berthélémy, dans sa jurisprudence relative à la possibilité d’une appropriation privative. Voir les développements sur ce sujet dans le paragraphe 1, A de ce chapitre.

232CE, 12 juillet 1878, Bruel, Rec. Conseil d’Etat, 1878, p. 679.

233CE, 22 décembre 1880, De Dreux Brézé Rec. Conseil d’Etat, 1880, p. 1053.

234CE, 27 avril 1888, Evêque d’Autun, Rec. Conseil d’Etat, 1888, p. 381.

235CE, 12 avril 1889, Evêque de Marseille, Rec. Conseil d’Etat, 1889, p. 495.

d’affecter un bien à une destination semble être un pouvoir capital et qui dépend en principe du propriétaire du bien236.

Les jurisprudences précédemment citées ainsi que d’autres comme par exemple l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 novembre 1888, Commune d’Argy237, montrent également qu’il n’existe pas d’affectation perpétuelle d’un bien à une destination. L’affectation est bien, par conséquent, révélatrice d’une situation. Elle évolue au fil du temps. C’est un critère qui constate une situation donnée à un moment précis.

Il n’y a donc pas de domanialité publique par nature car l’affectation constitue une condition indispensable à l’application du régime protecteur de la domanialité publique. C’est l’acte d’affectation qui va matérialiser l’affectation de la dépendance publique. Dès lors que cette affectation, dans les faits, n’existe plus et qu’un acte juridique le constate, il n’y plus aucune raison pour que le bien reste dans le domaine public. Le fondement même de l’inaliénabilité se trouve en jeu. La protection accordée au domaine public passant par l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité238 du domaine public ne trouve sa justification uniquement parce que l’affectation est réelle. La protection n’est due qu’en raison de l’affectation de la dépendance à l’utilité publique, et non pas en raison de son appartenance à une personne publique. Il faut une affectation effective. Une affectation formelle non suivie par une mise à disposition réelle du bien affecté ne serait pas légale239. Il faut ajouter qu’aujourd’hui, avec l’introduction du critère de l’aménagement indispensable du bien, l’aménagement du bien affecté devra être effectif si l’on veut intégrer un bien au sein du domaine public240.

Il faudra d’ailleurs revoir plus tard, au cours de la démonstration, comment s’exerce ce pouvoir d’affectation.

Il est important de souligner à ce stade avant de poursuivre l’étude de l’évolution du critère de l’affectation dans la jurisprudence administrative, que celle-ci ne traitera que des biens immeubles. La plupart des arrêts que nous allons étudier portent sur des biens immobiliers. Si notre étude se concentre sur les biens immobiliers c’est notamment parce que les biens meubles, dont les litiges sont souvent portés devant le juge judiciaire, ne répondent plus

236En dehors de l’hypothèse des mutations domaniales que nous étudierons dans le Titre II de la Partie I.

237CE, 23 novembre 1888, Commune d’Argy, Rec. Conseil d’Etat, p. 859.

238Le régime juridique du domaine public, à savoir la domanialité publique, fera l’objet de développement dans le premier chapitre de la Partie I.

239Voir en ce sens, CE, 21 décembre 1956, Giraud, AJDA, 1957, II, p. 55, concl. Heumann.

240Cf. supra note n°208.

aujourd’hui à ce critère d’affectation. Avec l’adoption du CGPPP en 2006241, la référence au critère de l’affectation pour l’appartenance d’un bien meuble au domaine public a disparu. Par conséquent, nous ne retrouverons plus ce critère au sein de la jurisprudence. Auparavant, celle-ci considérait que l’appartenance des biens culturels ou cultuels était en lien avec l’affectation à l’usage du public, ou à un service public ou encore l’affectation à un immeuble.

Désormais, c’est l’intérêt public du bien en question du point de vue de l’art, de l’histoire ou encore de la science qui importe. Ces propos sont notamment démontrés dans le récent article du professeur S. Duroy.242 C’est aussi ce que démontre le Professeur P. Yolka quand il explique que la protection des meubles fait l’objet d’une domanialité spécifique

« déconnectée de la notion d’affectation ». Le domaine public mobilier a « une vocation patrimoniale qui consiste à protéger les biens à raison de leur rareté (voire de leur caractère irremplaçable) plutôt que d’une destination à l’usage public.»243

Il n’est pas essentiel, ici, d’étudier cette jurisprudence concernant les biens meubles, le critère de l’affectation étant absent.

