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Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

B- L’affectation : un choix politique

L’échelle de la domanialité publique met en évidence que l’affectation est le marqueur d’une volonté ou d’une intention de donner un sens à un bien. Cette notion est la marque d’un choix intentionnel de la personne publique.

En soulignant que cette notion d’affectation est la manifestation d’un pouvoir relativement autonome des personnes affectataires151, il faut alors se demander sur quels fondements juridiques cette affirmation est-elle possible ? Aussi, faut-il alors s’interroger sur la nature de ce pouvoir et si ce dernier est totalement discrétionnaire.

L’intérêt est alors de savoir si cette affectation peut être contrôlée, limitée voir imposée aux personnes titulaires de cette capacité. L’enjeu est de comprendre si ce pouvoir est dénué de tout contrôle, notamment de la part du juge administratif.

Cette affectation, comme précédemment énoncée, est la marque d’une volonté de l’administration au sens large, et plus précisément de personnes publiques propriétaires d’un domaine public ou encore de personne privée en charge de biens affectés à l’utilité publique.

150Traiter de cette échelle de la domanialité tend à montrer l’importance de l’affectation et son impact.

151Voir sur ce point particulier du pouvoir de l’affectataire, qui diffère, du pouvoir du propriétaire du bien, les chapitres 1 et 2 du titre II de la Partie I.

En dehors des hypothèses où l’affectation est prédestinée ou incorporée au sein des biens, elle est bien la marque d’une intervention humaine. Les dépendances du domaine public naturel sont étrangères à cette intervention, tout comme les biens meubles, dépourvues aujourd’hui de tout critère d’affectation152.

Pour tous les autres biens affectés à l’utilité publique, une intervention humaine, généralement une personne publique, est nécessaire. Or, ces personnes publiques, dans le cadre de la légalité sont libres de décider d’affecter tels ou tels types de biens à une affectation. La décision d’affectation est une décision politique153. Par politique, on entend une décision relevant d’une entité juridique élue, comme un conseil municipal, un conseil général ou régional. Il peut s’agir d’entité juridique non élue comme les ministères ou encore le Préfet qui possèdent cependant moins de marge de manœuvre. Par ces décisions, un choix de société reflétant une idée politique est exprimé. C’est un pouvoir discrétionnaire de la part des personnes publiques quand elles décident d’affecter un bien à tel ou tel usage.

Ce pouvoir est cependant encadré et n’est pas totalitaire. Les personnes publiques peuvent décider d’affecter un bien à un but particulier mais ce dernier doit répondre à un but d’utilité publique. Soit, elles décident de l’affecter à l’usage direct du public comme une place, un jardin public ou à l’exécution d’une mission de service public comme les écoles ou des circuits touristiques ou encore des stades pour des activités sportives. Comme énoncé154, les personnes publiques ne peuvent user de leur pouvoir d’affectation que pour satisfaire un but d’utilité publique ou d’intérêt général plus largement. Or, ce but, nous le verrons ensuite155, est contrôlé par le juge administratif. Par conséquent, les personnes publiques sont relativement circonscrites par ce but à respecter. Le juge administratif se doit de vérifier, pour qu’un bien puisse intégrer le domaine public, si les formalités sont respectées mais surtout si l’affectation à un but d’utilité publique est bien présente156. Si cette condition n’est pas vérifiée et constatée par le juge administratif, la sanction est immédiate : le bien ne fera pas

152Voir sur ce point, les développements précédents de la section I de ce chapitre.

153Voir par exemple, l’arrêt du Conseil d’Etat du 25 janvier 2006, Commune de la Souche, AJDA2006, p. 231:

La commune décide d’affecter le gîte rural en question et d’en faire un bien affecté au service public touristique.

Cette délibération emporte par conséquent l’obligation pour les occupants précédents du gîte de mettre fin à leur activité.

154Lors des développements qui précédent, la notion d’utilité publique a été éclaircie afin de rendre compte des différentes hypothèses.

155Voir les développements dans le chapitre relatif au contrôle de l’affectation et de l’utilité publique par le juge administratif.

156Nous ne développerons pas, ici, les modalités du contrôle car le chapitre suivant traite de la vision du juge administratif sur la notion d’affectation.

partie du domaine public, au même titre que si ce dernier n’était pas la propriété d’une personne publique.

Ce choix qu’opère le juge sur ce pouvoir politique peut-il s’analyser comme un contrôle de l’opportunité ? En tant que choix opéré par l’administration, il est vrai que le juge administratif va alors contrôler le bien-fondé de ce choix en vérifiant la présence de l’affectation à l’utilité publique. En contrôlant si le bien va réellement satisfaire un besoin d’utilité publique, le Conseil d’Etat n’aura pas d’autres choix que de contrôler l’opportunité d’une telle affectation. Cependant, devant un pouvoir comme l’affectation, le juge administratif laisse une certaine marge de manœuvre aux personnes publiques. Même si, ces dernières années, les jugent montrent plus de rigueur dans le contrôle de l’affectation des biens, cela n’a pas toujours été le cas157. Les personnes publiques qui souhaitent affecter des biens à l’usage direct du public ont une marge de manœuvre plus grande que celles qui veulent les affecter à l’exécution d’une mission de service public. En effet, ce dernier est une notion encadrée par la loi et qui répond à une définition plus précise158.

Au regard de la jurisprudence qui sera analysée sous l’angle du critère de l’affectation159, on peut simplement remarquer que le juge vérifie en effet la présence de l’affectation du bien à l’utilité publique mais il n’opère pas un contrôle très sévère. Aussi, n’est-ce pas un contrôle à la limite de l’opportunité qui pratique l’ordre administratif mais simplement un contrôle de la légalité dit « normal", portant à la fois sur les faits, leurs qualifications juridiques ainsi que sur le droit, en passant de la violation de la loi au détournement de pouvoir.

Il y a deux éléments caractéristiques de l’affectation : le choix d’un usage, c’est-à-dire les buts de l’affectation, la réalisation de cet usage, à savoir les techniques de l’affectation.

Deux caractéristiques qui nous permettent de comprendre le rôle de cette affectation à l’utilité publique et qui va donner aux autorités publiques le fondement de ses interventions, la raison

157Voir les développements du chapitre suivant qui traite du cas de l’hypertrophie du domaine public lié à un certain laxisme du juge administratif sur le critère de l’aménagement spécial.

158Définition du service public : La définition fonctionnelle du service public ne fait pas l’unanimité en doctrine et elle est indéfinissable. On peut seulement en donner les éléments fondamentaux. « Une activité constitue un service public quant elle est assurée ou assumée par une personne publique en vue d’un intérêt public », in R. Chapus, Droit administratif Général, Tome 1, Montchrestien, 15èmeédition, 2001, p. 579.

159Voir les développements du chapitre suivant.

d’être de ses actions. La notion d’affectation transcende les distinctions entre le domaine public et le domaine privé.

Cette notion d’affectation va impulser une dynamique au sein du droit public des biens.

§2- Les conséquences de la mise en avant de l’affectation.

Aujourd’hui, la notion d’affectation transcende non seulement la distinction entre le domaine public et le domaine privé mais aussi celle de la propriété publique. Elle peut concerner à la fois le domaine public, le domaine privé des personnes publiques mais désormais la propriété des personnes privées160.

Cette nouvelle approche permet une meilleure approche du droit domanial (A) ainsi qu’une meilleure perspective de ce que doit recouvrir exactement la notion de domaine public (B).

A-La notion d’affectation : un outil de gestion