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La mise en lumière de l’éclatement du propriétaire et de l’affectataire

Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

B- La mise en lumière de l’éclatement du propriétaire et de l’affectataire

Le constat opéré précédemment doit conduire à différentes conclusions. La première concerne la question de l’autorité extérieure à savoir l’Etat.

La deuxième concerne le rôle de l’Etat, qui d’un point de vue théorique apparaît comme le gardien du domaine public. Se pose alors de nouveau les questions liées à l’unité ou à la dualité du domaine public.

L’autorité extérieure au propriétaire susceptible de décider de l’affectation, est destinée à satisfaire l’utilité publique et a souvent vocation à durer. Par exemple, les biens dits naturels ont par nature vocation à être affectés de manière quasi permanente à une utilité publique ; à l’inverse d’autres biens, notamment ceux affectés à un service, dans le cas d’une mutation autoritaire, peuvent avoir une affectation uniquement temporaire si la personne publique en question497 en décide autrement. C’est une autorité extérieure à la personne publique qui en décide ainsi. Aussi, les personnes publiques n’ont pas la maîtrise de l’affectation des biens si par exemple, des exigences constitutionnelles interviennent. Pour le cas des mutations domaniales, c’est exactement la situation décrite qui se passe. Cette autorité extérieure qu’est l’Etat, souvent représentée par le Préfet, décide à un moment donné de modifier telles ou telles affectations.

Or, si le CGPPP a consacré la théorie des mutations domaniales, il s’oppose à l’expropriation du domaine public qui ferait triompher le droit de propriété. Y. Gaudemet498 s’étonne d’ailleurs de cette consécration. Il explique que cela va à l’encontre du principe de la propriété des personnes publiques que les collectivités décentralisées revendiquent fortement. Il aurait été souhaitable, pense-t-il, de créer un mécanisme d’expropriation du domaine public qui est une procédure tout de même dont l’Etat a le monopole.

B. Tardivel499 dresse le même constat alors que le nouveau code n’est pas encore adopté. Il opère un bref historique sur l’impossibilité d’exproprier le domaine public et énonce, que le

497L’Etat dans le cas en question d’une mutation domaniale, mais cela peut aussi bien être le législateur.

498Y. Gaudemet, « Le nouveau code général de la propriété des personnes publiques, une mise en perspective », RJEP, n°636, novembre 2006, p. 403.

499B. Tardivel, « L’indépassable théorie des mutations domaniales », AJDA, 23 juin 2003, p. 1209.

Conseil d’Etat, dans son rapport500 de 1986 sur le droit des propriétés publiques, proposait déjà de consacrer l’expropriation du domaine public et de mettre fin à la théorie des mutations domaniales. Ce rapport mettait en évidence que l’usage de cette pratique ne permettait pas de faire un bilan « coûts-avantages », par le biais d’une enquête publique, et qu’elle aboutissait aussi à une dissociation, pendant une durée indéterminée, du droit de propriété et de la maîtrise de la destination de la dépendance. A partir de là, le rapport préconisait l’adoption d’une disposition législative permettant à l’Etat de procéder à une expropriation du domaine public. Le projet était de créer une procédure permettant une expropriation un peu spéciale en faveur des personnes publiques. Cette réforme n’a jamais abouti mais à l’époque, elle était soutenue par une partie de la doctrine. Il s’agissait des partisans de la théorie de la propriété administrative. La défense de cette réforme constituait, pour eux, une opportunité de voir disparaître la théorie des mutations domaniales. D’après eux, les mutations domaniales ont pour conséquence d’amoindrir le droit de propriété des personnes publiques alors qu’ils défendent un droit de propriété exorbitant du droit commun au profit de ces collectivités publiques. La situation décrite qui consistait en une dissociation du droit de propriété et du pouvoir d’affectation n’est pas acceptable pour les défendeurs du droit de propriété des personnes publiques.

A contrario, en 2006, lorsque le législateur délégué choisit de ne pas incorporer le mécanisme de l’expropriation au profit des personnes publiques sur leurs domaines publics, c’est bien parce qu’il ne souhaitait pas favoriser le droit de propriété. En légalisant la théorie des mutations domaniales, il approuve au contraire cette dissociation et le fait que l’affectation doit avoir plus d’impact. C. Lavialle501 analyse les effets qui résulteraient de la consécration d’une procédure d’expropriation sur le domaine public en lieu et place de la théorie des mutations domaniales. Il souligne notamment que la procédure des mutations domaniales est plus respectueuse du pouvoir souverain de l’Etat et de l’unité de la domanialité publique502. Il énonce que la jurisprudence qui a créé cette théorie ne doit pas être remise en cause car elle

« a le mérite de s’inscrire dans la logique de la domanialité publique qui est avant tout déterminée par l’affectation. » Au contraire, la procédure de l’expropriation aurait pour conséquence de banaliser le domaine public et de le transformer en une « vulgaire propriété ».

L’effet serait alors contre productif et sans doute nocif pour l’affectation. On peut alors raisonnablement penser, que si le CGPPP n’a pas avalisé l’expropriation, c’est pour protéger

500 Réflexions sur l’orientation du droit des propriétés publiques, Conseil d’Etat, Etudes et Documents, n°38, 1987, p. 13 et s ; RDI, juillet-septembre 1987, p. 313.