Passées ces premières constatations, il convient de revenir sur l’émergence du critère de l’affectation du bien à l’utilité publique dans la jurisprudence administrative. Son apparition se situe dans le dernier tiers du dix-neuvième siècle et celle-ci devient importante au début du vingtième siècle. De nombreux arrêts en témoignent. Le juge administratif va accorder de moins en moins d’importance à l’aspect formel de l’affectation. Autrement dit, il ne va pas exiger que le bien immeuble en question ait fait l’objet d’un acte administratif de classement. En l’absence de cet acte, le juge administratif va tout de même reconnaître l’incorporation du bien dans le domaine si les critères requis, à savoir la propriété publique et l’affectation du bien à l’utilité publique, sont présents. A partir du moment où l’affectation sera constatée par le juge, celui-ci n’exigera pas que le bien en question fasse l’objet d’un classement. L’arrêt du Conseil d’Etat du 14 décembre 1910, Commune de la Brosse Montceaux244, illustre ce propos, la place dont il est question dans l’arrêt avait de par sa destination, le caractère d’une voie publique malgré l’absence de classement effectif. Les propos sont très clairs :« que si aucun acte n’en a prononcé le classement et si elle est restée

241Y. Gaudemet, « La réforme du droit des propriétés publiques : une contribution », CJEG, n°608, avril 2004, p. 163 et du même auteur, « Le nouveau code général de la propriété des personnes publiques, une mise en perspective », RJEP, n°636, novembre 2006, p. 403.

242 S. Duroy, « Biens meubles culturels et cultuels, considération sur une appartenance exclusive au domaine public mobilier », RFDA, 2007, p. 1155.

243P. Yolka, « Les meubles de l’Administration », AJDA, 14 mai 2007, p. 964.

244CE, 14 décembre 1910, Commune de la Brosse Montceaux, Rec. Conseil d’Etat, 1910, p. 945.

plantée d’arbres, le sol de ladite place a toujours été affecté, dans toute son étendue, à l’usage de la circulation du public depuis l’année 1849 jusqu’en 1905».

Comme le souligne M. Gros245, nous assistons à un élargissement de la notion d’affectation et surtout au passage du seul classement formel exigé pour que le bien puisse incorporer le domaine public à un acte de simple volonté de la part de l’administration, susceptible d’être simplement constaté par le juge administratif246. Il résulte de ce constat que le juge administratif semble s’attacher davantage à l’aspect matériel du critère de l’affectation des biens. A la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, la jurisprudence administrative paraît mettre davantage en avant ce critère et si elle constate, outre la question de la propriété publique, que le bien en question a reçu une affectation à un usage public, l’incorporation sera évidente. Le critère de l’affectation a régné en maître pour déterminer l’appartenance d’un bien au domaine public. Ce critère fut en quelque sorte détrôné avec l’émergence en jurisprudence du critère de l’aménagement spécial. Exception faite de l’incertitude qui pèse sur la question de la propriété publique, aucun autre critère que l’utilité publique n’est exigé en jurisprudence. De nombreux exemples jurisprudentiels corroborent ces propos comme par exemple l’arrêt du Conseil d’Etat, 8 juillet 1889, Albouy247et celui du 15 juin 1932, Dame Veuve Lafitte et sieur Vignes248. A l’époque de ce litige, l’affectation n’était pas effective et par conséquent le bien en question ne pouvait pas être incorporé au sein du domaine public. L’arrêt prononce les mots suivants «que si la parcelle dont il s’agit (…) avait été acquise par la commune pour être ultérieurement affectée à la circulation, elle n’avait pas reçu cette affectation à la date dudit procès-verbal et n’avait pas, par suite, été incorporée au domaine public.»

D’autres exemples illustrent ces propos. Dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 janvier 1934, Sieur Roger249, la parcelle en question était affectée aux piétons et par conséquent elle fut incorporée au domaine public.

Jusqu’à l’apparition en jurisprudence du critère de l’aménagement spécial, pour les biens affectés à un service public avec l’arrêt du Conseil d’Etat, Société Le Béton du 19 octobre 1956250, la jurisprudence a analysé les situations comme décrites précédemment. Même dans les années précédentes, le juge administratif opérait toujours le même raisonnement.