501C. Lavialle, « Décentralisation et domanialité », RFDA, 1996, p. 959.

502A savoir du régime juridique qui s’impose aux biens appartenant au domaine public.

cette affectation à l’utilité publique que commande l’Etat, pour répondre au besoin de la population.

Cela nous amène au deuxième constat venant de la dissociation du droit de propriété et de l’affectation induite par les mutations domaniales. L’Etat apparaît comme le gardien, non seulement de l’affectation et de l’utilité publique mais aussi et plus généralement de l’intérêt général. L’Etat apparaît comme le maître de l’affectation. Cela rappelle alors la théorie de Proudhon qui considère l’Etat comme le gardien du domaine public, et celle de L. Duguit, qui refuse aussi la propriété publique. Certes, aujourd’hui, les personnes publiques sont reconnues titulaires d’un droit de propriété sur leurs dépendances et la propriété publique dispose de son propre régime juridique. Cependant, la théorie des mutations domaniales contredit cet état du droit. L’une des justifications aujourd’hui les plus acceptables serait alors de reconnaître que ce n’est pas ce droit de propriété qui est fondamental en droit des biens publics, mais davantage celui de l’affectation. Cela ne manque pas de nous rappeler la pensée de M. Hauriou503 qui dans sa note sous l’arrêt fondateur des mutations domaniales, soulignait qu’il faudrait revenir à un domaine public subsistant par lui-même uniquement parce qu’il est affecté au besoin du public. Cette idée fondamentale retiendra notre attention.

L’auteur souligne, en revanche, que cette théorie implique une superposition d’affectation, dans la mesure où aucun changement de propriétaire n’a lieu, puisque les dépendances restent la propriété des personnes publiques d’origine. D’après lui, il n’existe qu’un seul grand domaine alors que l’on distingue pourtant le domaine public de l’Etat, des collectivités territoriales et aujourd’hui des établissements publics. Pour M. Hauriou, la personne publique ne subit en fait qu’une servitude car elle conserve ses droits de propriétaire. Il milite alors pour l’unité du domaine public avec cette image d’un Etat qui gère l’affectation au niveau national et les collectivités territoriales qui se contentent de gérer administrativement leurs dépendances.

Cette vision n’est aujourd’hui plus tenable puisque toutes les autres personnes publiques ont été reconnues titulaires et propriétaires d’un domaine public504. A l’époque, lorsque le

503M. Hauriou, note sur CE, 16 juillet 1909, Ville de Paris et Chemin de fer d’Orléans, S.1909, III, p. 97. Voir également les références de V. Proudhon, Traité du domaine public ou de la distinction des biens considérés principalement par rapport au domaine public, Victor Lagier, Dijon, 1ère édition, 1833-1834 et 2ème édition 1843-1845 et L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 2èmeédition, Tome 3, E. de Boccard, 1930.

504Les articles L. 1 et L. 2 du CGPPP énoncent : L. 1 : « Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi

commissaire du gouvernement rend ses conclusions505sur l’affaire qui va consacrer la théorie des mutations domaniales, la question est importante. On se demandait s’il existait un ou plusieurs domaines publics. La thèse du Tribunal des Conflits est qu’il existe trois domaines distincts à savoir le départemental, le communal et le national. A l’intérieur de chacun d’entre eux, ce sont les mêmes règles qui s’appliquent mais les dépendances sont propres à chacune de ces personnes publiques. Il y a une diversité de domaines publics et « la domanialité ne fait pas obstacle à la propriété qui demeure subjacente. »

Quant à l’autorité judiciaire, elle considère qu’il y a une unité des domaines et que « la notion de domanialité est exclusive de la notion de propriété ». Cette position506 excluait toute expropriation du domaine public et toute indemnisation.

S’il existe bien aujourd’hui une pluralité de domaines publics, le constat est identique s’agissant de l’impossibilité d’exproprier le domaine public.

Toutefois, la réitération dans le CGPPP des mutations domaniales montre les limites auxquelles s’exposent la théorie de la propriété publique. Elle n’explique pas tout et certainement pas le pouvoir exorbitant que possède encore l’Etat, sur les autres personnes publiques, en matière d’affectation des dépendances domaniales.

§- 2 Le but ultime : la préservation de l’affectation sans une propriété publique nécessaire.

La théorie des mutations domaniales ne se contente pas de mettre en lumière un pouvoir exorbitant de l’Etat sur les autres personnes publiques. Elle démontre aussi l’ampleur que prend la notion d’affectation au sein du droit des biens publics. (A)

L’exposé de cette théorie a pour but de saisir la signification de celle-ci et de cerner les limites qu’elle impose à la propriété publique. Cela va même plus loin si l’on considère qu’elle qu'aux établissements publics. » et L. 2 : « Le présent code s'applique également aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant aux autres personnes publiques dans les conditions fixées par les textes qui les régissent. »

505Cf. supranote n°450.

506Cour de Cassation, 20 décembre 1897, Chemins de fer d’Orléans, D. 1899, 1, p. 257, note Sarrut.

montre que le droit des biens peut fonctionner sans avoir systématiquement besoin du cadre rigide de la propriété. (B)

A-La notion d’affectation : notion centrale de la