245M. Gros, « Affectation et domanialité publique », RDP, 1992, p. 749.

246Voir sur ce sujet les développements du chapitre précédent.

247CE, 8 juillet 1889, Albouy, Rec. Conseil d’Etat, 1889, p. 961.

248CE, 15 juin 1932, Dame Veuve Lafitte et sieur Vignes, Rec. Conseil d’Etat, 1932, p. 586.

249CE, 11 janvier 1934, Sieur Roger, Rec. Conseil d’Etat, 1934, p. 53.

250CE, 19 octobre 1956, Société le Béton, Rec. Conseil d’Etat p. 375 ; concl. M. Long, RDP, 1957, p. 310.

Il regardait certes si le critère de la propriété était rempli, mais surtout si le bien en question avait pour objet de satisfaire une utilité publique et s’il était affecté à cette utilité. Nous pouvons citer un arrêt du Conseil d’Etat du 30 mai 1951, Sieur Sempé251 dans lequel des terrains acquis par expropriation n’ont jamais reçu l’affectation escomptée. Les dépendances en question étaient toujours considérées comme appartenant au domaine privé de la personne publique en question puisque comme l’explique le Conseil d’Etat, les dépendances «n’ont jamais reçu d’affectation publique et sont demeurées d’utilisation agricole». C’est uniquement en l’absence de cette affectation que les dépendances ne peuvent pas être incorporées au sein du domaine public. C’est la même référence à cette affectation à l’utilité publique qui est déterminante à cette époque pour le juge en ce qui concerne d’autres arrêts comme celui du 19 décembre 1952, Ville de Toulouse252 ou encore le 13 février 1953, Sieur Susini253. Dans ce dernier arrêt, il est question des eaux d’un lavoir communal. Le Conseil d’Etat énonce que « si pendant le temps où elle se trouve dans le lavoir pour y servir aux fins auxquelles correspond cet ouvrage, l’eau doit être regardée comme étant une dépendance du domaine public, il ne saurait en être de même une fois qu’elle a cessé d’être affectée à l’usage public en vue duquel a été crée ledit ouvrage».

La déduction semble aisée mais il est évident que le juge administratif s’intéresse davantage à ce critère qu’à un autre. Il paraît important pour lui de vérifier que cette affectation à une utilité publique soit bien réelle. Dès lors qu’elle est présente, ce qui est assez simple car de nombreux biens se trouvent affectés à un usage direct du public ou participent à l’exécution d’une mission de service public.254

C’est pourquoi, au fil du temps et devant l’ampleur de la consistance du domaine public, la doctrine va réagir et militer pour la création d’un critère réducteur du domaine public qui sera le critère de l’aménagement spécial. Ce critère de l’aménagement spécial a notamment été proposé par M. Waline255 et sera repris par la doctrine postérieure. Nous pouvons d’ailleurs reprendre les explications de ce critère par F. Hervouët qui, «réside dans l’adaptation du bien au but recherché grâce à un aménagement spécial». Mais l’auteur nous

251CE, 30 mai, 1951, Sieur Sempé, Rec. Conseil d’Etat, p. 297.

252CE, 19 décembre 1952, Ville de Toulouse, Rec. Conseil d’Etat, 1952, p. 590.

253CE, 13 février 1953, Sieur Susini, Rec. Conseil d’Etat, p. 67.

254Voir la distinction opérée dans le précédent chapitre lors de la définition de la notion d’affectation.

255M. Waline, Les mutations domaniales, thèse Droit, Dalloz, 1925, p. 45.

explique que la jurisprudence va très vite préférer le terme d’aménagement du bien à celui de son adaptation.256

Cela va évidemment se traduire dans la jurisprudence administrative. L’arrêt de principe déjà cité en la matière est celui du Conseil d’Etat de 1956, Société le Béton257. Le juge administratif va non seulement exiger le critère de la propriété publique, mais il va aussi vérifier que le port industriel en question est bien affecté à l’objet d’utilité générale mais contrairement à ce qui a été expliqué auparavant, il ne s’arrête pas là. En effet, cela ne suffit plus à incorporer le bien dans le domaine public. Le juge va également vérifier que les terrains ont fait l’objet d’installations destinées à les rendre propres à cet usage. En l’espèce, c’était le cas et c’est seulement parce que cette condition est remplie que les terrains sont considérés comme appartenant au domaine public. Le juge administratif précise ainsi dans l’arrêt précité, après avoir démontré que le bien en question était bien affecté à une utilité publique qu’ « il résulte, d’autre part, de l’instruction que lesdits terrains ont fait l’objet d’installations destinées à les rendre propres à cet usage par leur raccordement aux voies fluviales ferrées ou routières dont l’aménagement et la liaison constituent le port. »

Il semble qu’il y ait, à partir de cette date, en jurisprudence, une nette volonté de mettre la dépendance immobilière en question en relation avec sa destination. Au moment de l’émergence de ce nouveau critère destiné à définir le domaine public, le juge administratif s’est montré rigoureux dans l’appréciation de ce nouvel élément.

F. Hervouët dans l’article précité, nous démontre qu’en jurisprudence et notamment sous la présidence de M. Latournerie, l’aménagement sert davantage à montrer l’adaptation du bien au service public, plus que son caractère indispensable. Comme le dit l’auteur

«l’aménagement spécial ne devient pas le critère principal de la domanialité publique car d’une part, on ne le recherche qu’une fois la question de l’affectation réglée et d’autre part, il ne sert qu’à caractériser l’adaptation du bien au service public. Au fond le bien est intégré au domaine public parce qu’il est affecté, mais c’est l’aménagement spécial qui dénote l’intention de l’administration de l’adapter pour l’y incorporé. »

Le juge ne se contente pas de dire que la dépendance a bien reçu des aménagements destinés à son affectation, il prend également le temps d’expliquer les aménagements en question.

256F.Hervouët, « L’utilité de la notion d’aménagement spécial dans la théorie du domaine public », RDP, 1983, p. 135.

257Cf. supranote n°250.

Dans l’arrêt de principe de 1956258, ce raisonnement est visible. Le Conseil d’Etat nous dit que lesdits terrains ont fait l’objet d’installations destinées à les rendre propres à cet usage. Il donne d’ailleurs quelques détails sur ces installations. Le raisonnement est encore plus flagrant dans une jurisprudence postérieure à l’arrêt de principe à savoir un arrêt du Conseil d’Etat du 1er octobre 1958, Sieur Hild.259 L’arrêt retient l’attention car le terrain était une propriété publique, des travaux avaient été entrepris mais non achevés et le juge administratif considère qu’« eu égard à leur importance, et à leur nature, ces travaux, qui avaient pour objet d’aménager les terrains en cause en vue de les adapter au service public »,ces terrains appartiennent au domaine public. Le raisonnement du juge administratif révèle que ce dernier souhaite des aménagements vraiment spéciaux et fortement adaptés au service public auquel ils sont destinés. La référence aux termes «nature et importance» montre que le juge administratif ne se satisfait pas de n’importe quel aménagement. Ceux-ci sont en fait au service de l’affectation, ils doivent révéler l’affectation. Il s’agit certes d’une condition supplémentaire exigée pour faire entrer un bien dans le domaine public, mais ce n’est pas à proprement parler un troisième critère qui déprécierait les deux autres. Il semble au contraire, que ce critère de l’aménagement spécial vienne corroborer l’affection du bien à l’utilité publique et lui donner tout son sens.

La portée de l’arrêt Société Le Béton est conséquente. Celui-ci marque un tournant dans la politique jurisprudentielle du Conseil d’Etat. Le commissaire du gouvernement dans cette affaire, M. Long, rend les conclusions suivantes. Il explique que le cœur de l’arrêt amène à préciser la notion d’affectation « autour de laquelle gravitent toutes les conceptions du domaine ». Le commissaire du gouvernement rappelle que l’élément formel de l’affectation à savoir le classement n’a aucun effet s’il n’y a pas de réelle affectation derrière. La décision d’affectation peut ainsi être implicite. On peut d’ailleurs citer les propos du commissaire :

« Ainsi le classement et l’affectation ne sont-ils que les deux aspects d’une même réalité : par le premier l’Administration détermine le but assigné à un bien, et par la seconde elle poursuit la réalisation de ce but. »260

Le cœur du problème dans cet arrêt est qu’une activité privée ait lieu. Or, le commissaire

Le cœur du problème dans cet arrêt est qu’une activité privée ait lieu. Or, le commissaire